70 avril 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 avril 2022

Jamais deux fois le même tour


Enfant je pratiquais la prestidigitation. Je savais qu'il ne fallait jamais refaire deux fois le même tour. La seule exception est de rater intentionnellement la manipulation pour épater d'autant plus la galerie, et cela fait même souvent partie du "truc". Parce qu'il y a toujours un "truc" ! L'étonnement risque de ne pas fonctionner la seconde fois, voire de dévoiler la supercherie. Or j'ai tendance à penser que tout dans la vie devrait obéir à cette règle d'or : ne jamais recommencer deux fois le même tour.
Nous avons hélas tendance à nous répéter. On ne change pas de névrose. Nous nous en apercevons souvent trop tard, quand l'affaire est close. Dans le meilleur des cas les similitudes nous sautent aux yeux. Ce n'est pas si grave tant qu'on y trouve son "conte", l'histoire que nous nous inventons et qui fait passer le rêve à la réalité.
Je n'ai jamais compris les artistes qui ont trouvé leur "truc" et le répètent inlassablement dès lors qu'il a marché. Ce sont pourtant la très grande majorité. Dévier de cette règle est rarement facteur de succès. Le public préfère reconnaître à connaître. Ceux qui remettent systématiquement leur titre en jeu sont ceux que je préfère. Ils font forcément partie des touche-à-tout, de ceux qu'on appelle "de génie" lorsqu'on est bien intentionné. Contrairement aux États-Unis par exemple, la France apprécie rarement ces curieux qui changent de matière sans pour autant changer de style. Cette translation est moins facilement lisible.
Dans mon travail se pose la même question. Comment puis-je continuer à exprimer ma passion pour mon art sans me lasser de mes trouvailles ? Comment me renouveler, sachant que je suis incapable de dévier de mes motivations fondamentales ? Elle ne sont pas seulement d'ordre esthétique. Depuis que je suis tout petit, il s'est avant tout agi de changer le monde, de le rendre meilleur. Je ne lâche pas, même si vous imaginez que le constat est catastrophique. Cocteau disait avec dédain que certains s'amusent sans arrière-pensées. Je ne peux concevoir qu'aucun artiste puisse y déroger. Pas seulement les artistes. Qui que ce soit.


Renouveler ma palette est une manière parmi d'autres de sortir de ma zone de confort. Acquérir de nouveaux outils ou des instruments que je ne maîtrise pas m'aide à changer d'angle. [À partir d'ici, mes notes sont plus techniques et risquent de larguer les lecteurs/trices non porté/e/s sur l'instrumentation électronique, vous pouvez sauter au dernier paragraphe !] Ces derniers temps j'ai été servi. Les machines conçues et fabriquées par les Russes de chez Soma m'ont ouvert des portes dont je soupçonnais malicieusement l'existence. Trier les sons achetés pour les moteurs Kontakt, Soundpaint ou Equator sont autant de promesses de pièces nouvelles. Je me demandais surtout si je pourrais échapper à mon passé en utilisant la récente réplique de mon ancien synthétiseur, l'ARP 2600. J'ai commencé par essayer mes patches des années 70 que j'avais pieusement conservés. Cela m'a permis de comprendre ma façon d'alors d'aborder la synthèse musicale. Il faut bien souligner le potentiel pédagogique d cet appareil. Les circuits que j'inventais révèlent mon esprit tortueux, à brancher des entrées avec des entrées, des sorties avec des sorties, à tripatouiller les tensions de drôles de manières, comme si les synapses de mon cerveau étaient calqués sur mes programmations. J'ai fini par m'en lasser. Le passé a ses qualités biographiques, mais il n'engage à rien quand la marche est vectorielle. Il fallait trouver autre chose. J'ai donc modifié le set-up de mon installation dans le studio.
Depuis près de 40 ans mon Ultra-Harmoniseur Eventide H3000 fait partie de ma palette de base. Je l'emporte partout et il est branché en parallèle sur la table de mixage, exactement comme la réverbération, pour pouvoir l'affecter à n'importe quelle voie. Récemment j'ai ajouté le Cosmos, une sorte de looper-délai aléatoire à ces deux envois auxiliaires. Ma petite révolution a consisté à débrancher le H3000 et le remplacer par la pédale H9Max du même constructeur. Il fallait oser. J'ai toujours pensé être incapable de m'en passer. Quelle claque ! En affectant l'H9 et un petit clavier doté d'un arpégiateur-séquenceur à l'ARP (élément qui n'existait pas sur mon ancien instrument, acquis en 1973 et revendu stupidement en 1995), je me retrouve avec un synthétiseur entièrement nouveau qui me permettra de créer des pièces inimaginables jusqu'ici. Si l'on ajoute les SOMA (radio FM intégrée à l'Enner, KaossPad sur le Lyra-8) et la possibilité de transformer ça et le reste (des centaines d'instruments acoustiques et électroniques) avec le Cosmos et l'H9, j'en attrape le vertige.
Je vais bientôt pouvoir tester tous ces sons qui m'échappent encore. J'espère reprendre mes sessions improvisées dès le mois de mai. Le prochain album, probablement intitulé Scénographie, s'inspirera de photogrammes de films, une autre manière de continuer (la démarche originelle et le processus de ces rencontres) en changeant (les sollicitations anecdotiques)... À ce propos, j'aborderai prochainement la question du cadre et du hors-champ, et donc de l'incomplétude narrative et de l'interprétation individuelle.

jeudi 28 avril 2022

Don chéri


Une nuit, sous le chapiteau du Festival d'Amougies qui nous servait de tente, j'ai eu le sentiment que mes goûts allaient changer de couleur. Avec sa trompinette Don Cherry sculptait les rythmes d'Ed Blackwell. Mu, first part et second part, à l'origine chez Byg réédité en CD sur le label Charly, remplit tout l'espace sonore, l'espace du rêve. Inutile de convoquer un dispositif important pour que les arbres se mettent à marcher, les immeubles à s'envoler. La musique de Don Cherry, emprunte de traditions et de modernité, dessine des courbes complexes que l'on suit avec une facilité déconcertante, comme si l'on pouvait voir les méandres de la pensée et se laisser voguer sur le flux. Plus tard j'achèterai une trompette de poche comme la sienne, pas comme celle que Bernard (Vitet) lui vendit, incrustée de fausses pierres précieuses, ayant appartenu à Josephine Baker, non, mais une trompette de poche tout de même, dont je continue à jouer de temps en temps. Don Cherry est à la trompette ce qu'Albert Ayler est au sax, un incendiaire, entendre par là un pompier volontaire, fasciné par le feu et l'eau.
Je regarde rarement les concerts filmés dans le noir, sur grand écran. Un téléviseur ou un ordinateur raccordé à la chaîne hi-fi me permet de continuer à travailler, en suivant l'image d'un œil distrait. Je suis justement tombé par hasard sur un concert au Studio 104 filmé en avril 1971 par Marc Pavaux et présenté par André Francis du temps de l'ORTF. Don Cherry s'est transformé en poly-instrumentiste, chantant, psalmodiant, jouant du piano, de la flûte, de la conque et évidemment de la trompette dans laquelle il souffle en gonflant les joues comme deux pommes trop rondes. Il est accompagné par le Sud-Africain Johnny Dyani à la contrebasse, aux percussions et qui chante aussi, et par le Turc Okay Temiz à la batterie et aux percussions. Pour cette suite Sound on Vision, Don Cherry s'inspire d'une Afrique multicolore, claquement des langues et grands espaces, incantations rituelles et ouverture vers le nouveau monde où est né le jazzman. Si tout ce qu'il touche est de l'or, le sorcier transforme le cuivre et l'acier en métal précieux. Je ne me lasserai jamais des intermèdes oniriques qu'il me procure. Loin de la syntaxe mélodique de mon acolyte du Drame, il incarne ce vers quoi j'aimerais tendre lorsque je souffle dans le moindre instrument, une énergie brute, faite de silences et de tensions, la rugosité des villes associée au sable et au vent, un je ne sais quoi qui me fait chercher mes mots [...].

Article du 31 juillet 2009

mercredi 27 avril 2022

Antithèse et synthèse


Manquerait-il un paramètre à mon titre ? Un élève de Terminale remarquera aisément que la thèse fait défaut. Attaquer d'emblée par l'antithèse me fait automatiquement ranger parmi les complotistes ! Notez que je fuis systématiquement la polémique, si vaine sur les réseaux sociaux tant les amis vous plébiscitent et les "amis" vous jugent comme un pestiféré. J'évite généralement d'y répondre, mais je me laisse parfois aller, à regret. Les commentaires rassurent ou irritent, mais vous font perdre un temps considérable. Ils réclament déjà qu'on les lise, alors que là on se fait facilement des ennemis qui ailleurs auraient bénéficié d'une retenue diplomatique. Sans gaîté de cœur je me suis résolus à bloquer quelques trolls aussi agressifs qu'arrogants qui pourrissaient mon espace privé, les commentaires prenant le pas sur le texte initial au point qu'on se demande même s'il avait été lu en amont. Il y a des années, sur mon blog original, j'avais supprimé la possibilité de commenter mes articles à cause des robots de publicité, mais la porte reste ouverte sur Mediapart et FaceBook où mon site est en miroir. Si j'étais friand de commentaires ce serait extrêmement simple de générer de la polémique pour les susciter. J'évite donc, autant que possible.
Il m'arrive pourtant d'être incapable de me taire lorsque l'actualité est traitée de manière trop évidemment mensongère ou manipulatrice. Alors les foudres se déchaînent et je ne sais plus où me mettre. Il y a une dizaines d'années c'est allé jusqu'à recevoir des menaces de mort, glissées de nuit dans ma boîte aux lettres, rien de virtuel. Ma compagne d'alors m'avait dit que je n'étais pas John Lennon et demandé de calmer le jeu en cessant mes publications provocantes. Je m'étais exécuté.
Revenons à nos moutons, d'autant que l'allégorie animalière est bien choisie lorsque je monte sur mes grands chevaux. Si j'attaque parfois directement par l'antithèse, c'est seulement pour ne pas avoir rappelé la doxa proférée sur tous les canaux d'information. La thèse est si répandue que je la saute et livre mes réflexions de but en blanc. Penser par soi-même est un exercice difficile, particulièrement à notre époque où les grands médias appartiennent tous à une classe de milliardaires qui arrondissent parfois même leurs fins de mois en investissant dans le commerce des armes. D'un autre côté, les réseaux sociaux sont un terrain propice à tous les délires négationnistes qui pressentent le mal dans la moindre annonce. On peut se poser légitimement la question. Faut-il douter de tout ? On y perdrait son latin, puisqu'il faut toujours remonter à l'origine des choses pour comprendre comment on en est arrivé là.
Mon expérience sur le terrain tendrait à me laisser penser que l'interprétation est la règle en matière d'information. Lorsque j'avais tenu le rôle de réalisateur dans des pays en crise, je m'étais rendu compte que la réalité dont j'étais le témoin direct n'avait rien à voir avec les actualités diffusées sur le petit écran. Par exemple, pendant le Siège de Sarajevo, les informations des télévisions tant bosniaque que serbe étaient un tissu de mensonges, même si ma sympathie me rangeait évidemment du côté des victimes martyrisées et que les allégations de l'assaillant me soulevaient le cœur. À Beyrouth la rue des bijoutiers avait été épargnée par la guerre. En Algérie je découvris la réalité de l'oppression arabe sur les Berbères. Dans l'Afrique du Sud d'avant Mandela, je voyais les Boers comme les pires racistes alors qu'ils étaient si nombreux à l'ANC tandis que les Anglais perpétuaient avec flegme leur colonialisme séparatiste. Pardonnez-moi si je fais court, je ne cherche pas ici la polémique. Ma naïveté et ma méconnaissance initiale des enjeux furent souvent mises à mal. J'aurais dû plus sérieusement lire le Monde Diplomatique qui prévient des conflits des années avant qu'ils ne se déclarent ou Courrier International qui donne la parole à toutes les parties.
Tout cela pour souligner que la thèse étant largement diffusée par les services de renseignements de chaque état, par la vox populi qui croit en l'information comme en Dieu, je cherche souvent la contradiction, ce qui cloche dans le discours dominant, avant de me faire une idée. L'exploitation de l'homme par l'homme est une affaire vicieuse qui exige du tact pour fonctionner sans trop de heurts. Le soft power fait mieux passer la pilule que la dictature. Sous couvert d'honneur national les responsables entraînent les populations à accepter leur sort, mais les enjeux économiques sont à chercher dans le moindre conflit, le moindre acte de violence. Cela n'exclut pas la folie du pouvoir et de la possession, deux fantasmes mortifères qui mènent notre planète à la ruine. Il faudrait certes moins de politique et plus de philosophie. Et si je me relisais, je crains de me rendre compte que j'ai encore négligé la thèse, tant sujette à interprétation, me laissant incapable de rédiger la moindre synthèse qui se tienne.

mardi 26 avril 2022

Exposés à la Biennale de Venise avec Roger Ballen


Comment nous sommes-nous retrouvés exposés cette année à la Biennale de Venise, dans le Pavillon de l'Afrique du Sud ?
Les rebondissements sont bien l'apanage de notre métier. Tout d'abord rien n'eut été possible sans les rencontres d'improvisateurs que j'initie depuis dix ans au Studio GRRR. Je devrais remonter encore plus haut, lorsque ma passion tardive pour la musique, j'avais quinze ans, me fit opter inconsciemment pour le faire plutôt que pour l'écrit, contrebalançant mes incompétences par une pratique vivante inédite, privilégiée par un instrumentarium émergent et la syntaxe cinématographique qui deviendra mon terreau. Cette phrase est tout de même moins longue que mon histoire ! En 2020, le double CD Pique-nique au labo relate cette aventure "récente" où pas moins de 28 invités me firent l'honneur et la joie de répondre à mon invitation. Parmi les 22 séances, le 18 décembre 2019, le clarinettiste-cassettophoniste Jean-Brice Godet et le contrebassiste Nicholas Christenson participent à l'album Duck Soup. J'avais rencontré le premier à l'occasion de l'hommage à mon camarade Bernard Vitet fin 2013 et le second sur les conseils de Jean Rochard qui me suggéra vivement d'enregistrer avec le jeune Minesottien de passage à Paris sans que je l'aie jamais entendu.
Lors de ces sessions d'improvisation, nous tirons au sort le thème de chaque pièce au fur et à mesure. Comme j'avais été emballé par le travail de Roger Ballen à la Halle Saint-Pierre, je proposais à mes deux acolytes de choisir à tour de rôle une photo parmi les deux livres que je venais d'acheter, Le monde selon Roger Ballen et Asylum of the Birds. Celles-ci devenaient aussitôt nos partitions. On peut les admirer sur la page consacrée à l'album, lui-même en écoute et téléchargement gratuits. Nous n'avions demandé aucune autorisation à l'auteur, mais Olga Caldas nous suggéra de lui écrire à Johannesburg. Notre travail lui plut tant qu'il nous demanda à son tour l'autorisation d'utiliser certaines de nos musiques pour une prochaine exposition. Suit la triste période de crise virale où chacun se retrouve replié sur lui-même. Et puis voilà qu'il y a quelques semaines Roger Ballen nous annonce qu'il aimerait accompagner ses light boxes par trois de nos pièces pour le pavillon sud-africain à la Biennale de Venise !


Sur son Théâtre des Apparitions exposé à l'Arsenale et que nous n'avons pu admirer pour l'instant, intitulé pour l'occasion Into The Light, Roberta Reali (Art in Italy) écrit "Les photos imprimées sur toile rétro-éclairée dépeignent dans un splendide noir et blanc des silhouettes obtenues par un procédé « dada-chalcographique » à partir de la poussière déposée sur les vitres d'un ancien asile de femmes (2010-2013). Ballen est le metteur en scène et témoin de scènes surréalistes pleines d'humour noir, où le jeu des pulsions ancestrales est représenté par une métaphore d'une réalité contemporaine en pleine décadence dystopique. [...] Les fantômes des guerres, mutilations et tortures dont a été témoin l'Afrique du Sud, patrie d'élection du New-Yorkais, trouvent une pleine liberté d'expression. [...] Une armée d'homoncules, d'hominidés, d'humanoïdes, de post-humains, de demi-dieux, d'animaux, de golems, de gargouilles, de Lilith, de lémuriens, de cauchemars, de succubes - et d'autres êtres monstrueux, primordiaux, qui se réfèrent de temps à autre à la poétique de Bosch, Dubuffet, Füssli, Goya, Schärer, Schiele, Erwin, Arbus etc. - est transposée au moyen d'une expérimentation technico-formelle hautement maîtrisée, dans le cadre d'une danse macabre et sauvage régie par les lois de la nature au rythme vital d'une puissante sexualité, déviée et chthonienne, marquant l'alternance dionysiaque et brutale d'Éros et Thanatos..."
Roger Ballen nous raconte qu'il a évidemment choisi les musiques que nous avions composées pour Shadows and Strangers, The Back of the Mind and You can't come back, toutes trois inspirées par The Theatre of Apparitions. Là, Nicholas est à la contrebasse, Jean-Brice joue de la clarinette, de la clarinette basse et des cassettes enregistrées, quant à moi je me sers d'une flûte et de la trompette à anche, de mon clavier et du synthétiseur Lyra-8, et je trafique les sons avec le H3000.
Alors si vous passez par Venise, racontez-nous ce qu'à votre tour vous aurez vu et entendu !

lundi 25 avril 2022

Ennio Morricone par Giuseppe Tornatore


Difficile de rendre l'émotion et l'intelligence du compositeur italien Ennio Morricone capturées par le réalisateur Giuseppe Tornatore tant le film laisse d'impressions diverses à son issue. Les débuts sont difficiles, un père trompettiste très strict qui veut passer le relais à un fils conscient de son handicap de classe et pense devenir médecin. Des arrangements pour des chanteurs de variétés... Son passage à Darmstadt lui donne l'idée d'adapter les apports du dodécaphonisme à la musique tonale. L'entrée en musique de film, méprisée par son professeur Goffredo Petrassi, est un accident. Il vit longtemps son succès avec culpabilité. Sa participation au groupe d'improvisation et de composition avant-gardiste Nuova Consonanza lui offre de s'affranchir des contraintes hiérarchiques, commerciales et académiques. Un pied dans le monde populaire et l'autre dans le classique, il trouve comment mêler les deux en intégrant des instruments comme la guitare électrique, la guimbarde, l'harmonica ou le sifflement à ses arrangements orchestraux. S'il saisit instantanément l'ambiance d'une scène, il sait aussi prendre le contrepied pour éviter l'illustration. Sa musique apporte des sensations absentes de l'image. Bernardo Bertolucci, Pier Paolo Pasolini, Dario Argento, Marco Bellocchio, Gilles Pontecorvo, Elio Petri, Henri Verneuil, et évidemment, le premier, Sergio Leone, qu'il retrouve après avoir partagé les mêmes bancs à l'école, s'en entichent. On sait tout cela.


Dans Ennio, le film de deux heures et demie que Tornatore lui consacre (sortie en France le 4 mai), Morricone livre ses secrets avec la plus grande simplicité. Ce ne sont pas véritablement des secrets, mais sa manière de voir, son goût pour les fioritures et la simplicité, sa façon de détourner un cliché en se l'appropriant, sa faculté d'intégrer les bruits à sa partition, son humour aussi. Sa femme Anna est sa première auditrice, qui sans ne rien connaître à la musique valide ou pas la moindre chose qu'il compose. Je me souviens avec émotion du couple, en 2016 au Teatro Olimpico à Rome, assis juste devant nous, venu écouter l'adaptation de Carmen par l'Orchestra di piazza Vittorio dans laquelle ma fille Elsa tenait le rôle de Micaëla. Il mourra quatre ans plus tard.
Comme à beaucoup de musiciens, Ennio Morricone donne envie d'inventer, de sortir de sa zone de confort. Cherchant actuellement une nouvelle voie à mon travail, son inclinaison à faire du neuf avec du vieux m'inspire. Depuis mes débuts j'ai mélangé les instruments traditionnels à l'électronique, aux jouets, aux bruits, cosignant avec des camarades bien meilleurs mélodistes et harmonistes que moi. Je regrette parfois de n'avoir pas les compétences que mes désirs me susurrent, et de n'avoir pour autant jamais mis en pratique ma conception de la musique de film à un long métrage de fiction. Pour des courts, des documentaires, des vidéos, des jeux, des applications, j'ai heureusement pu jouir du rapport de confiance indispensable à toute collaboration cinématographique, car la musique est le seul élément qui échappe totalement au réalisateur. Pas moyen de lui faire écouter avant de l'avoir enregistrée. Les maquettes ne peuvent être convaincantes. Elles sont même contre-productives. N'importe quelle musique fonctionne, mais c'est le sens qui change. Composer pour l'image, c'est maîtriser le sens, et donc les émotions dans leur complexité.
Morricone utilise le dissonances pour désarçonner les spectateurs, troubler les sens. Son lyrisme est pourtant emprunt de nostalgie romantique. Ses compositions les moins originales sont inhérentes à la qualité des films sur lesquels il travaille. Il prétend ne pas aimer les mélodies, mais les siennes sont inoubliables. Lorsqu'il ne compose pas à l'ancienne, crayon et gomme et ce dans le plus grand silence, il improvise en direct dirigeant ses comparses en jouant de la trompette. Le montage de Tornatore alterne avec succès son long entretien, nombreux témoignages, des versions en concert qu'il dirige de main de maître synchronisées avec les extraits de films. Hélas, comme d'habitude, l'hagiographie alourdit inutilement le film et l'on peut regretter que ses plus proches collaborateurs en soient absents, mais Ennio reste passionnant.

vendredi 22 avril 2022

Plumes et poils, le livret


Comme du temps du trio avec Bernard Vitet, Un Drame Musical Instantané est une entité tricéphale. À certaines époques elle fut même quadricéphale, voire si collective qu'on ne savait plus où donner de la tête ! Ainsi, après mon article du 1er avril, néanmoins sans écailles, c'est au tour de Francis Gorgé et Dominique Meens, sur leur site assezvu.com, de livrer leur point de vue ou point d'écoute sur notre nouvel album, Plumes et poils.
Francis en rappelle la genèse et se fend d'une petite animation de nos trombines tandis que Dominique remonte plus haut le cours du temps en se rappelant son texte et redescend doucement jusqu'au jour fatidique où nous nidifiâmes nos préparations secrètes dans le pot commun. J'emploie le mot pot à dessein, me rappelant que lorsqu'à l'époque je qualifiai la musique du Drame de "musique à propos", Francis avait ajouté "de chambre" avec l'humour sarcastique qui le caractérise. Nous nous y retrouvâmes d'ailleurs parfaitement.
Mais l'apport le plus important de cette annonce est la mise à disposition du livret au format PDF, absent du CD, que Francis a agréablement mis en page en offrant à chacun/e de le télécharger librement.
D'autant crucial, que les mots de Dominique Meens jouent le rôle de partition à nos improvisations !

jeudi 21 avril 2022

Dazibao(s) de Tusques


Livraison des CD Plumes et poils d'Un Drame Musical Instantané au Souffle Continu et réception des 2 LP Dazibao de François Tusques en piano solo. Lorsque j'étais gamin, j'embêtais chaque fois le pianiste en lui demandant pourquoi il n'enregistrait plus sur piano préparé comme sur son disque de 1977 publié au Chant du Monde qui m'avait enchanté, me faisant connaître cet instrument en même temps que Hamonia Mundi publiait les Sonates et interludes de John Cage sur sa collection économique Musique d'abord, mais qui dataient tout de même de trente ans plus tôt. Je découvrirai plus tard les pièces d'Henry Cowell composées au début du XXe siècle qui inspirèrent Cage, et la nouvelle génération française, Benoît Delbecq, Françoise Toullec, Sophie Agnel, Ève Risser, Roberto Negro, Thibault Walter, Loris Binot... qui insèrent des petits objets sur la table d'harmonie pour faire sonner le clavier comme un gamelan ou un orchestre de cordes et percussion. J'ai attendu tout ce temps-là. Et même encore un disque, puisque c'est seulement sur le second volume de ces Dazibao que je retrouve mon émotion de jeune homme.
Sur le premier, c'est le Tusques jazz et free, comme celui avec lequel notre vieux camarade commun Bernard Vitet fera son dernier concert. Militant maoïste, le pianiste bluesy donne à ses morceaux des titres longs comme le bras, avec le poing levé au bout. Il salue les frères d'armes de l'époque, Don Cherry, Sunny Murray, Clifford Thornton, la troupe du Chêne noir, Michel Le Bris et les 100 fleurs. Le second se rapproche des Black Panthers, comme sur la suite de l'album Répression de Colette Magny dont Tusques composa la musique. Mais le piano préparé lui fait prendre des libertés qu'il n'avait pas soupçonnées à l'origine. J'adore.
Au début des années 70 nous clamions, avec raison, que tout est politique. Cette notion s'est hélas un peu perdue. Pourtant le quotidien influe sur l'inspiration des artistes. Et Tusques de revendiquer avec justesse les contradictions inhérentes à son statut. La conscience qu'un artiste a du monde oriente sa manière de le traduire, au filtre de son analyse, de sa révolte et de son imagination. Les styles ne viennent pas de nulle part, ils réfléchissent l'environnement dans lequel ils ont été dessinés. Hier comme aujourd'hui, la musique est un miroir du monde, une poésie sans paroles qui dresse des constats, terribles et merveilleux, affligeants ou pleins d'espoir.

→ François Tusques, Piano Dazibao / Dazibao n°2, 2 LP Souffle Continu (rééditions du label Futura de 1970/1972), 23€ chaque ou 42€ les deux

mercredi 20 avril 2022

Vraiment toutes sortes de danses


Encore une fois, j'ai trop de retard dans les disques à écouter, ou plutôt à réécouter. Il faut que le mots viennent tout seuls, sinon je passe mon tour, un peu triste de n'en rien dire pour les collègues qui ont eu la gentillesse de me les envoyer ou de les confier à leurs attachés de presse...


Deux aborigènes du sud de la France ont soudainement envahi mon salon. De quel rituel étais-je le témoin ? Jouant des anches et des becs, Dominique Beven a composé des plages magiques que Laurent Pernice a traité électroniquement. Emma Gustafsson, danseuse seule en scène, et Laurent Hatat de la compagnie Anima Motrix ont adapté la conférence radiophonique de Michel Foucault sur Le corps utopique, mais cela on ne le voit pas, on le pressent seulement parce que cela passe par les vibrations du nôtre, sa nudité révélatrice de quelque chose de fantastique.


Minimal Catalina Matorral. Marion Cousin et Borja Flames chantent et jouent des synthés, de la guitare électrique et des percussions. Ils sont d'aujourd'hui ce que furent Areski et Fontaine. Légers. Aériens. Une autre façon de danser, à petits pas, sur les branches. Ça fait pop, ça sent bon.


J'enchaîne avec les rythmes cuivrés de Shake Stew. Heat, ça chauffe. Le bassiste autrichien Lukas Kranzelbinder a réuni Astrid Wiesinger (sax alto, clarinette basse), Mario Rom (trompette), Johannes Schleiermacher (sax ténor, flûte), Oliver Potratz (basse), Niki Dolp et Herbert Pirker (batterie, percussion). Une énergie communicatrice.


Hirsute ne l'est pas tant que cela. Les Miniatures du dedans composées par la pianiste Anne Quillier ont le charme de l'Hexagone, Amélie Poulain aux accents jazz, provinces fleuries où se meuvent le sax baryton de Damien Sabatier, les clarinettes de Pierre Horckmans, la contrebasse de Michel Molines et la batterie de Guillaume Bertrand. Sur les pointes.


Terminer ma séance d'aérobic avec le groupe breton Startijenn eut été parfait pour digérer le koung aman de mon quatre heures si je ne devais faire face à un épanchement de synovie ! Avec Youenn Roue (bombarde, rap !), Lionel Le Pagne (biniou, uillean pipes), Tangi Le Gall-Carré (accordéon diatonique), Tangi Oillo (guitare), Julien Stévenin (basse), plus le batteur Jean-Marie Nivaigne en invité, la relève est assurée. J'aurais pu tenir jusqu'au bout de la nuit, mais quand je vois le reste des disques à écouter, je préfère aller me coucher...

→ Laurent Pernice & Domimique Beven, Le corps utopique, CD Alma De Nieto (ReR Italia)
Catalina Matorral, CD Le Saule
→ Shake Stew, Heat, CD Traumton / Kuroneko, sortie le 29 avril
→ Hirsute, Miniatures du dedans, CD Label Pince-Oreilles, dist. InOuïe, sortie le 20 mai
→ Startijenn, Talm ur galon, CD Parker, dist. Coop Breizh

mardi 19 avril 2022

Retour de l'ARP 2600


Sur le site Audiofanzine, dont j'aime beaucoup les éditos de Los Teignos qui ne sont pas exclusivement musicaux lorsqu'ils suggèrent quelques points de vue citoyens, Eric Synthwalker fait une excellente analyse du synthétiseur analogique ARP 2600 M, réplique miniature récemment commercialisée par Korg. Il me donne même envie de remplacer le clavier microKey (offert avec) par un Keystep37 qui ajoutera ainsi séquenceur et arpégiateur à la bête.


Les commentaires allant bon train, j'ai cru bon d'y apporter ma propre expérience :
"J'ai joué et enregistré sur mon ARP 2600 dès 1974. Je l'ai bêtement revendu en 1995. Je l'ai retrouvé avec le petit Korg et tous mes patchs que j'avais conservés fonctionnent à l'exception de ceux qui utilisaient la prise multiple, car il n'y a que 3 prises au lieu de 4, seule différence notée et non signalée par le test. Sa miniaturisation et son ouverture USB Midi le rendent même plus maniable. Je n'ai pas réussi à le contrôler avec le clavier Komplete, mais il faut peut-être que je m'y replonge. En tout cas, c'est bien mon son. Depuis, je suis passé à des machines aux sonorités plus électroacoustiques (c'est déjà ce que je cherchais alors, et les échantillonneurs ont été une bénédiction) sans compter les mémoires qui m'ont fait passer ensuite au PPG, puis au DX7 pour la norme Midi (mais là j'avais perdu la maniabilité). Je pense que l'usage de l'ARP 2600 m'ont appris à jouer (voir de penser) de manière temporellement schizophrénique, à savoir qu'il fallait improviser dans l'instant tout en prévoyant ce qui allait se produire cinq minutes plus tard, et sans cesse évoluer pour être sur le coup. Il m'a surtout enseigné à écouter le monde et à tenter de le reproduire (vainement). J'ignore encore comment je vais me servir du petit nouveau, mes dernières acquisitions électroniques lorgnant vers les machines russes de chez SOMA qui obéissent à des logiques radicalement différentes de tous les synthés que je connaissais jusqu'ici. Le côté intuitif de ces machines sans mémoires offre un jeu physique que ratent les pousseurs de boutons sur laptop !"
Le nouveau manuel ne le dit pas, mais l'ancien soulignait qu'aucun branchement ne pouvait être fatal. Ainsi on pouvait connecter des entrées avec des entrées, des sorties avec des sorties, et écouter le résultat de ces expérimentations en tension. J'espère que c'est toujours le cas, puisque j'ai l'habitude de pervertir les machines pour me les approprier !


À ce propos, mon camarade Sacha Gattino qui utilise essentiellement ses propres sons avec énormément de talent, me demanda il y a quelques années si cela ne m'ennuyait pas d'utiliser des banques de sons du commerce dont tout le monde se sert. Je lui répondrais aujourd'hui de la même manière. Ma façon de les jouer, de les intégrer à mes compositions, doit être bien tordue, car je ne les reconnais jamais ailleurs. J'imagine qu'en les sortant du contexte pour lequel ils ont été conçus, en les associant avec d'autres et avec des instruments d'origines très différentes, tant acoustiques qu'électroniques, je les fais miens. On pourrait se poser la même question à composer pour les pupitres habituels de l'orchestre. J'avoue pourtant jouer essentiellement de certains dont personne ou peu se servent, ne risquant pas ainsi la moindre comparaison ! Mais cela, c'est une autre histoire. La question des citations ne me préoccupe pas non plus, sachant qu'il n'existe pas de création spontanée, mais que tout n'est qu'histoire d'articulations, de situations, et surtout de propos. C'est donc avec ravissement et joie perverse que j'emprunte, en connaissance de cause ou pas, sachant pertinemment que ces clins d'œil restent invisibles à la plupart. Il n'en demeure pas moins que cette perspective du passé légitime à mes oreilles la construction de l'avenir.

lundi 18 avril 2022

La mémoire ne fonctionne pas à sens unique


Les souvenirs s'accumulent sur les étagères. Le tri éjecte les bibelots inutiles, mais préserve les amours. Les signes dramatiques côtoient les clins d'œil amusés, les livres que l'on ne relira plus étouffent ceux que l'on s'est juré de déguster un jour. Plus la mort s'approche, moins les anciens sont accessibles. Nous avons tous la fâcheuse tendance à remplir le vide. Chaque année nous ajoutons un nouveau chapitre, accumulant sans cesse jusqu'à saturation. Il faudra bien que ça pète !
La mémoire nous joue plus d'un tour. En discutant avec l'un de mes amis de ses goûts musicaux, je m'aperçois qu'il existe une différence majeure entre mes rejets et les siens. Ne s'est pas écoulée une minute que la musique française du XXème siècle le hérisse, idem avec n'importe quelle chanson ou tout air d'opéra quelle qu'en soit l'origine. Comme je justifie ma programmation par ce qui a donné naissance à ce qu'il affectionne, mon camarade me rétorque que l'on n'a pas besoin d'apprécier les origines pour aimer ce qui nous fait vibrer là maintenant. Certes, mais si aujourd'hui je me passe de Mozart ou Bellini, ce n'est pas faute de ne pas les avoir écoutés. Sans faillir ni défaillir j'ai suivi les livrets de centaines d'opéra, fait hurler les guitares électriques de toutes les intégrales, dansé à tous les jazz et rêvé sous toutes les latitudes pour être certain de mon chemin. Il n'est aucune sorte de musique dont je ne me sois pas repu aussi loin que je m'en souvienne et si une tribu était découverte sur quelque île du Pacifique j'y traînerais mes oreilles de gré ou de force. De quelle nécessité est née telle œuvre ? De quelle Histoire procède-t-elle ? Qu'en reste-t-il ? Ne pas connaître les joies du voyage dans le temps rend dangereux le périple. Il sera d'autant plus difficile de faire ses propres choix en connaissance de cause. Petit Poucet sans cailloux, la mémoire du monde s'éteindrait si l'on n'y prenait garde. Plus la vitesse et le produit Kleenex nous sont inoculés par l'industrie de la culture, plus nous perdons nos repères. Penser par soi-même exige que nous apprenions à nous servir de la boussole et du dictionnaire.
J'ai toujours pensé que le dégoût pour tel ou tel genre musical ne pouvait qu'être le fruit empoisonné de l'héritage familial. Il suffit que maman ou papa adore le musette pour vous en écœurer et tutti quanti... Tutti fruti met mieux l'eau à la bouche. Les goûts seraient alors affaire sociale tant qu'on n'y a pas goûté. Ainsi commande-t-on à l'enfant qui chigne qu'il n'aime pas ça sans ne jamais l'avoir porté à ses lèvres... Les œuvres exigent par contre souvent que l'on aille au bout, jusqu'à leur résolution. Sans cet effort la mémoire fait défaut et les dés sont pipés. Le plaisir se réduira avec le temps à une peau de chagrin. Nous ressasserons alors éternellement les ritournelles de notre adolescence sans entendre qu'autour le monde ne sonne plus pareil.

Art. du 2 septembre 2009

vendredi 15 avril 2022

Entomophagie


Comment résister ? En faisant mes courses à Belleville avec Bernard je découvre des boîtes de grillons thaïs frits chez l'épicier qui fait le coin en face du restaurant Viet-Siam. Ces grands grillons à courte queue ou brachytrupes portentosus Licht sont délicatement assaisonnés et prêts à la consommation. La plupart des Occidentaux froncent le nez en effectuant un mouvement de recul. Le rejet est évidemment culturel. Les insectes, riches en protéines, pourraient régler bien des problèmes alimentaires dans le monde, dixit la FAO. L'entomophagie se pratique sur presque tous les continents. Les grillons sont très proches des crevettes, surtout pour les hurluberlus dans mon genre qui, trop impatients pour les éplucher, les dévorent souvent sans les décortiquer. Les orthoptères craquent sous la dent. Un apéritif amusant pour 3,50 euros en attendant que la pratique se généralise...

INSECTES À GOGO


[...] Une boutique en ligne propose maints insectes à grignoter. Vous connaissez mon goût pour ce genre d'aventures, ma salive inonde de ma gorge aux sinus. Sucettes à la menthe et aux fourmis, scorpions enrobés de chocolat, abeille géante au miel, criquets au curry, vers mopani, etc. Le site propose également des aphrodisiaques tels que sucettes à la poudre d'or, vin au gecko, poussière de perles, et d'autres curiosités comme ce thé cueilli sur les hauteurs par des singes ou ce café régurgité par des belettes ! La liste se clôt sur des produits parapharmaceutiques, sperme de baleine relaxant, gelée de reine fourmi pour les peaux grasses, extrait de scorpion analgésique... Je commanderais bien un échantillon de tout le magasin si les prix ne me retenaient pas : 9,40€ le scorpion ou 4,50 en sucette, 11 les tarentules, 8 les fourmis noires à cuisiner.[...]

Ce sont les prix de 2022, puisque depuis ces articles des 7 août 2009 et 25 août 2008, Insectes Comestibles vend ces étranges friandises, pleines d'avenir !

jeudi 14 avril 2022

50 ans - 17cm


Me voilà bien embêté avec le nouveau single arrivé d'Allemagne. Sur la face A, Intervention au milieu d'une prière en miettes dure seulement 1 minute 50 secondes. C'est ma pièce la plus ancienne publiée à ce jour puisqu'elle date de 1972. Après plus d'une centaine d'albums sur différents supports c'est aussi mon premier 45 tours ! Nous avions 20 ans tout au plus. Francis, Edgard, Pierre et moi jouions déjà un rock cosmico-bizarre avec le groupe Epimanondas. Fin décembre, j'ai pris le koto et demandé à mes autres copains qui n'étaient pas musiciens de s'emparer des cordes et des percussions qui traînaient dans ma chambre et de suivre mes indications. Eric avait sa guitare, Antoine choisit la cythare autrichienne, et comme eux Philippe, Luc, Michaëla et Thierry se sont saisis de petites percussions. J'enregistrais et traitais électroniquement le résultat. Pierre, Eric et Luc ne sont plus de ce monde. Les autres continuent leur chemin, musicien, avocat, anthropologue, jardinier, réalisatrice, photographe... Sur la face B, Kommissaar Hjuler, qui a réalisé la pochette, utilise sa voix, des percussions et une bande magnétique pour une autre courte pièce qu'il a enregistrée en 2007 à Flensburg, une ville allemande à la frontière danoise. Je suis embêté parce que c'est un tirage limité à 25 exemplaires et numéroté. Faut-il que je vende les quelques exemplaires qui me reviennent, par exemple pour 30 euros, ou que je les mette aux enchères, ou encore devrais-je les garder pour les offrir à des journalistes ou historiens de la musique qui me sollicitent de temps en temps ?
Lorsqu'en 1975 j'ai fondé le label GRRR et produit Défense de, l'album devenu culte de Birgé Gorgé Shiroc, je trouvais juste l'idée du multiple à prix démocratique qu'offrait le disque en opposition à l'unicité d'un tableau ou d'un dessin. L'objet pouvait devenir domestique plutôt qu'être par exemple cantonné à un musée. C'est dire si aujourd'hui la spéculation sur les NFT me contrarie. L'argent n'a jamais été mon guide, même si j'ai longtemps ramé avant de gagner correctement ma vie. J'ai toujours choisi les projets pour l'intérêt qu'ils présentaient. Lorsque le budget global est conséquent je trouve normal de toucher ma part, mais s'il n'y a pas un rond il est hors de question que cela m'arrête. La passion pour mon travail ne m'a ainsi jamais quitté et j'ai fait des rencontres qui se sont avérées profitables sans que je m'y attende. Voilà, c'est un drôle d'objet qui me touche particulièrement et que j'aurais aimé partager avec le plus grand nombre. Le plus grand nombre est un concept assez paradoxal lorsqu'on connaît la vente actuelle de disques de musique, de musique bizarre a fortiori ! Et si vous me demandez de parler de ce disque, je suis encore plus embêté !

→ Jean-Jacques Birgé, Intervention d'une prière en miettes / Kommissar Hjuler, 9/8 enawarak, 33 tours 17 cm Fluxus +/- Psych.KG

mercredi 13 avril 2022

Le surchoix


À la troisième bouteille nous avions largement dépassé le stade des confidences pour entrer de plein pied dans les généralités sur le sens de la vie. Cette philosophie de bistro nous entraînera tard dans la nuit vers des horizons évidemment inaccessibles, puisque le propre de l'horizon est justement de repousser sans cesse ses limites au fur et à mesure que l'on s'en approche.
Il faut bien toute une vie pour comprendre qui l'on est, et encore ! Encore faut-il vivre suffisamment longtemps et avoir la chance et la force d'en recommencer perpétuellement l'analyse, jusqu'à ce que mort s'en suive, seule date butoir qui nous dispensera de la course d'obstacles et nous affranchira de la douleur. Car c'est bien à notre tolérance à la souffrance que l'on pourra jauger notre bonheur, concept d'ailleurs aussi volatile que l'horizon et l'instant présent. La souffrance que l'on inflige à nos proches n'est jamais que la projection de celle qui raisonne brutalement en notre chair, induite par les mécanismes de la psyché, séquelles d'une névrose familiale à laquelle personne n'échappe. Nous n'avons comme salut que notre détermination à l'identifier et à la circonscrire au passé, soit tout ce qui n'est pas soi, ce à quoi s'oppose l'être du cogito cartésien, moi, mes choix, mes désirs, désirs à ne pas confondre avec nos fantasmes, les uns relevant du rêve, les autres du cauchemar.
La médiocrité n'est pas l'apanage de l'autre. Notre colère ne s'exerce que dans ce qui nous meut. Renversant la citation rimbaldienne "je est un autre" sans la contredire, concédons que l'autre soit en soi. C'est celui-là qu'il s'agira d'accepter, d'apprivoiser délicatement, après en avoir subi les coups les plus rudes. Rien ne sert pour autant de se morfondre sur le passé, seul l'avenir offre des perspectives, le présent s'évaporant à l'instant-même où on le frôle. Ne pouvant revenir en arrière pour réparer nos erreurs, nous n'avons d'autre choix que de ne pas les perpétuer. La culpabilité ancestrale habillant les remords d'une morbide impuissance, la responsabilité ouvre grandes les portes de l'impossible, soit le réel. La seule question qui importe est celle du choix que nous exerçons, que nous nous devons de redéfinir sans cesse, et les méandres pour tendre vers ce but en deviennent accessoires. Jamais nous n'atteindrons quelque cible, car il ne s'agit pas d'une ligne, d'un segment, mais d'un vecteur. Notre propos est de tendre vers. De cette suite d'instants décisifs, répétables à loisir, naîtra l'homme nouveau, l'ève future, prêt à remettre inexorablement son titre en jeu.
Le matin ne pas se raser les antennes répétait le poète. Entendre que la sagesse vient en marchant et qu'il est doux de vieillir, maturation des vieux fûts qui accoucheront des prochains (que sera,) sera. La crise individuelle révèle celle d'une société incapable de se remettre en cause, d'imaginer qu'il puisse en être autrement. Résoudre l'une sans l'autre tient du pari stupide...

[12 ans après cet article du 5 août 2009, je me demande sincèrement à quoi nous ressemblerons]

Parti me coucher, j'ai la surprise de me réveiller au milieu de la nuit avec l'étrange impression d'avoir continué mes élucubrations jusque dans le sommeil. Mon réveil vaseux ayant mis fin à mes réflexions je me laisse à nouveau glisser dans les bras de Morphée. Tandis que ses ailes féminines me caressent le crâne, ma migraine s'estompe comme par enchantement.

mardi 12 avril 2022

Le grand écart


Le sol disparaîtra sous mes pieds. Si ce n'est sous les miens, la falaise s'effritera sous ceux de ma fille ou de mon petit-fils. Le grand écart. Quelle tristesse d'imaginer ma vie merveilleuse et celle qui se pointe à l'horizon ! Vain sentiment d'injustice. Ma génération a bénéficié d'une des plus clémentes périodes de l'histoire. Tous n'ont pas eu cette chance. Les guerres ont continué de faire rage, mais sur ce sol elles nous ont épargnés. Nous avons même rêvé que celle du Vietnam serait la dernière. Peace & Love. Quelle naïveté ! C'était mal comprendre le capitalisme, ravageur, suicidaire, criminel. La colonisation n'a fait que semblant de s'arrêter. Avides de matières premières, de métaux rares, de céréales pour nourrir nos porcs, de cacao pour adoucir nos palais, d'énergies fossiles pour aller toujours plus vite et plus loin, nous avons monté les uns contre les autres, exploité nos semblables et détruit notre planète. Il ne reste plus beaucoup de temps avant que les catastrophes se succèdent et s'ajoutent. Tous ne périront pas, mais la violence qui caractérise l'humanité s'exercera pire que jamais. Je ne comprends pas, c'est une énigme. À notre petit niveau hexagonal les enjeux écologiques disparaîtront du second tour de l'élection présidentielle, mascarade d'une prétendue démocratie. Les dés sont pipés. L'information est une blague. Si vous saviez... Oh quelques uns, quelques unes sont au courant de ce qui nous attend, mais très peu en regard des sept milliards d'individus sacrifiés sur l'autel de l'absurde. J'ai du mal à accepter que nous entrions dans l'obscurité alors que j'ai vécu de la lumière. Très vite je n'ai plus été dupe de mes utopies adolescentes, comprenant que le diable n'avait jamais lâché le pouvoir, celui de nuire, de nuire à tous, car à terme ceux qui croient y échapper condamnent leurs enfants. Mammifères parmi les autres, notre pouvoir de destruction est sans limites, ce qui ne nous empêche pas de donner des leçons de morale. Je cherchai la couleur, je ne trouve que la désolation de l'aveuglement et de la surdité. Au moins je comprends mieux le geste de Zweig, même si cette solution est trop égoïste pour qu'elle me tente. Ma curiosité me pousse à vivre autant que le hasard me le permettra. Mais en regardant les merveilles de la nature qui disparaîtront avec la montée des eaux, la chaleur grandissante, le "struggle for life" du chacun pour soi, je me sens vraiment très mal. Et puis, scrutant l'image, voir le goéland dépasser le petit bateau de pêche me laisse une toute petite porte de sortie, comme une bouffée d'air frais venant du large, car rien n'est vraiment prévisible, du moins la manière...

lundi 11 avril 2022

Le demi-siècle des Mothers


Après le coffret de 5 CD Live in Europe du premier groupe des Mothers of Invention (1967-1969) sorti il y a moins d'un mois, paraît cette fois officiellement, sur Universal, la seconde mouture du groupe avec un coffret de 8 CD exceptionnel, toujours en public. Il s'agit de l'enregistrement complet des quatre concerts du Fillmore East des 5 et 6 juin 1971 dont un montage de 44 minutes était sorti à l'époque sous le titre The Mothers Fillmore East June 1971. Les 3 derniers CD offrent le concert du 3 juin à la State Farm Show Arena d'Harrigsburg en Pennsylvanie, un extrait à Scranton le 1er, et une petite merveille, le concert du 10 décembre 1971 au Rainbow Theatre de Londres. Le répertoire est majoritairement le même, mais les variations sont phénoménales. Les pièces de résistance sont Billy The Mountain (joué cinq fois) et King Kong (trois fois). La présence, en invités sur six morceaux du rappel du quatrième concert, de John Lennon et Yoko Ono, fait évidemment évènement, même s'ils furent publiés sur l'album Playground Psychotics, mais dans une version insatisfaisante sur 2 pistes. En de rares occasions, des musiciens comme Archie Shepp ou Don Cherry montaient sur scène, mais l'exigence de précision de Frank Zappa le cantonnait à ses propres musiciens triés sur le volet. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il vire tous les membres du groupe original en 1970 et réunit les deux chanteurs des Turtles, Mark Volman et Howard Kaylan, le claviériste-saxophoniste Ian Underwood et le claviériste-synthésiste Don Preston (seulement à Londres) seuls survivants du passé, le batteur anglais Aynsley Dunbar qu'il a découvert au Festival d'Amougies, le bassiste Jim Pons et le claviériste Bob Harris (seulement à NY).
Pour le Fillmore East c'était la première fois que Zappa, qui enregistra tous ses concerts, utilisait un 16 pistes. Pour ce cinquantième anniversaire du groupe tout a été remixé. Le concert du Rainbow avait été très pénible pour le compositeur, tout le matériel des Mothers ayant brûlé à Montreux la semaine précédente (cf. Smoke On The Water de Deep Purple !). Mais le pire allait survenir juste après le rappel : un fou furieux, pensant que sa copine en pinçait pour le guitariste, précipita Zappa dans la fosse, ce qui l'obligea à passer l'année suivante en chaise roulante et sa voix, rééduquée, descendit d'une tierce. Il n'avait que 30 ans. À la fin du show, après la reprise de I want to hold your hand des Beatles et les applaudissements, on entend les bruits de la catastrophe que Zappa aurait laissés s'il en avait eu alors connaissance. Mais là, souffrant de plusieurs fractures, d’un traumatisme crânien, de blessures au dos, au cou, ainsi que d’un écrasement du larynx, il l'avait perdue.
À leur sortie, chaque album de Zappa et des Mothers of Invention était une surprise. Le suivant ne ressemblait jamais au précédent. Les échecs commerciaux des débuts et son souci de la perfection banalisèrent un peu sa musique à mes yeux, mais quoi que ce soit que je réécoute je reste bouche bée. Les concerts obéissent à cette perpétuelle renaissance qui n'est en fait que la recherche inassouvie de ses premiers émois musicaux et de son désir de composer de la musique savante tout en analysant le monde de son regard critique. Avec ses débuts ce sont d'ailleurs ces derniers enregistrements, en particulier avec l'Ensemble Modern, qui me ravissent le plus. J'ai souvent fois raconté ma rencontre avec Frank Zappa et l'annonce de sa mort le 4 décembre 1993 à l'âge de 53 ans. Il avait eu le temps de produire près de 70 albums (sans compter la quinzaine de pirates piratés de Beat The Boots) et son bunker continue depuis d'exhumer ses trésors, longtemps après.

→ Frank Zappa, The Mothers 1971, coffret 8 CD Zappa Records avec un livret rempli de photos, de présentations et d'entretiens, dist. Universal, 79,99 €

samedi 9 avril 2022

Astuce


Si vous avez des ami/e/s parmi les 28 musiciens et musiciennes extraordinaires qui ont participé au double CD Pique-nique au labo, demandez leur en un exemplaire, ils sont en leur possession :
Samuel Ber, Sophie Bernado, Amandine Casadamont, Nicholas Christenson, Médéric Collignon, Pascal Contet, Elise Dabrowski, Julien Desprez, Linda Edsjö, Jean-Brice Godet, Alexandra Grimal, Wassim Halal, Antonin-Tri Hoang, Karsten Hochapfel, Fanny Lasfargues, Mathias Lévy, Sylvain Lemêtre, Birgitte Lyregaard, Jocelyn Mienniel, Edward Perraud, Jonathan Pontier, Hasse Poulsen, Sylvain Rifflet, Eve Risser (Reve Ressir), Vincent Segal, Christelle Séry, Ravi Shardja, Jean-François Vrod ainsi que la plasticienne Marie-Christine Gayffier qui a réalisé le magnifique habillage graphique !
S'ils les ont déjà tous distribués, suggérez leur de venir en rechercher à la Grrrotte :-)
Si vous n'avez pas de telles fréquentations, vous pouvez le commander sur Bandcamp, aux Allumés du Jazz ou chez Orkhêstra...

vendredi 8 avril 2022

Home Sweet Grrr


J'embraye sur ce que m'inspire la photo de mon set. C'est probablement barbant si l'on n'est pas branché par le sujet... Lorsqu'on est entouré de machines la disposition est essentielle. C'est d'autant plus crucial quand il s'agit d'improviser. Les commandes doivent tomber sous les doigts, en aveugle. Dans la cabine des instruments acoustiques, ceux que je laisse toucher mes instruments ont la consigne de les remettre exactement à l'endroit où ils les ont trouvés. Je fais en sorte de pouvoir jouer les yeux fermés. L'opération est hélas impossible avec l'ordinateur, même si l'agencement des fenêtres sur l'écran obéit à une loi quasi identique. Entouré de claviers, j'ai l'impression d'être un de ces claviéristes pop des années 60-70 que j'allais écouter en concert. Keith Emerson, Mike Ratledge, Herbie Hancock, George Duke... En déplacement j'emporte le minimum, faisant louer un clavier lourd de 88 notes, alors que le studio me permet tous les délires. Et il reste un grand espace pour que mes invités se sentent à l'aise.
Il y a 16 ans j'avais écrit un petit article sur l'agencement du Studio GRRR. J'ai conservé tous mes instruments d'alors, mais je ne m'en sers plus beaucoup. Mon outil principal est le logiciel Kontakt, et sa déclinaison, Komplete, jumelé avec un clavier conçu pour lui, avec des boutons physiques. J'utilise également trois autres moteurs virtuels, UVI, Soundpaint et Roli. Les deux grands claviers du fond sont aujourd'hui vintage, un Ensoniq VX-SD et un Roland V-Synth, moins anciens tout de même que le PPG et le DX7SuperMax remisés dans la cabine. Je continue à m'en servir pour avoir programmé tous les sons qu'ils abritent. Le petit noir est un Roli 5D et le petit blanc est la réplique miniature (en taille) de mon premier synthétiseur, l'ARP 2600. De gauche à droite sur l'étagère, une radio branchée sur l'Enner, un Kaospad que traverse le Lyra-8. J'ai oublié l'appareil qui m'occupe le plus ces temps-ci, le Cosmos, station à mémoires dérivantes. Ces trois machines brintzingues sont des créations du fabricant russe Soma. En haut à droite on aperçoit un Waldorf que je n'ai pas allumé depuis belles lurettes. Dans le fond un Theremin, un AirSynth et un de mes synthés-jouets chinois dégottés chez Tati. Je vous épargne le hors-champ, cette énumération étant suffisamment fastidieuse.
Lorsque des visiteurs admirent les centaines d'instruments acoustiques qui encombrent la cabine, je rectifie. Ce n'est pas une "collection", mais des outils, les instruments de mon travail. J'ai juste la chance qu'il se confonde avec ma passion. Ce matin, je me suis levé à six heures et j'ai filé directement au studio pour chercher des sonorités inédites qui fonctionnent les unes avec les autres. Trois heures plus tard, repoussant mon fauteuil à roulettes, j'ai pris cette photo, parce que rien ne dit que le set soit le même la fois prochaine. L'après-midi j'accueillais l'électroacousticienne Gwennaëlle Roulleau avec qui j'enregistrerai un nouvel album à la mi-mai, reprenant ma série de rencontres initiée avec Pique-nique au labo.

jeudi 7 avril 2022

OTTO distord Bach


Je ne savais où je mettais les pieds, ou plutôt les oreilles. Jusque là, OTTO n'était pour moi qu'un album de Marc-Antoine Mathieu, un de mes auteurs de bande dessinée préférés. J'étais donc allongé sur le canapé avec le nouveau Télérama dont je ne feuillète toujours que les pages magazine. J'avais glissé Danses, le CD du groupe OTTO reçu le matin-même. Bach s'est imposé tout de suite, et puis la Bretagne, la danse et la transe. Le tricot m'a fait penser à la chanson Dévisage (index 13 et 29) que j'avais écrite et que Bernard Vitet avait mise en musique. Mon camarade adorait Bach. Je le trouvais trop mathématique, pas assez narratif. J'en suis revenu depuis, peut-être grâce à Glenn Gould. Et puis là j'ai accroché d'emblée à la guitare d'Ivann Cruz à laquelle la batterie de Frédéric L'Homme dessine un cadre. Il faudrait que vous voyiez le tableau. Les deux complices prennent le large. Ils débordent. L'électricité y pourvoit. Comme si Bach visitait leurs rêves. Ou comme s'ils essayaient de se souvenir des émotions ressenties lorsqu'ils l'avaient découvert, enfants, swinguant comme on danse dans les provinces où la musique continue d'animer les fêtes. Avec la distorsion que l'exercice impose pour y retrouver ses petits. Et lorsqu'ils commencent, ils n'arrivent plus à s'arrêter. Treize pièces du maître. L'ivresse de Jean-Sébastien Bacchus !

→ OTTO, Danses, CD Circum-Disc, dist. Les Allumés du Jazz / Atypeek (digital), sortie le 15 avril 2022

mercredi 6 avril 2022

Peaky Blinders à bout de souffle


Pourquoi les dernières saisons des meilleures séries sont-elles souvent ratées ? Mad Men avait ainsi déjà perdu tout son intérêt. La fin de Game of Thrones avait été bâclée. Récemment Le bureau des légendes n'avait pas su conserver sa rigueur exemplaire. La quadrature du cercle est un piège. À chercher à boucler la boucle, les scénaristes s'enferrent. Il n'est pas si simple de résoudre. En musique la coda est un art. Je n'ai jamais aimé les codas, j'ai toujours préféré terminer en l'air. Ce n'est pas une queue de poisson. Plutôt une ouverture. Une ouverture sur l'imaginaire de chacun plutôt qu'une manière de pouvoir un jour remettre le couvert. Alan Ball avait réussi un coup de maître avec le dernier épisode de l'inégalable Six Feet Under, histoire qu'aucun producteur ne l'exhorte à rallonger la sauce. Même chose avec The Wire de David Simon, passionnante jusqu'au bout.
La sixième et dernière saison de Peaky Blinders est une énorme déception. Triste et molle, elle essaie un autre ton, très sombre, mais la passion n'y est plus. Cillian Murphy n'est plus que l'ombre de lui-même et même la musique est ratée. Peut-être que les droits d'auteur des morceaux de rock ont grimpé avec le succès de la série ? Je ne "spoile" jamais rien, mais on peut franchement s'éviter cette désillusion. Tout semble tiré en longueur. Six épisodes qui auraient pu n'en faire qu'un, alors qu'on nous annonce un long métrage pour plus tard. Séquel séquelle. À être trop gourmand, la poule aux œufs d'or devient stérile.


Ces derniers temps j'ai préféré regarder la troisième saison de L'amie prodigieuse, produite par la RAI, que diffusera France-TV, un peu plus faible que les précédentes, donc inquiétude sur la quatrième et ultime à venir l'an prochain. Ou The Tunnel que je n'avais jamais vue ; la première saison de ce thriller franco-britannique est un remake de l'excellente série suédo-danoise Bron, mais les deux suivantes sont des scénarios originaux (Canal +). Ou la seconde de la dystopique Raised by Wolves (Warner TV) dont les premiers épisodes avaient été réalisés par Ridley Scott. J'ai regardé l'intégralité de l'israélienne Shtisel, plongée dans la vie d'une famille juive haredim, c'est charmant, un peu répétitif, intéressant, même si je préfère mille fois Unorthodox. La britannique Vigil qui se passe dans un sous-marin est un bon thriller. Je ne parle pas des séries déjà évoquées dans cette colonne ! Je n'ai terminé ni Severance (Apple TV+) ni la seconde saison d'En thérapie (Arte). La première, assez kafkaïenne, avec Adam Scott, John Turturro, Christopher Walken, Patricia Arquette, véhicule un humour absurde. J'ignore où cela va nous mener. La seconde semble du niveau de la première saison, cette fois réalisée selon les personnages par Agnès Jaoui, Emmanuelle Bercot, Arnaud Desplechin et Emmanuel Finkiel, avec toujours d'excellents comédiens, dont évidemment Frédéric Pierrot.
J'avais gardé un excellent souvenir de Frédéric Pierrot qui était le narrateur du spectacle et du CD Chroniques de résistance produit par nato et dans lequel ma fille Elsa chantait sept chansons. J'avais écrit les paroles de l'une d'elles sur une musique de Tony Hymas.

mardi 5 avril 2022

Une vie Parallèles


Tandis que les années 70 étaient évoquées je me disais que ce voyage dans le passé de la Librairie Parallèles ne parlait qu'à ceux qui l'avaient connue alors, et puis comme se présentent les années 80 qui m'avaient échappé j'ai été happé par la suite et j'ai rectifié ma pensée. Bien au delà de l'aventure des librairies parallèles, c'est le rôle formidable des libraires, véritables passeurs, que la réalisatrice Xanaé Bove montre dans son documentaire Une vie Parallèles. Pas seulement ces chantres de l'underground, de la presse alternative, des fans de fanzines et de publications politiquement critiques, mais ce métier formidable qui tient souvent du défricheur et du conseiller, vous aiguillant en fonction de vos goûts, un rapport intime avec le lecteur qu'aucun site marchand ne remplacera jamais...
Je suis ému de reconnaître Pierre Scias qui tenait la Librairie Actualités rue Dauphine. J'y avais découvert L'Art vivant ou la première mouture d'Actuel, les journaux anglais It et Suck, les dessinateurs Crumb et Shelton ; nous y achetions le Parapluie d'Henri-Jean Enu où notre camarade Antoine Guerreiro avait fini par placer des dessins ou L'enragé dont je possède l'intégralité, mais surtout nous pouvions y discuter politique et musique, deux sujets qui commençaient à se fréquenter à la rentrée 68 quand on s'intéressait au rock et à la révolution. Philippe Bone, Christophe Bourseiller, Françoise Droulers, David Dufresne, Patrice Van Eersel, Henri-Jean Enu, Marsu, Daniel Paris-Clavel, Géant Vert et d'autres témoignent de la création de la Librairie Parallèles, rue Saint Honoré près du trou des Halles, et de son évolution, mais ce sont aussi ceux que j'ai croisés qui font remonter mes souvenirs : Gilles Yepremian rencontré au Lycée Claude Bernard, Philippe Thyiere qui avait pris le relais par ses conseils avisés, Thierry Delavau qui avait commandé Utopie standard à Un Drame Musical Instantané pour la compilation CD Passionnément du label V.I.S.A., Guillaume Dumora toujours de bon conseil au Monte-en-l'air lorsque je désire savoir ce que devient la bande dessinée... C'est pareil avec la musique. Dans la bande-son je retrouve Red Noise, Crium Delirium, Fille qui Mousse, etc., même si j'ai manqué la période punk avec les Béruriers Noirs.


Les anars sont très présents dans cette histoire, parce que leur dogmatisme est toujours individuel contrairement aux autres gauchistes affiliés à tel ou tel groupuscule, parce qu'ils sont sensibles au rock (et au free jazz même s'il n'est pas évoqué dans le film), parce qu'ils sont à la recherche d'une autre vie que celle que leur proposent leurs aînés, les premiers donc à s'intéresser à l'écologie, à la vie en communauté, à tout ce que l'on appelait alors alternatif. Internet a supplanté le Catalogue des Ressources, mais celles et ceux qui sont attaché/e/s à l'objet ne jurent que par le papier, le fait-main, les œuvres qui se créent dans les marges. Une forme de résistance qui laisse toute sa place à la passion, enflammée, inextinguible.

→ Xanaé Bove, Une vie Parallèles, DVD Capuseen, 15€

lundi 4 avril 2022

Bangkok Scratch d'Etienne Brunet et Don Pengboon


Je me répète. Étienne Brunet pas. Le saxophoniste est un des rares expérimentateurs de la scène jazz. Ne s'endort jamais. Lorsqu'il enregistrait des disques physiques, chacun obéissait à un concept original. Lorsqu'il renvoyait la balle à des poètes il jouait les rimes. Lorsqu'il réalise ses clips vidéos il met le nez dans le code. Lorsqu'il écrit c'est cru. Les mots ne sont pas faits pour être admirés. Souvent en Thaïlande, comme une seconde patrie, il côtoie les musiciens du cru. Regardez. Ce sont les images d'un gamin. Étienne Brunet n'a pas besoin de retomber en enfance. Son intégrité est l'enfance de l'art. Pendant le confinement il mettait en ligne ses improvisations quotidiennes depuis son balcon. Il avait déjà chroniqué ses Nuits debout. Beaucoup devraient envier sa générosité et sa sincérité. Cela va au delà du style, au delà des notes. Il n'a jamais vraiment vécu de la musique, c'est elle qui a vécu de lui. La liberté se paie cher dans un monde où tout a un prix. Il s'en fiche. C'est de la monnaie de singe. Il fait tourner les éléphants comme Dali chez Disney ou Marker à Ljubljana.


Sa partition est un jardin de fleurs. Ses équipiers dansent du même pied. Un pied de nez à la société du spectacle qu'il connaît sur le bout des doigts. Le guitariste Don Pengoon est sur la même longueur d'onde. À deux ils forment une ronde. Un point d'orgue. Et c'est déjà fini. Tacet.

vendredi 1 avril 2022

Le retour d'Un Drame Musical Instantané


Le 14 février 2022 est un grand jour puisqu'il marque le retour d'Un Drame Musical Instantané, officiellement dissous en 2008.
J'ai rencontré Francis Gorgé en 1969 au Lycée Claude Bernard où nous fîmes notre premier concert deux ans plus tard. Nous jouerons ensemble au sein d'Epimanondas, ferons notre entrée fracassante en tant que Birgé Gorgé Shiroc en 1975 avec le disque devenu culte Défense de, enfin partagerons la fabuleuse aventure d'Un Drame Musical Instantané avant de nous séparer en 1992. Nous apparaîtrons exceptionnellement sur scène en 2014, peu après la mort de Bernard Vitet, troisième membre du trio infernal, à qui ce nouveau disque est tendrement dédié. Dominique Meens rencontrera le Drame l'année de sa fondation en 1976 ; l'écrivain enregistrera un album avec Birgé en 1984 et une dizaine avec Gorgé depuis 1992. Le plus sidérant est notre complicité à tous les trois, retrouvée telle quelle après tant d'années, exactement 30 pour Gorgé et moi !
Le temps d'une journée nous avons enregistré 15 courtes pièces que nous avons mixées le jour suivant. L'ordre est préservé, premières prises, aucune coupe, juste un rééquilibrage des voies. Si mes albums virtuels (exclusivement en ligne) sont souvent accessibles quelques jours après la séance, c'est la première fois que nous sortons un disque physique aussi vite, un mois après l'avoir enregistré. Les délais qu'impose habituellement la production sont trop souvent à contre temps de notre enthousiasme.
Les textes de Dominique Meens sont le fil conducteur de nos compositions-improvisations (Alouettes / Sus scofra / Alors voilà / Instantanés / Dos / Arenaria interpres / Courlis / Piquets / Tristes abois / Octobre / Hirondelle / Novembre / Le duc / Mettons / Bruchwasserläufer). Nous y trouvons les images que nous avons toujours recherchées partout où nous passons, plantant des décors qui donnent à leur tour des ailes au poète. Son texte Plumes et poils renvoie d'ailleurs à celui de Michel Tournier que le Drame avait soumis au regretté chanteur Frank Royon Le Mée. Le bestiaire fut toujours une source d'inspiration pour l'écrivain comme pour Francis, Bernard et moi.
La gravure de Gustave Doré qui orne la pochette laisse entrevoir une tragédie alors qu'il ne s'agit que d'une fable. Lorsqu'on ouvre le digipack, le mouvement de la photographie fait apparaître un autre instantané. Plume ou poil ? Plumes et poils, puisque nous faisons peau neuve, et toutes les références sont bonnes à prendre pour voler dans les plumes du vieux monde en prenant du poil de la bête...


Dominique Meens – texte / voix
Francis Gorgé – musique / guitare, échantillonneur / maquette graphique
Jean-Jacques Birgé – musique / clavier, trompette à anche, flûte, shahi baaja, appeau, guimbarde / enregistrement

→ Un Drame Musical Instantané, Plumes et poils, CD GRRR, dist. Orkhêstra / Les Allumés du Jazz, 15€

P.S.: livret téléchargeable gratuitement