Le sol disparaîtra sous mes pieds. Si ce n'est sous les miens, la falaise s'effritera sous ceux de ma fille ou de mon petit-fils. Le grand écart. Quelle tristesse d'imaginer ma vie merveilleuse et celle qui se pointe à l'horizon ! Vain sentiment d'injustice. Ma génération a bénéficié d'une des plus clémentes périodes de l'histoire. Tous n'ont pas eu cette chance. Les guerres ont continué de faire rage, mais sur ce sol elles nous ont épargnés. Nous avons même rêvé que celle du Vietnam serait la dernière. Peace & Love. Quelle naïveté ! C'était mal comprendre le capitalisme, ravageur, suicidaire, criminel. La colonisation n'a fait que semblant de s'arrêter. Avides de matières premières, de métaux rares, de céréales pour nourrir nos porcs, de cacao pour adoucir nos palais, d'énergies fossiles pour aller toujours plus vite et plus loin, nous avons monté les uns contre les autres, exploité nos semblables et détruit notre planète. Il ne reste plus beaucoup de temps avant que les catastrophes se succèdent et s'ajoutent. Tous ne périront pas, mais la violence qui caractérise l'humanité s'exercera pire que jamais. Je ne comprends pas, c'est une énigme. À notre petit niveau hexagonal les enjeux écologiques disparaîtront du second tour de l'élection présidentielle, mascarade d'une prétendue démocratie. Les dés sont pipés. L'information est une blague. Si vous saviez... Oh quelques uns, quelques unes sont au courant de ce qui nous attend, mais très peu en regard des sept milliards d'individus sacrifiés sur l'autel de l'absurde. J'ai du mal à accepter que nous entrions dans l'obscurité alors que j'ai vécu de la lumière. Très vite je n'ai plus été dupe de mes utopies adolescentes, comprenant que le diable n'avait jamais lâché le pouvoir, celui de nuire, de nuire à tous, car à terme ceux qui croient y échapper condamnent leurs enfants. Mammifères parmi les autres, notre pouvoir de destruction est sans limites, ce qui ne nous empêche pas de donner des leçons de morale. Je cherchai la couleur, je ne trouve que la désolation de l'aveuglement et de la surdité. Au moins je comprends mieux le geste de Zweig, même si cette solution est trop égoïste pour qu'elle me tente. Ma curiosité me pousse à vivre autant que le hasard me le permettra. Mais en regardant les merveilles de la nature qui disparaîtront avec la montée des eaux, la chaleur grandissante, le "struggle for life" du chacun pour soi, je me sens vraiment très mal. Et puis, scrutant l'image, voir le goéland dépasser le petit bateau de pêche me laisse une toute petite porte de sortie, comme une bouffée d'air frais venant du large, car rien n'est vraiment prévisible, du moins la manière...