Trente-cinq ans d'amitié n'ont pas altéré le plaisir de la découverte, à lire la poésie de Marie-Christine. Nous habitions dans le même immeuble, boulevard de Ménilmontant. La douzaine d'enfants avaient fonction de go-betweens. Des messagers. Bien que n'ayant produit qu'une fille, j'avais quatre ou cinq mômes à la maison ou bien aucun. De loft en loft, nous circulions dans les étages et nous retrouvions pour des fêtes joyeuses dans la cour. Tout ce petit monde a grandi. Nombreuses amitiés ont perduré au delà des déménagements. Certaines sont restées comme des sœurs pour Elsa. Je joue régulièrement avec Antonin. Anh-Van me soigne. Avec Pascale et Sonia, Marie-Christine est l'une des rares à savoir me lire entre les lignes et j'apprécie autant sa peinture que ses textes oulipiens à la mise en pages mallarméenne. mcgayffier, c'est son nom de plume et de pinceau, a d'ailleurs commis la pochette de mon dernier album, Pique-nique au labo, et le texte du livret que mes vingt-et-une premières sessions ont inspiré...
Parallèlement à ses expérimentations picturales où elle explore couleurs et textures, mcgayffier publie régulièrement des petits fascicules poétiques où la méthode accouche d'œuvres protéiformes que chacun/e peut interpréter librement. C'est ce qui me plaît dans la poésie, comme dans la musique, ou même dans toutes les œuvres qui trouvent grâce à mes yeux et mes oreilles. J'imagine qu'il en est de même avec le goût, l'odorat et le toucher, le tout se retrouvant dans le sixième sens, aussi mystérieux qu'il est évident. Dans ses travaux littéraires et picturaux, on découvre des couches géologiques où le réel se fond dans la pensée, et l'évocation dans la matière plastique. Si l'artiste a revendiqué le statut de technicienne de surfaces, elle sait mettre en relief la banalité formatée de nos vies comme la sublimation de nos rêves infinis. Le vernaculaire y croise l'exceptionnel grâce à la dialectique du montage.
Deux de ses derniers ouvrages, auto-produits, découpes (une ventriloquie à vue) et Formatur(es) (ès)Artforum, m'ont offert quelques heures en plongée, malgré leur (relative) brièveté. Le premier est "composé de mots découpés au cutter et avec une inattention précise dans des programmes de spectacles (théâtre d'Aubervilliers 2017-2018, 2019-2020 ; théâtre de l'Échangeur de Bagnolet 2019-2020 ; Festival d'Automne 2019-2020)". Le second, mon préféré, consista à "prendre au hasard un numéro par an de la revue américaine Artforum ; traduire tous les titres d'exposition rencontrés ; fabriquer un texte en trois parties à partir de la liste des mots collectés ; choisir dans la liste trois mots comme leviers de départ & trois mots pour paliers provisoires d'atterrissage (les titres d'expositions comportent assez souvent trois termes) ; répéter l'opération pour les treize années d'abonnement."
Ceci c'est la cuisine. Le menu se déguste tranquillement, les plats succulents se succédant au rythme du lecteur ou de la lectrice.

Pour en savoir plus, le site de mcgayffierça s'écrit et ça s'expose.