C'est reparti pour un tour. On me demande souvent comment j'ai l'inspiration d'écrire chaque jour un nouvel article depuis 17 ans. Même s'il possède des spécialités, le blog est généraliste, ce qui déjà laisse un champ large. Ensuite je ne me force jamais. Il faut que les mots s'inscrivent librement sur la page. Aucun article de complaisance, si ce n'est avec moi-même ! Les sujets peu ou pas abordés du tout par la presse sont privilégiés. Je chronique de préférence le travail de jeunes artistes méconnus ou de vieux oubliés, des produits de niche, des objets inclassables, toujours dans un esprit positif. Éviter de blesser qui que ce soit par un article négatif. Choisir ce qu'on aime aide à trouver l'inspiration. Il m'arrive de temps en temps de déroger à cette règle lorsque je prends le contrepied de ce qui est diffusé à grande échelle. Un bon coup de gueule est parfois salutaire. La doxa me fait braire. Je développe une aversion particulière pour travail famille patrie ou l'hypocrite liberté égalité fraternité. L'injustice me fait grimper aux rideaux. En vieillissant je fais cela plus sereinement. Ayant participé à de nombreux journaux et revues, j'apprécie la liberté totale que m'offre ce journal extime. Je ne suis jamais réécrit, mais j'ai souvent bénéficié d'une première lectrice qui pointait mes à-peu-près ou mes répétitions. Internet permet aussi de corriger instantanément la moindre erreur. Je vérifie mes sources, c'est probablement ce qui me prend le plus de temps. Trois heures par jour. Comme je dors à peine plus, il me reste un temps considérable pour faire de la musique, rêvasser ou aller me promener. J'écoute, regarde, lis tout ce que je reçois. Parfois je zappe lorsqu'il y a maldonne. C'est un travail de veille incessant pour dégotter des œuvres importantes passées à l'as ou pour essayer de comprendre le sens des choses, une raison de vivre. J'évoque aussi mon propre travail. La première personne du singulier est capitale. Glisser du personnel dans l'universel et réciproquement est la règle que je me suis fixée. Ne rien écrire sans un point de vue qui me soit propre. Changer d'angle.
Incapable de me fondre dans un moule, je pratique par contre facilement l'autodiscipline. Cela commence très tôt le matin en fouillant les nouvelles sur la Toile. Mes idées les plus personnelles peuvent ensuite surgir pendant le passage au sauna où je suis seul, coupé du monde extérieur. C'est encore plus facile si je sors de ma caverne et arpente le monde. J'en prends alors plein la figure. C'est le retour du social. J'ai également la chance d'avoir des rabatteurs, ami/e/s fidèles qui m'indiquent des chemins de traverse. Le plus important est la première ligne, le fil se déroule ensuite tout seul. Si je me relis, c'est à haute voix que c'est le plus efficace. Question de rythme. Il faut que ça swingue. Je suis toujours surpris que les billets les plus intimes, si impudiques que j'hésite à les publier, sont ceux qui rencontrent le plus de sympathie. Mes limites sont fixées par le regard de ma fille que je ne souhaite pas bouleverser. Peut-être qu'avec le temps, si je continue encore longtemps, je pourrais m'en affranchir. Il y a certains tabous que je n'aborde qu'oralement, mais je me pose mille questions. Penser par soi-même interroge systématiquement ce qui est couramment admis. Nous sommes fragiles. J'ai parfois le vertige. Avoir produit plus de 5000 articles risque la répétition, le rabâchage (sic). Je me dis qu'il y a des choses qu'il est important de ressasser, que mes lecteurs et lectrices ne sont pas si assidus, qu'il faut enfoncer le clou. Dans cet esprit, depuis peu je publie de très anciens articles que je mets à jour, en particulier les liens. Et puis, c'est comme une chanson, ici il y a des couplets, mais aussi des refrains.

Illustration : l'encyclopédiste par Louis-Michel van Loo (détail)