Livraison des CD Plumes et poils d'Un Drame Musical Instantané au Souffle Continu et réception des 2 LP Dazibao de François Tusques en piano solo. Lorsque j'étais gamin, j'embêtais chaque fois le pianiste en lui demandant pourquoi il n'enregistrait plus sur piano préparé comme sur son disque de 1977 publié au Chant du Monde qui m'avait enchanté, me faisant connaître cet instrument en même temps que Hamonia Mundi publiait les Sonates et interludes de John Cage sur sa collection économique Musique d'abord, mais qui dataient tout de même de trente ans plus tôt. Je découvrirai plus tard les pièces d'Henry Cowell composées au début du XXe siècle qui inspirèrent Cage, et la nouvelle génération française, Benoît Delbecq, Françoise Toullec, Sophie Agnel, Ève Risser, Roberto Negro, Thibault Walter, Loris Binot... qui insèrent des petits objets sur la table d'harmonie pour faire sonner le clavier comme un gamelan ou un orchestre de cordes et percussion. J'ai attendu tout ce temps-là. Et même encore un disque, puisque c'est seulement sur le second volume de ces Dazibao que je retrouve mon émotion de jeune homme.
Sur le premier, c'est le Tusques jazz et free, comme celui avec lequel notre vieux camarade commun Bernard Vitet fera son dernier concert. Militant maoïste, le pianiste bluesy donne à ses morceaux des titres longs comme le bras, avec le poing levé au bout. Il salue les frères d'armes de l'époque, Don Cherry, Sunny Murray, Clifford Thornton, la troupe du Chêne noir, Michel Le Bris et les 100 fleurs. Le second se rapproche des Black Panthers, comme sur la suite de l'album Répression de Colette Magny dont Tusques composa la musique. Mais le piano préparé lui fait prendre des libertés qu'il n'avait pas soupçonnées à l'origine. J'adore.
Au début des années 70 nous clamions, avec raison, que tout est politique. Cette notion s'est hélas un peu perdue. Pourtant le quotidien influe sur l'inspiration des artistes. Et Tusques de revendiquer avec justesse les contradictions inhérentes à son statut. La conscience qu'un artiste a du monde oriente sa manière de le traduire, au filtre de son analyse, de sa révolte et de son imagination. Les styles ne viennent pas de nulle part, ils réfléchissent l'environnement dans lequel ils ont été dessinés. Hier comme aujourd'hui, la musique est un miroir du monde, une poésie sans paroles qui dresse des constats, terribles et merveilleux, affligeants ou pleins d'espoir.

→ François Tusques, Piano Dazibao / Dazibao n°2, 2 LP Souffle Continu (rééditions du label Futura de 1970/1972), 23€ chaque ou 42€ les deux