Après le coffret de 5 CD Live in Europe du premier groupe des Mothers of Invention (1967-1969) sorti il y a moins d'un mois, paraît cette fois officiellement, sur Universal, la seconde mouture du groupe avec un coffret de 8 CD exceptionnel, toujours en public. Il s'agit de l'enregistrement complet des quatre concerts du Fillmore East des 5 et 6 juin 1971 dont un montage de 44 minutes était sorti à l'époque sous le titre The Mothers Fillmore East June 1971. Les 3 derniers CD offrent le concert du 3 juin à la State Farm Show Arena d'Harrigsburg en Pennsylvanie, un extrait à Scranton le 1er, et une petite merveille, le concert du 10 décembre 1971 au Rainbow Theatre de Londres. Le répertoire est majoritairement le même, mais les variations sont phénoménales. Les pièces de résistance sont Billy The Mountain (joué cinq fois) et King Kong (trois fois). La présence, en invités sur six morceaux du rappel du quatrième concert, de John Lennon et Yoko Ono, fait évidemment évènement, même s'ils furent publiés sur l'album Playground Psychotics, mais dans une version insatisfaisante sur 2 pistes. En de rares occasions, des musiciens comme Archie Shepp ou Don Cherry montaient sur scène, mais l'exigence de précision de Frank Zappa le cantonnait à ses propres musiciens triés sur le volet. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il vire tous les membres du groupe original en 1970 et réunit les deux chanteurs des Turtles, Mark Volman et Howard Kaylan, le claviériste-saxophoniste Ian Underwood et le claviériste-synthésiste Don Preston (seulement à Londres) seuls survivants du passé, le batteur anglais Aynsley Dunbar qu'il a découvert au Festival d'Amougies, le bassiste Jim Pons et le claviériste Bob Harris (seulement à NY).
Pour le Fillmore East c'était la première fois que Zappa, qui enregistra tous ses concerts, utilisait un 16 pistes. Pour ce cinquantième anniversaire du groupe tout a été remixé. Le concert du Rainbow avait été très pénible pour le compositeur, tout le matériel des Mothers ayant brûlé à Montreux la semaine précédente (cf. Smoke On The Water de Deep Purple !). Mais le pire allait survenir juste après le rappel : un fou furieux, pensant que sa copine en pinçait pour le guitariste, précipita Zappa dans la fosse, ce qui l'obligea à passer l'année suivante en chaise roulante et sa voix, rééduquée, descendit d'une tierce. Il n'avait que 30 ans. À la fin du show, après la reprise de I want to hold your hand des Beatles et les applaudissements, on entend les bruits de la catastrophe que Zappa aurait laissés s'il en avait eu alors connaissance. Mais là, souffrant de plusieurs fractures, d’un traumatisme crânien, de blessures au dos, au cou, ainsi que d’un écrasement du larynx, il l'avait perdue.
À leur sortie, chaque album de Zappa et des Mothers of Invention était une surprise. Le suivant ne ressemblait jamais au précédent. Les échecs commerciaux des débuts et son souci de la perfection banalisèrent un peu sa musique à mes yeux, mais quoi que ce soit que je réécoute je reste bouche bée. Les concerts obéissent à cette perpétuelle renaissance qui n'est en fait que la recherche inassouvie de ses premiers émois musicaux et de son désir de composer de la musique savante tout en analysant le monde de son regard critique. Avec ses débuts ce sont d'ailleurs ces derniers enregistrements, en particulier avec l'Ensemble Modern, qui me ravissent le plus. J'ai souvent fois raconté ma rencontre avec Frank Zappa et l'annonce de sa mort le 4 décembre 1993 à l'âge de 53 ans. Il avait eu le temps de produire près de 70 albums (sans compter la quinzaine de pirates piratés de Beat The Boots) et son bunker continue depuis d'exhumer ses trésors, longtemps après.

→ Frank Zappa, The Mothers 1971, coffret 8 CD Zappa Records avec un livret rempli de photos, de présentations et d'entretiens, dist. Universal, 79,99 €