En 2008 était paru un magnifique livre (toujours disponible) sur Émile Cohl, l'inventeur du dessin animé, 170 pages grand format, préfacé par Isao Takahata (le réalisateur du Tombeau des lucioles et Mes voisins les Yamada) et agrémenté de 2 DVD Gaumont Pathé Archives comportant l'intégralité des films existants (mais seulement 1/5 de l'œuvre) de ce personnage illustre et méconnu (ed. omniscience), Émile Cohl, dont je reproduis ci-dessous Fantasmagorie, premier dessin animé de l'histoire du cinéma. C'était le 17 août 1908 au Gymnase sur les Grands Boulevards. Cohl suivait les traces d'un autre Émile, Reynaud celui-là, inventeur du théâtre optique en 1888, et de Georges Méliès, "inventeur du spectacle cinématographique" en 1896, comme il est gravé sur sa tombe au Père Lachaise. En 1908, Émile Cohl avait déjà 51 ans et une longue carrière de caricaturiste.
Je connaissais ses dessins à transformations, on appelle cela aujourd'hui du morphing, mais j'ignorais qu'il avait inauguré autant de techniques variées : l'animation en volume avec Les allumettes animées, le premier film de marionnettes avec Le tout petit Faust, le premier dessin animé en couleurs avec Le peintre néo-impressionniste, le premier dessin animé éducatif avec La bataille d'Austerlitz, la pixilation avec Jobard ne peut pas voir les femmes travailler, le papier découpé, etc. Je suis sidéré de retrouver près de 70 films à côté de deux documentaires... Quant au livre signé Pierre Courtet-Cohl (son petit-fils disparu depuis) et Bernard Génin, il est merveilleusement mis en page, avec une quantité extraordinaire d'illustrations, d'anecdotes et d'informations passionnantes. Il réalisa également la première série de dessins animés avec Le chien Flambeau et le premier dessin animé tiré d'une bande dessinée et pas n'importe laquelle : Les Aventures des Pieds Nickelés ! Oublié, atteint de paranoïa, il mourra le 20 janvier 1938, la veille de Méliès qui était son cadet de quatre ans !


Lorsqu'en 1974, étudiant à l'Idhec, je réalisai La nuit du phoque en collaboration avec Bernard Mollerat, nous décidâmes d'imaginer un scénario où nous tenterions tout ce que nous n'avions pas encore eu le temps d'essayer pendant nos trois années d'études : éclairer toute une rue de nuit, diriger des enfants et des animaux (appréciez le collage), tourner à plusieurs caméras, travailler en infra-rouge, pasticher les chorégraphies de Busby Berkeley en filmant en plongée depuis un belvédère au centre d'une forêt (de vrais malades !) et les films de Jean-Luc Godard (dialogue impossible se terminant par un snuff movie avec un ver de farine)... Aussi, commencèrent-nous directement par un pré-générique au banc-titre (le générique se trouve en plein milieu du film !) et nous testâmes quelques animations simples avec des bouts de carton que nous faisions glisser. Lorsque je m'attaquai au "multimédia", je retrouvai le goût pour l'animation que j'avais un peu laissé tomber. La programmation informatique a grandement joué en faveur du retour en grâce de cet art. En travaillant sur le CD-Rom Alphabet, me revint tout ce que j'avais découvert vingt ou trente ans plus tôt... Je ne sais pas si les animateurs ont pensé à tirer partie de la programmation algorithmique qui leur permettrait de gagner un temps fou par rapport au système image par image, mais surtout d'improviser en jouant avec les objets comme avec des marionnettes...

Le DVD a permis de découvrir ou redécouvrir l'animation confinée aux heures tardives de la télévision dans sa meilleure époque ou à quelques rares émissions. Sans parler de ceux qui ont réalisé des longs métrages et gagné leurs galons en salles, Lotte Reiniger, Ladislas Starevitch, Len Lye, Oskar Fischinger, Norman McLaren, Alexandre Alexeïeff, Jiri Trnka, Yuri Norstein, Jan Svankmajer, Phil Mulloy, Bill Plympton, Barry Purves, par exemple, ont largement bénéficié de ce nouveau support. Il n'y aurait pas de Disney sans Cohl, ni de Miyazaki sans Grimault. Rappelons que La table tournante réalisé par ce dernier avec Jacques Demy ne figure pas sur l'intégrale Demy (compilation indispensable due à ses enfants Rosalie et Mathieu, mais présentation et bonus décevants en comparaison de ce qu'Agnès Varda aurait "inventé") ; il est heureusement disponible avec Le Roi et l'oiseau.

Article du 18 novembre 2008