70 septembre 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

vendredi 30 septembre 2022

De la chaleur


J'avais froid. Trop tôt pour allumer la chaudière. Je ne peux pas travailler avec les mains gelées. Le studio est heureusement équipé de radiateurs électriques. On ne fait jamais passer la chauffage central dans un lieu d'enregistrement. Les sons extérieurs seraient diffusés par la tuyauterie. La nuit je me glisse sous la couette, mais le jour ? Le jour j'accumule les épaisseurs. Plus on monte dans les étages, plus il fait froid l'hiver et chaud l'été. Je pense sérieusement à faire isoler la toiture par l'extérieur ; il faudra retirer et remettre les tuiles. Après des journées bien chargées, j'avais décidé de bouquiner dans le salon. Mais j'avais froid. Alors je me suis allongé devant la cheminée. Ce n'est pas compliqué, j'ai toujours un feu tout prêt. Papier journal, brindilles, branches et bûches. Ça part tout seul. Parfois ça crépite. En 1985 nous avions enregistré le feu dans l'âtre et nous l'avions ralenti pour Les gueules cassées du disque d'Un drame musical instantané Carnage. Le label Tigersushi l'avait repris en 2003 sur le CD de sa compilation K.I.M. Miyage. Il y a un magnifique effet Döppler quand passe une voiture de police sur le boulevard Ménilmontant. Mais ici la rue est calme. S'il y a quelques portières qui claquent ou des cris d'enfants à l'heure des mamans ou des papas, j'ai surtout l'habitude du chant des oiseaux et du miaulement des chats. Bon, je n'ai pas fait tout ça pour recommencer à travailler, je voulais simplement me reposer au coin du feu. Relire quelques vers écrits hier soir.

jeudi 29 septembre 2022

Le bureau de mon père


En fouillant les archives familiales pour trouver des papiers administratifs concernant le décès de ma tante Catherine, je suis tombé sur une photo du bureau napoléonien que mon père allait enfin remplacer par des meubles modernes. Nous étions dans les années 60. Je devais avoir 13 ans. La bibliothèque, le bureau et le miroir était un ensemble si kitsch que mon père avait choisi un papier peint vert olive avec des couronnes dorées, peut-être par humour. Il en avait. J'imagine que ces meubles lui venaient de son propre père, reste de ceux qui n'avaient pas été volés par les Allemands après l'arrestation de mon grand-père et sa déportation, ce qui pourrait expliquer qu'il les ait conservés jusque là, à moins qu'il ait été tellement dans la dèche que l'idée ne lui serait pas venue. Après avoir vécu dans un meublé au 36 rue Vivienne dans le IIe jusqu' à mes 5 ans (je traversais seul la Place de la Bourse pour aller à l'école), nous avions déménagé pour un rez-de-chaussée 17 rue Léon Morane dans le XVe (devenue depuis rue des Frères Morane), et là, à Boulogne près de la Porte de Saint-Cloud, au 59 rue des peupliers (il y en avait de très hauts), ma petite sœur et moi avions enfin chacun notre chambre (nous avions 8 et 11 ans). Jusque là nous avions des lits gigogne et il fallait sortir le sien de dessous du mien et le déplier chaque soir. Je me souviens que dans ce nouvel appartement, au quatrième étage, nous avions des balcons et le chauffage venait du sol, un linoléum marron. Le tableau de mon père peint par mon oncle Gilbert Martin est accroché dans l'escalier de ma cave et j'ai récupéré la table basse en marquèterie réalisée par ma tante Arlette. Le reste a disparu, y compris les livres qu'on ne voit pas derrière les grillages. J'ai presque tout vendu. Il y en avait 7000 à la maison. C'était leur histoire, pas la mienne...
Au dernier étage de cette bibliothèque était rangé l'enfer de mon père. C'est ainsi qu'on appelle une collection de livres érotiques. Un soir que mes parents sortaient au cinéma, il me montra l'étagère du haut en m'interdisant astucieusement de les lire. Dès qu'ils furent partis je m'empressais évidemment d'y aller voir et je reçus tout de même un sacré choc avec certains comme les Cent vingt journées de Sodome du marquis de Sade ou les Onze mille verges d'Apollinaire. Il y avait également des photographies licencieuses des années 50 et de très beaux ouvrages graphiques (dont j'aimerais encore vendre certains). Vous pouvez imaginer que le jeune adolescent que j'étais tira largement profit de l'intégralité de cet enfer.
Nous avons finalement déménagé pas loin, 26 route de la Reine, dans un magnifique appartement dont la principale qualité était la terrasse de 200 mètres carrés qui couvrait tout l'immeuble, lieu de belles fêtes psychédéliques avant mon départ du cocon familial lorsque j'eus 19 ans. Après des années de location, mes parents ont fini par l'acheter, et ma sœur et moi l'avons vendu à la mort de ma mère, mon père étant décédé trente ans plus tôt.

mercredi 28 septembre 2022

René Lussier au diable vert


Depuis Le trésor de la langue les disques de René Lussier sont toujours attendus. Si le guitariste utilise énormément le doublage instrumental suivant la prosodie des voix parlées, ce qui fit sa renommée, ce nouveau Au diable vert est particulièrement zappien avec ses changements de rythmes brusques et ses orchestrations inventives. Les deux batteries jouées par Robbie Kuster et Marton Maderspach, les deux basses, soit celle de René Lussier et le tuba de Julie Houle, l'accordéon ou le marimba de Luzio Altobelli composent des couleurs inattendues. S'ajoutent ici ou là les clarinettes de Guillaume Bourque, le trombone d'Alain Trudel, les ondes Martenot de Takashi Harada. Les voix sont prépondérantes, que ce soit celles de Chris Cutler ou Koichi Makigami, des musiciens du quintette ou du psy de Lussier, d'un chat errant ou des grenouilles printanières, toujours utilisées avec humour et virtuosité ; fictionnalisées, documentées, elles soulignent le style inimitable du Québécois, même si d'autres s'y sont essayés. On retrouve aussi ce mélange d'entrain communicatif, d'insouciance revendicatrice et de swing raide, typique des musiciens libres du Québec. Il faut probablement en chercher les sources dans l'usage du français dans un pays majoritairement anglophone pour ne pas dire colonisé par les États Unis, patrie de l'entertainment, dans son climat bipolaire et dans le déni de l'histoire de sa fondation. René Lussier le sait bien, il l'a souvent mis en musique et en spectacle. Chaque fois il nous rend plus proche ce bout du monde où il vit, ce Diable (vau)vert qui existe au delà des limites, de l'entendement.

→ René Lussier, Au diable vert, CD Circum-Disc/ReR Megacorp, sortie le 30 septembre 2022

mardi 27 septembre 2022

Disparition de ma tante Catherine


Ma tante Catherine Bloch est décédée il y a quelques jours. Jeune sœur de ma maman, de dix ans de moins qu'elle, elle était la dernière représentante de la génération précédente. En général lorsqu'on parle d'une délivrance nous faisons référence à une maladie extrêmement douloureuse ou à un état végétatif qui ne rime plus à rien. En ce qui la concerne elle passa toute sa vie à côté de la plaque et depuis de nombreuses années elle était devenue épouvantablement seule et malheureuse. Parfaitement égoïste, la seule des trois sœurs à se savoir folle, elle inspirait à sa famille et ses voisins plus de pitié qu'autre chose, aussi loin que je m'en souvienne. Avec ma sœur Agnès nous avons tenté de l'extirper des griffes de brigands qui la déplumaient régulièrement, au point qu'elle vendit il y a deux ans son appartement en viager pour céder à la pire des piranhas qui ne manquait pas de la battre lorsqu'elle résistait. Elle nous implora de ne pas la mettre sous tutelle, ni porter plainte, ce qui l'angoissait plus que les malversations et sévices qu'elle acceptait d'endurer. Après tout, c'était son choix, nous l'avons respecté. Le plus pénible était ses coups de téléphone, répétés en pleine nuit à une heure d'intervalle, lorsqu'elle craignait que nous risquions d'intervenir pour la protéger. Notre dernière conversation remonte à seulement quelques jours. Elle ressassait toujours la même chose, ses insomnies avec inversion du rythme nycthéméral (elle réveillait ma mère à des heures impossibles), ses problèmes de boyaux qui la faisait s'appuyer sur le ventre en se couchant par terre si elle avait avalé un petit pois (Françoise avait tourné un court métrage autour de ses problèmes de caca. Une vie de merde, vous dis-je, même si cela faisait rire, jaune, ses sœurs lorsqu'elle se mettait debout pour péter sans bouger de sa place au restaurant !), ses médicaments (hypocondriaque, plus aucun médecin ne voulait la voir ou lui répondre, même les pompiers, en désespoir de cause elle était allée jusqu'à appeler la protection civile !), sa solitude extrême qui explique qu'elle avait cédé à des escrocs qui lui signifiaient évidemment quelque intérêt de présence. Les vieilles personnes seules sont des proies faciles. C'est terrible, nous ne pouvions pas faire plus que ce qu'elle nous autorisait et se permettait à elle-même. Elle avait pourtant été une jeune femme brillante, ingénieure de haut niveau chez IBM, et même une très jolie femme, mais elle avait pété les plombs très tôt, vivant avec mon grand-père jusqu'à sa mort pour partir ensuite avec la mère de sa meilleure amie qui s'est aussitôt brouillée. N'y voyez aucune assumation quelconque, la semaine dernière elle se posait encore des questions sur sa sexualité jamais libérée. Ma sœur partageait ma tristesse à ne pas savoir comment l'aider et mes deux cousins avaient fini par ne plus répondre à ses coups de fil intempestifs et déplacés. Les voisins se sont inquiétés de ne pas la voir, l'épicier idem, les pompiers l'ont découverte. Pour l'instant je n'en sais pas plus. J'ai choisi une photo sympa où elle est entourée par ses deux grandes sœurs. Maman (à droite) est partie le première en 2019 à 90 ans (Catherine n'est pas allée la voir les dernières années alors qu'elle habitait à cinq cents mètres, car elle angoissait de marcher jusque là), Arlette (à gauche) a suivi en 2020 à 95 ans, Catherine allait en avoir 83. Nous avions convenu de nous rappeler en novembre pour nos anniversaires.

lundi 26 septembre 2022

YOU, un trio


La batteuse Héloïse Divilly a mis en musique les poèmes de son père, Vincent Divilly. Linda Oláh les chante. Guillaume Magne les scande à la guitare électrique. C'est donc un trio, et chacune, chacun, est à sa place, indispensable, pour constituer le son du groupe YOU. Sur deux pièces, Sébastien Palis tient les synthés. À mes oreilles ça sonne rock, comme Soft Machine jusqu'au Third, et ça marche. Marche au bord de la mer, sous le vent, la nuit. On sent l'encerclement de l'île. Est-ce la Réunion où est née la compositrice ? Ou bien la mer d'Irlande d'où vient son père ? Je ne connais ni l'une ni l'autre. La langue anglaise et les rythmes laissent supposer un souffle du nord. Linda Oláh est suédoise. Dans la Baltique aussi il y a des îles, des dizaines, peut-être des centaines. Je me souviens d'Öland, j'avais 19 ans, j'étais amoureux, pour la première fois. Vingt ans plus tard, en barque avec une autre dans l'Archipel de Stockholm. Encore vingt autres années, je marche sur Utö, toujours amoureux, une troisième. Ce ne furent pas les seules, heureusement, merveilleusement. Les amours sont des îles ou des ailes, comme on voudra, comme on les aime. Il en existe des petites et des grandes. Rien d'autre qui vaille. La musique est une histoire d'amour. Perpétuelle. Répétitive. Mais chaque cycle est différent si l'on s'y applique. Pour se réinventer. Pour apprendre. Pour grandir. Pour aimer mieux. Toujours mieux. Et chaque disque est une nouvelle aventure. Une histoire d'amour, filiale ou amicale, secrète ou explicite, incroyablement magique. Parce que partagée.



→ YOU, Winds, CD Les Vibrants défricheurs, dist. InOuïes

vendredi 23 septembre 2022

Première de mon film demain samedi au Musée du Quai Branly


J'écris "mon film", mais c'est en réalité une œuvre collective de sept réalisateurs audiovisuels à partir de mon disque Perspectives du XXIIe siècle sorti sur le label du MEG, le Musée d'Ethnographie de Genève. Mes compagnons de route sont donc Sonia Cruchon, Nicolas Clauss, Valéry Faidherbe, Jacques Perconte, John Sanborn et Eric Vernhes, de fameux artistes qui m'ont fait un magnifique cadeau en interprétant librement douze des quinze index du CD. J'écris aussi "en réalité" alors que nous sommes en plein imaginaire puisque l'action se situe en 2152, après la catastrophe. Là encore j'écris "imaginaire", mais j'ai composé l'œuvre musicale juste avant la crise sanitaire qui a bouleversé la vie de la planète, jusqu'à penser l'avoir anticipée. Le confinement ayant fortement pénalisé la sortie de l'album par des reports successifs et finalement l'annulation de sa première, j'en profitai pour produire sa mise en images avec le soutien gracieux de mes camarades. Et puis finalement demain samedi est la première sortie publique du film, mais aussi de la création musicale dont seule la presse avait rendu compte jusqu'ici (Le Monde Diplomatique, ÉLU Citizen Jazz, Le Monde, L'Autre Quotidien, Nato-Music, RTS Vertigo, RTS L'écho des pavanes, Revue & Corrigée, Vital Weekly...). Je suis donc heureux d'annoncer la projection de Perspectives du XXIIe siècle ce samedi 24 septembre à 17h dans un lieu prestigieux, le Musée du Quai Branly, dans le cadre de Arts et humanités numériques dans l'ethnomusicologie organisé par la Société française d'ethnomusicologie et le British Forum for Ethnomusicology (les intertitres, sur le modèle des films muets, sont en français et en anglais). Attention : pour assister à la projection, s'inscrire impérativement pour des raisons de sécurité à jetu2022@ethnomusicologie.fr


Perspectives du XXIIe siècle est écrit sur la base d’un scénario d’anticipation où les survivant-e-s de la catastrophe de 2152 vivent sur les ruines du MEG. Ils décident de se reconstruire à partir des archives découvertes sur place, en s'appuyant sur des musiques fonctionnelles, chants de marche, chants de travail, berceuses, rituels, etc. L’œuvre mêle des instruments acoustiques dont certains appartiennent aux collections du MEG, des instruments virtuels, des ambiances et des archives sonores. Y ont participé le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang, le violoniste Jean-François Vrod, le corniste Nicolas Chedmail, le percussionniste Sylvain Lemêtre, la chanteuse Elsa Birgé et 18 voix du monde. La musique originale intègre 31 pièces enregistrées entre 1930 et 1952 et réunies par Constantin Brăiloiu (1893-1958), fondateur des Archives internationales de musique populaire (AIMP) déposées au MEG à Genève et référence majeure dans le domaine des musiques traditionnelles.


J'ai ensuite supervisé les douze chapitres cinématographiques basés sur l'œuvre discographique avec l'aide de Sonia Cruchon qui en a réalisé cinq. Je remercie chaleureusement Madeleine Leclair qui m'a commandé l'œuvre musicale et m'a accompagné pendant l'année que j'ai passée à l'écrire, et François Picard qui a eu l'idée de programmer le film ce samedi.

Perspectives du XXIIe siècle, samedi 24 septembre à 17h Musée du quai Branly (salle de cinéma), s'inscrire impérativement pour des raisons de sécurité à jetu2022@ethnomusicologie.fr
P.S.: cela fonctionne, même si vous n'avez pas reçu de confirmation !


→ CD en écoute sur SoundCloud
Dossier complet sur le site du MEG - Portfolio in English
Articles (work in progress) sur ce Blog
Commande du CD MEG-AIMP 118, dist. Word & Sound

jeudi 22 septembre 2022

Rencontre du troisième type


Monsieur Django n'est pas content que Madame Aubergine lui pique la vedette et tienne seule le crachoir au Spoutnik qui ressemble comme deux gouttes d'eau à un chou-rave. C'est un tendre, mais il y a des ovnis qui lui font peur, d'autres qui l'attirent. Django préfère donc le violet clair au foncé, les tiges fanées à la moumoute verte. J'ai dû lui arracher pour mon déjeuner. Mariné dans l'huile d'olive et du sel, puis arrosé de citron et saupoudré de graines de sésame, le chou qui garde son croquant est délicieux. Je crois me souvenir que c'est une recette d'Ottolenghi. Quant à celle au grand nez, je n'ose (in French) pas la cuire comme si de rien. Le chat, lui, a quitté hier sa résidence estivale pour rentrer au bercail. Toutes ces dernières semaines il dormait pas loin, dans les fourrés. Il a donc réintégré ses pénates hier soir, a regardé le film avec la petite Oulala et moi, et s'est endormi sur le lit. Il fait froid à Paris, alors qu'à Nantes nous étions en T-shirt l'après-midi. J'ai allumé le feu dans la cheminée et cuisiné une nouvelle ratatouille dont je garde une partie au congélateur pour cet hiver lorsque Boris, notre extraordinaire maraîcher de l'Amap, ne fournira plus que des tubercules. J'ignore comment il sculpte ses solanaceae, car il n'utilise aucun engrais, même biologique. En tout cas, ça ne nourrit pas seulement l'estomac, mais comble mon esprit en quête de raconter n'importe quoi avant le billet plus sérieux de demain.

mercredi 21 septembre 2022

Matthieu Donarier explore un bestiaire sans animaux


Beau quartet réuni par le saxophoniste-clarinettiste Matthieu Donarier sur l'excellent label hongrois BMC, avec Ève Risser au piano, avec ou sans préparations, Karsten Hochapfel au violoncelle (on est obligé de préciser, entendu qu'il est à la guitare électrique avec Naïssam Jalal, parfois à la guitare portugaise ou bulgare avec Odeia, etc.) et Toma Gouband à la batterie, quand il ne frappe pas des pierres ou se saisit de plantes. Le ténor donne à ce Bestiaire #1 | Explorations un son jazz, même si les musiciens s'en échappent. Si une large place est laissée à l'improvisation, ces explorations sont composées avec détermination, orientant la découverte sur les pentes escarpées. Comme si le ténor incarnait ce Russell Twang et ses acolytes les paysages se succédant au gré des plages. Nous traçons au milieu des faux-semblants. Pas un seul animal en vue, mais la fiction d'un naturaliste extirpé de son laboratoire et confronté au terrain. Et si les bestioles étaient en fait des mammifères capables de s'exprimer en musique ?

→ Matthieu Donarier, Bestiaire #1 | Explorations, CD BMC, 11€, sortie le 23 septembre 2022

mardi 20 septembre 2022

Sur l'eau là c'est Lola


Nous prenons le bac à vélo, en auto ou à pied. Il fait le va-et-vient toute la journée entre les deux rives. C'est gratuit. Il s'appelle Lola. Nantes oblige. J'y suis en perme. De l'autre côté de la Loire l'herbe est plus verte. C'est de là que je filme. Pas facile de manœuvrer quand le fleuve coule à contre sens de la marée. Avec la sécheresse l'eau là est plus salée qu'auparavant. La salinité et la boue posent des problèmes inquiétants pour la rendre potable. Cet été la limite avait été atteinte. On continue à faire comme si de rien. Au bord, les maisons sont en zone inondable. En période de crue les prés que nous traversons sur des pontons deviennent des marais. Je me demande si des sous-marins nucléaires sortent de l'usine Naval qui est en face de Basse-Indre. On se pense au vert, mais les maisons sont construites sur le granit, comme une grande partie du pays. Pour compenser la radioactivité il est nécessaire d'aérer dix minutes par jour minimum, hiver comme été. Sans compter les gigantesques poteaux haute tension qui enjambent la Loire à Haute-Indre. Et partout s'implante la 5G dont les ondes s'ajoutent au rayonnement de nos smartphones. Je n'y connais rien, si ce n'est au rayon culinaire, mais je sens bien que la donne n'est plus du tout la même depuis que Demy a filmé Lola en 1960...


Nous marchons vers La Roche Ballue ou La Montagne. De temps en temps j'imagine déménager par ici, histoire de me rapprocher de ma fille, de mon petit-fils, et respirer plus profondément que dans la torpeur du Bassin parisien. Mais il faudrait que la maison soit au moins aussi accueillante que l'actuelle, avec en plus un studio-théâtre. Je souhaiterais enregistrer les séances d'improvisation en public. J'aime jouer en concert, mais ranger, déplacer, monter, démonter, remporter, replacer et recâbler mon imposant matériel a toujours été pénible. Le rêve est de laisser tout branché et qu'il n'y ait plus qu'à allumer. L'actuel studio GRRR permet de recevoir une demi-douzaine de joyeux drilles, mais il n'y a pas de place pour des spectateurs. Les invitations courraient sur plusieurs jours au lieu d'une journée, histoire de prendre l'air, l'air et les paroles, parce que ce sont avant tout des rencontres d'amitié, une manière d'apprendre à se connaître, sans contraintes sociales ou économiques, pour retrouver les sensations de notre jeunesse quand il n'y avait d'autre enjeu que la passion. C'est le propos de tous nos Pique-nique au labo qui se poursuivent sur la Toile, et plus tard, au gré des affinités découvertes. L'idée est aussi de créer localement du lien social. Je ne me plains pas. Mes pieds nus sont vernis. S'il est déjà formidable de partager ce qui est, on ne peut se contenter des acquis. Il est indispensable de voir toujours plus loin. Remettre son titre en jeu, jouer comme les enfants que nous n'avons jamais cessé d'être, être au futur, cet état vectoriel qui m'anime depuis toujours.

lundi 19 septembre 2022

Erwan Keravec, la cornemuse qui frise ou défrise



L'interprétation de la pièce In C de Terry Riley au 104 par vingt sonneurs sous la houlette d'Erwan Keravec fut absolument vertigineuse. Les musiciens perchés sur des estrades entouraient le public médusé. Certains avaient fini par s'asseoir en tailleur, d'autres tournaient autour, à l'intérieur ou à l'extérieur du cercle, comme si la nef était un stūpa. Il abritait en effet une relique, puisque In C, composée en 1964, est considérée comme la première œuvre du courant minimaliste américain que nous appelions alors répétitif. J'en connaissais une bonne vingtaine d'interprétations, mais celle-ci fut particulièrement magique, sorte de monstre tellurique où les bombardes aiguës, les cornemuses, les bombardes barytons créées pour l'occasion, les sirènes varésiennes enveloppaient les spectateurs hypnotisés par ce bagad aux accents contemporains...


Le mois prochain sortira le CD Sonneurs 2 avec des pièces de Pierre-Yves Macé, Dror Feiler, Philip Glass (Music in Similar Motion), Jessica Ekomane et, ma préférée, Antienne pour les jours de fièvre de Frédéric Aurier, probablement parce qu'en plus du quatuor où l'on retrouve Mickaël Cozien au biniou, Erwan Hamon à la bombarde, Gwénolé Keravec aux trélombarde et bombarde baryton figure le Quatuor Béla, soit Aurier au violon avec le violoniste Julien Dieudegard, l'altiste Julien Boutin et le violoncelliste Luc Debreuil. Les anches doubles frisent les oreilles, ce qui peut défriser plus d'un auditeur. Il faut entrer dans le son pour en apprécier les nuances, ouvrir les fenêtres, quitte à se brouiller avec ses voisins, parce que c'est une musique qui a besoin d'air et d'espace, puissante, agressive, mais fondamentalement libre, comme le fut le free jazz par exemple. Voir, entre autres, mes articles de 2016 et 2017 ! Erwan Keravec réussit à sortir la cornemuse et le bagad de leur environnement traditionnel sans trahir les sources, racines qui n'en finissent pas de grandir jusqu'à rejoindre le futur.

→ Erwan Keravec, Sonneurs 2, CD Buda Musique, dist. Socadisc, à paraître en octobre 2022

vendredi 16 septembre 2022

Le presbytère n'a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat


Les couleurs sont à peu près les mêmes qu'avant. Dehors comme dedans. Devant, bleu gendarmerie, que j'appelais Klein pour me rassurer, et son complémentaire, orange, moins rouge que précédemment, se rapprochant plutôt de la mandarine même s'il s'appelle canicule. La maison des voisins étant jaune, il y a vingt ans je m'étais aligné par souci d'homogénéité urbanistique. La mienne est toujours bleu ciel, intense, sans nuages, avec la fresque d'Ella & Pitr au fronton. J'ai raté le cliché incroyable où trente touristes la photographient tous ensemble, mais j'ai tout de même entendu les explications de leur guide. Nous faisons dorénavant partie du tour. Ce sera pour une prochaine fois. Pas de photo de la façade aujourd'hui...


Derrière, on retrouve donc l'orange, mais jaune et vert lui répondent. Si le mur de la rue avait dix ans, le jardin s'était terni après vingt ans sans retouche. Comme je ne vole plus vers des destinations exotiques, je voyage avec les couleurs. Ou en suant sur mon vélo d'appartement ; depuis une semaine j'ai ainsi pédalé à Florence, Hawaï, Kyoto, au Costa Rica, dans des canyons du Colorado et de l'Utah ! J'y roule ma bille. Il était temps que le chantier de peinture se termine. Déjà que le bricolage n'est pas ma tasse de thé, je déteste ce qui salit ou abîme les mains. Coquetterie ou prudence de claviériste.
Ce petit voyage à la lisière de Paris me donne un peu de répit avant les chroniques de disques et de films que j'aimerais rédiger. Comment trouver le temps pour Winds de You, Au diable vert de René Lussier, Bestiaire#01/Explorations de Matthieu Donarier, Sonneurs 2 d'Erwan Keravec (dont la version de In C au 104 était vertigineuse), et puis des films tel Nope de Jordan Peele, etc. Ce sera pour la semaine prochaine. Je souhaiterais également préparer l'enregistrement avec David Fenech et Sophie Agnel, mais je dois m'absenter, à Nantes pour celles et ceux qui me suivent !

jeudi 15 septembre 2022

À vendredi, Robinson


On remarquera d’abord la lumière. Parce qu’elle sort du noir. Deux éclairs. La réalisatrice est aussi peintre. Deux dinosaures. 99 et 91 ans. L’un marche avec une canne. La voix de l’autre chevrote. Plus pour longtemps. On le sait depuis mardi dernier. Dès le début Jean-Luc Godard évoque sa mort volontaire. Je ne connais pas le cinéma de Ebrahim Golestan, seulement qu’il a produit La maison est noire de la poétesse Forough Farrokhzad en 1962, un des films les plus éprouvants qu’il m’ait été donné de voir (avec Salò), sur les conseils de Jonathan Rosenbaum. Le style du film de Mitra Farahani me semble assez godardien, mais je ne connais pas encore la Nouvelle Vague iranienne, en particulier La brique et le miroir de Golestan qui date de 1964. Je vais prendre une datte fraîche Mazafati de Bam dans le fond du réfrigérateur, importée d’Iran. Le montage de À vendredi, Robinson est cosigné par Yannick Kergoat, Mitra Farahani et Fabrice Aragno, la conseillère musicale est Tata Kamangar. Comme j’avance dans la narration, est évoqué Sadegh Hedayat, l’auteur de La chouette aveugle qui s’est suicidé à Paris en 1951 et repose dans l’enclos musulman du Père Lachaise. J’y vais de temps en temps. Godard ferme les volets, il éteint la lumière. À quoi aspire-t-il encore ? Des chaussettes bleu blanc rouge. Le noir. Ils portent tous deux le deuil de leur jeunesse. Ils ont commencé il y a sept ans. L'âge de raison. Ils s'écrivent. Chaque vendredi. Au commencement il y avait une douleur invisible. Godard joue avec le chat, à chat, au chat et à la souris, Godard joue. Aux citations répondent les litotes. Le langage courant, courant à sa perte, il envoie des images. Elias Canetti : "On n'est jamais suffisamment triste pour que le monde soit meilleur." Pour Golestan, c'est La Bohème : "Comment je vis ? Je vis." L'état du monde le préoccupe tant qu'il a eu envie d'échanger ses réflexions avec Godard. Se comprennent-ils ? Celui-ci semble vivre seul, chiche, spartiate, tandis que l'Iranien est très entouré, dans une demeure somptueuse. Golestan écrit des longues pages. Godard met de l'eau dans son vin. Correspondront-ils jamais ? Johnny Guitare fait-il vraiment mentir Joan Crawford ? Chacun sur son lit d'hôpital. Comment se trompent-ils ? Des chemins qui ne mènent nulle part ? Deux parallèles se croisent à l'infini. "Mais tout cela est assez insatisfaisant." À son enterrement Beethoven fit jouer le requiem de Cherubini.



À vendredi, Robinson de Mitra Farahani, qui a reçu le Prix Spécial du Jury à la Berlinale, section Encounters, est projeté au MK2 Beaubourg et au Reflet Médicis à Paris

mercredi 14 septembre 2022

Mad Maple de Séverine Morfin


La violoniste alto Séverine Morfin signe un album remarquable. Le travail d'orchestration est dans la lignée des compositeurs classiques qui savent manier les timbres sans qu'on en comprenne directement les alliages. Cela me rappelle ma lecture assidue du Traité de Koechlin ! Pourtant l'instrumentation est réduite à un trio : l'altiste évidemment, Élodie Pasquier aux clarinettes et un petit synthétiseur, le monotron (elle fait aussi partie de l'excellent trio La litanie des cimes), Guillaume Magne à la guitare, à la basse et au banjo (entendu dans encore un autre trio, YOU, qui sort cette semaine un album enthousiasmant). Ajoutez Céline Grangey au son (chroniquée récemment pour le duo Lila Bazooka) et vous obtenez une petite merveille aux couleurs délicates. C'est que le violon alto est un instrument ingrat, coincé entre la virtuosité du violon et la voix humaine du violoncelle, encombrant sous le menton à en attraper de vilaines tendinites, mais indispensable rouage pour lier la sauce du quatuor ou au milieu des pupitres de cordes. L'alto apprend à se glisser dans le son sans en faire des tonnes. Pour cet érable fou (Mad Maple est le titre du CD), les titres forment la phrase "À l'aube / dans la forêt / les murmures / s'évanouissent / glacés / avant la / tempête", et la musique suit ce mouvement dramatique à la lettre. On ne quitte jamais les bois. La guitare tient souvent le rôle d'une batterie quand ce ne sont pas les slaps de la clarinette basse.


Les musiciennes (3 femmes sur 4, c'est le féminin qui prime, non ?) étirent les paysages sonores naturalistes, elles les courbent, dans un lyrisme s'appuyant essentiellement sur leur proximité de tessitures. C'est peut-être le secret de cet érable fou qui délivre un nectar onctueux, sucré juste comme il faut, ravissant nos papilles auriculaires, parce que la musique est avant tout une aventure collective.

→ Séverine Morfin, Mad Maple, CD gArden Records, dist. inOuïe, à paraître très prochainement

mardi 13 septembre 2022

Faire-part


C'est une très triste nouvelle.
Jean-Luc Godard est mort.
Il avait 91 ans.
J'ai compilé tous les articles que j'ai écrits sur le plus grand cinéaste qui était encore vivant jusqu'ici. C'est sans compter le nombre de fois où je m'y suis référé dans d'autres.
J'avais été très fier d'avoir été pris en photo à ses côtés en 1976 par G.Mandery pour la revue Le Photographe.

JEAN-LUC GODARD SOUMET LE MUSÉE À LA QUESTION
25 mai 2006


La mise en scène de l'exposition du Centre Pompidou est une véritable désacralisation de l'espace muséal. Godard réussit ici comme ailleurs à interroger le dispositif en cassant les habitudes du visiteur. On s'attendait à voir un chantier, quelque chose de honteux, la représentation de l'échec des relations entre le cinéaste et Beaubourg. On découvre Voyage(s) en utopie, sous-titré JLG, 1946-2006 - À la recherche du théorème perdu, avec une certaine inquiétude, celle d'être déçu tant la presse s'est faite l'écho du supposé ratage. Pas de communication, quelques lignes dans les journaux, toujours pour dire la même chose : Godard n'a pu s'entendre avec le commissaire d'exposition, Dominique Païni, et a décidé de terminer seul. J'ai cherché vainement les crédits de l'exposition, pas de trace de la scénographe, Nathalie Crinière, ni d'aucun membre de l'équipe. On a pensé que J-L G était vraiment un chieur, toujours aussi caractériel. On connaissait ses hésitations, ses changements de cap, son mauvais caractère, son droit à l'erreur... On y est allé tout de même, histoire de voir, par soi-même. Il est écrit que "le Centre Pompidou a décidé de ne pas réaliser le projet d'exposition intitulé Collage(s) de France, archéologie du cinéma d'après JLG en raison des difficultés artistiques qu'il présentait (les mentions "techniques et financières" ont été barrées ; par qui ? Il y a des feutres sous la pancarte) et de le remplacer par un autre programme intitulé Voyage(s) en utopie ". Plus gros est affiché : Ce qui peut être montré ne peut être dit. On va tout de même essayer, même si l'exercice est inutile, puisqu'il faut mieux y aller voir.
Reprenons.
C'est la première fois depuis très longtemps que je me sens bien dans un musée. Rien de compassé, rien de trop (en)cadré, rien de sacré. Les musées sont le dernier même si le seul endroit où admirer des œuvres. On y est physiquement bousculé, il y a souvent une sensation d'écœurement devant l'accumulation, l'effort à déployer pour se concentrer y est considérable. À moins de fréquenter des collectionneurs, on n'a pas trop le choix, sauf à avoir la chance d'y errer après la fermeture et d'y croiser Belphégor. Voilà, c'est ça, c'est la sensation que le chantier de l'installation Godard procure, un sentiment de déjà vu, de déjà vécu ailleurs que dans le simulacre muséal, une familiarité avec le quotidien, une proximité permettant de se l'approprier, de parler à la première personne du singulier, l'utopie de pouvoir encore s'interroger sur le monde et sur notre relation à l'audiovisuel, et bien au-delà, sur la culture en général et sur la place de chacun dans le système social. Comment gérer son indiscipline ? On découvrira avec ravissement que l'installation est le miroir déformant de nos références intimes. Semblable aux Histoire(s) du cinéma qui sortent ces jours-ci en DVD.
Il y a deux axes principaux : le premier, c'est la mise en espace, comme un appartement en travaux, murs éventrés, palissades, grillages, mais aussi des pièces réduites au strict minimum ; pas une chambre, un lit ; pas une cuisine, un évier ; pas un bureau, une table ou un fauteuil ; pas un balcon, des plantes vertes rassemblées dans un coin, encore que de l'autre côté de la baie vitrée sont dressées cinq tentes de SDF. Ce ne sont pas des figurants, c'est déjà notre histoire. La désinvolture qui semble de mise nous met à l'aise, nous nous promenons comme si nous visitions un appartement que nous transformerons plus tard à notre guise. Nous piétinons les éléments du décor et nous laissons prendre. Des livres sont cloués au pilori un peu partout dans le décor, un pieu dans le cœur, comme le supplice de la croix. Croix de Malte ou de Lorraine... Les clous font mal, les meubles sont vissés grossièrement, les lettres collées ne peuvent être volées. On peut voir les maquettes successives de l'exposition qui n'a pas eu lieu, on rêve. Il n' y a pas de cartel explicatif, seulement des mots, des bribes de phrase que l'on foule. Nous sommes libres de penser, de réfléchir, d'interpréter.
Dans une des trois salles, sur de beaux et grands écrans plats, sont diffusés simultanément plusieurs films. Pas ceux du cinéaste. Pas seulement. La cacophonie ressemble aux Histoire(s) du cinéma, que je conseille de regarder et d'écouter en vaquant à ses occupations ménagères. Se laisser envahir. Pour que la magie prenne corps. On se laisse happé par une séquence et le tour est joué. Ça vous parle directement, miracle de l'identification, sympathie de la citation que l'on a fait sienne. Si l'accumulation est le propre des musées, surtout le Centre Pompidou habitué aux overdoses, apprécions l'une des rares fois où elle fonctionne. En voilà de l'information, sauf qu'ici les rapprochements font sens, produisant une sublime poésie, construite avec les ressources du montage cinématographique et les échos qui résonnent en chacun et chacune d'entre nous. En clair, ça fait sens et ça produit une très forte émotion. C'est notre histoire(s). Magie d'un poète (au même titre qu'un Cocteau, un Guitry ou un Freud), que les Godardiens pourront toujours tenter de copier, l'exercice risque de rester stérile. Il ne suffit pas de foutre le souk, de provoquer, de faire des collages ou de jouer avec les mots, il faut une vision. Le génie de Godard, c'est ce qui est montré, peu importe ce qui est dit. L'important ce n'est pas le message, c'est le regard. Celui de chacun, exhortation à penser par soi-même.
Oui, Godard a gagné ce nouveau pari comme il avait dans le passé réussi son passage à la télévision, ou ses mises en pages, ou ses disques, parce qu'il continue à s'interroger sur les outils, sur les circonstances, sur l'histoire, et qu'il nous propose un angle inédit, auquel on aurait pu penser. Godard réussit donc sa sortie dans l'espace. La machine est en route, pour qu'à notre tour nous fassions le voyage.
On peut toujours rêver !

P.S. : le Centre Pompidou édite un livre de Documents, accompagné d'un DVD avec la Lettre à Freddy Buache, Meeting Woody Allen, On s'est tous défilé et une vingtaine de spots de pub réalisés pour M+F Girbaud. Sa présentation graphique est un peu aride, mais le contenu est évidemment passionnant.

JEAN-LUC GODARD ET ANNE-MARIE MIÉVILLE, COURTS
16 juin 2006


Les courts-métrages de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville que ECM a réunis, accompagnés d'un petit livre broché de 120 pages, rappellent les Histoire(s) du cinéma dont la sortie est sans cesse repoussée. ECM en avait édité un gros coffret de 5 CD audio. Montage commenté de citations multiples, diffusion simultanée et systématique d'un extrait de film avec le son d'un autre, utilisation du catalogue musical du producteur allemand Manfred Eicher, ces quatre courts appartiennent tous à la dernière période : The Old Place (1999) et Liberté et Patrie (2002), tous deux cosignés avec Anne-Marie Miéville, Je vous salue, Sarajevo (1993) et De l'origine du XXIe siècle (2000). Comment Godard négocie-t-il l'emprunt de ces milliers d'extraits protégés par le droit d'auteur ? Il est à parier que cette question n'est pas étrangère à l'ajournement des Histoire(s) en DVD. Godard cite, certes, mais avec ces emprunts il produit une œuvre nouvelle, totalement originale, à la manière de John Cage en musique. De toute façon, sa filmographie n'est qu'un tissu de citations, littéraires lorsqu'elles ne sont pas cinématographiques. Il n'y a pas de génération spontanée, Godard assume le fait que nous inventons tous et tout d'après notre histoire, la culture. Le travail du créateur consiste à faire des rapprochements, à énoncer des critiques, à produire de la dialectique avec tous ces éléments.
Avec le livre Documents (scénarios, lettres, manifestes, manuscrits...), édité par le Centre Pompidou à l'occasion de l'exposition en cours (voir billet du 25 mai), est offert un DVD avec d'autres courts-métrages : Lettre à Freddy Buache (1982), Meeting Woody Allen (1986) et le travail de commande pour les couturiers Marithé et François Girbaud (1987-1990). La double signature Godard-Miéville, double signature dont nous avons parlé dans le billet du 8 juin, reste énigmatique. Quel est le rôle de chacun ? Comment cela se négocie-t-il ? Quelle est la différence entre un film de l'un ou de l'une et une œuvre à quatre mains ? Il n'est pas simple de s'y retrouver. Godard et Miéville aiment nous perdre, et nous faire travailler à notre tour... Vers où que l'on se tourne, on n'échappera à aucune question. L'œuvre de Godard, jamais finie ni définie, est une quête philosophique, un objet infini qui pousse dans l'inconscient et le cosmos. De l'infiniment grand de la pensée à l'infiniment petit de l'humanité.

LES HISTOIRE(S) DU CINÉMA AUX OUBLIETTES
16 juillet 2006


Nous souhaiterions vous informer des derniers changements concernant votre commande. Nous avons le regret de vous informer que la parution de l'article suivant a été annulée : Jean-Luc Godard (Réalisateur) "Histoire (s) du cinéma - Coffret 4 DVD". Bien que nous pensions pouvoir vous envoyer ces articles, nous avons depuis appris qu'il ne serait pas édité. Nous en sommes sincèrement désolés. Cet article a donc été retiré de votre commande. Le compte associé à votre carte de paiement ne sera pas debité. En effet, la transaction n'a lieu qu'au moment du départ d'un colis.
Dans le dernier numéro du journal des Allumés, j'annonçai la sortie imminente d'une œuvre majeure de JLG : On attend toujours avec impatience cette ?uvre audio-visuelle unique, indis-pensable, duelle et unique, L'Histoire(s) du cinéma (...) dont la sortie est sans cesse repoussée, probablement pour une question de droits tant le maître du sampling y accumule les citations cinématographiques. Oui, en voilà de l'information, du monumental, du poétique freudien, de l'image et du son, de la musique (catalogue ECM) et des voix? Chacun y fait son chemin, alpagué par une citation intimement reconnue et qui vous emporte très loin. Chacun y construit sa propre histoire, la sienne et celle du cinéma. C'est un film interactif, plus justement, participatif. Devant ce flux incessant et multicouches (Godard accumule au même instant des images d'archives, son quotidien, des photos, les voix d'antan et la sienne, la musique, les bruits, tout cela mixé et superposé) à vous de trier, d'extraire, d'y plonger ! Un conseil : laissez le poste allumé et vaquez à vos occupations sans vous en soucier. En fond, mais à un volume sonore décent. Passant à proximité, vous aurez la surprise de vous faire happer par tel ou tel passage. Là tout chavire, ça vous parle, à vous seul, indentification due au jeu des citations, nouvelle façon de voir et d'entendre. Le génie de J-LG retrouvé. Et vous, au milieu, le héros de cette saga, l'unique sujet. (JJB, ADJ n°16)
Ici même le 16 juin, après plusieurs annonces de report, je commentai : Comment Godard négocie-t-il l'emprunt de ces milliers d'extraits protégés par le droit d'auteur ? Il est à parier que cette question n'est pas étrangère à l'ajournement des Histoire(s) en DVD. Godard cite, certes, mais avec ces emprunts il produit une œuvre nouvelle, totalement originale, à la manière de John Cage en musique. De toute façon, sa filmographie n'est qu'un tissu de citations, littéraires lorsqu'elles ne sont pas cinématographiques. Il n'y a pas de génération spontanée, Godard assume le fait que nous inventons tous et tout d'après notre histoire, la culture. Le travail du créateur consiste à faire des rapprochements, à énoncer des critiques, à produire de la dialectique avec tous ces éléments.
Existaient déjà l'édition papier Gallimard et la version audio en CD remixée pour ECM, mais il manquait fondamentalement l'original filmique. Grosse déception, Amazon avertit que ce chef d'œuvre absolu ne sera pas édité. Il ne me reste plus qu'à recopier l'enregistrement VHS réalisé sur Canal+ il y a une dizaine d'années, grâce à mon graveur DVD de salon, simple comme bonjour, Bonjour Cinéma !

Photo de Guy Mandery parue dans Le Photographe en 1976 : à droite, de trois quart dos avec catogan, on reconnaîtra le jeune collaborateur de Jean-André Fieschi, ayant mission de récupérer une paluche (caméra prototype Aäton qu'on tenait au bout des doigts) rapportée de Grenoble par JLG. Entre nous, le chef opérateur Dominique Chapuis. De dos, en costume blanc, je crois me souvenir qu'il s'agissait de Jean Rouch. Je fus nommé représentant de Aäton à Paris, mais je perdis l'affaire au bout de deux jours, après une mémorable soirée chez les frères Blanchet avec Jean-Pierre Beauviala, où Rouch se montra à mes jeunes yeux tel un grotesque mondain se gargarisant d'histoires que je considérai du plus mauvais goût, soit simplement sexistes et racistes. Le second degré avait dû m'échapper, mais Rouch était extrêmement différent sur le terrain et à Paris, et chaque fois que nous nous rencontrâmes je ne pus m'empêcher de me retrouver en profond désaccord avec lui, comme, par exemple, sur la diffusion des archives Albert Kahn qu'il aurait préféré voir projeter muettes et non montées, quitte à ce que cela ne touche qu'une poignée d'aficionados élitistes. Ceci n'enlève rien à la beauté de ses films (revoir Chronique d'un été coréalisé avec Edgard Morin, et le passionnant coffret incluant, entre autres, Les maîtres fous).

HISTOIRE(S) DU CINÉMA, ÉDITION JAPONAISE
14 septembre 2006


J'avoue, j'ai craqué ! Désespéré par une édition française de plus en plus improbable, j'ai commandé le chef d'œuvre en 8 parties et 5 DVD de Jean-Luc Godard sur Amazon.co.jp, ici au premier plan. Comme je ne lis pas le japonais, à côté des films évidemment en français, je peux difficilement profiter de l'admirable système de référencement numérique de cette édition. Cela me permet tout de même de me repérer un peu dans ce foisonnement d'informations, textes, images, films, musiques... Les deux autres éditions, discographique et littéraire, forment un excellent complément, puisque la première, bande son remixée spécialement pour le coffret de 5 CD paru en 1999 chez ECM, livre l'intégralité des textes, et que la seconde, publiée un an auparavant par Gallimard en 4 volumes, offre de magnifiques illustrations en couleurs.
Il ne me reste plus qu'à faire ce que j'ai toujours préconisé, diffuser en boucle cette encyclopédie unique et boulimique sans y faire vraiment attention, en me laissant imprégner par les mots, les images et les sons. Dans cette auberge espagnole chacun peut ainsi retrouver ses émotions passées jusqu'à se sentir personnellement visé. À cet égard, l'exposition au Centre Pompidou fut la sobre continuation de cette démarche. Une sensation d'intimité éternelle, universelle, me gagne ainsi doucement, comme lorsque j'écoute la Radiophonie de Lacan... Révélation de l'inconscient, impression d'avoir toujours su ce qui est raconté et montré, et pourtant comme si c'était la première fois, comme si enfin le monde nous était révélé dans sa complexité et sa simplicité...
Les huit parties sont titrées Toutes les histoire(s), Une histoire seule, Seul le cinéma, Fatale beauté, La monnaie de l'absolu, Une vague nouvelle, Le contrôle de l'univers, Les signes parmi nous.
Histoire(s) du cinéma n'est pas seulement le chef d'œuvre de Jean-Luc Godard, film(s) dans le film, c'est probablement la meilleure œuvre critique qui n'est jamais été produite sur le sujet ; raconter ce qu'est ou fut le cinématographe en laissant à chacune et chacun le privilège de son interprétation en fait le film le plus emblématique de toute son histoire.

LE FILM DES FILMS
8 avril 2007


Les Histoire(s) du cinéma paraissent enfin. Le feuilleton se clôt sur une ouverture, la parution en France du coffret de 4 dvd tant attendus (Gaumont, sous-titres anglais). J'ai écrit trois précédents billets sur la saga godardienne : d'abord le 6 juin au moment où les courts métrages avec Anne-Marie Miéville sont sortis chez ECM, puis le 19 juillet lorsque je me suis découragé et enfin le 14 septembre quand j'ai craqué pour l'édition japonaise. Voilà c'est là ! Ces Histoires contredisent-elles Eisentein puisqu'elles représentent une somme plus qu'un produit ? Le film des films. Intelligence et poésie. Le piège et la critique. Identification et distanciation. Lyrique autant qu'épique. Les ultimes soubresauts d'une cinéphilie née avec les Lumière et qui n'en finit pas de s'éteindre avec le nouveau siècle.


Cette version française n'abrite pas l'admirable index obsessionnel des japonais, mais si l'on ne lit pas cette langue cela ne sert hélas pas à grand chose. Dommage que Gaumont ni JLG ne l'aient reproduit, chaque document y est indexé et accessible instantanément, une sorte d'hypertexte à la manière d'Internet, pour chaque citation, musique, texte, film... Ils ont par contre ajouté trois suppléments. D'abord 2 x 50 ans de cinéma français, 50 minutes où Godard, avec la complicité de Miéville, fait péniblement la leçon à Michel Piccoli, mais où il montre aussi comment la consommation immédiate de produits culturels ne fait pas le poids devant l'histoire. Les images sont parfois remplacés par un carton, NO COPY RIGHT, révélant probablement le compromis ayant permis que les Histoires voient le jour. Il faudra que je vérifie si l'édition française de son chef d'œuvre a été également expurgé de certaines séquences pour cette déraison. Je n'ai encore regardé que les suppléments qui sont plutôt des compléments.
Deux conférences de presse cannoises, la première de 1988 intitulée La télévision, la bouche pleine, la seconde de 1997, Raconte des histoires, mon grand, complètent le tableau de manière éclatante.

Ce Qu'il ne Fallait pas Démontrer
8 février 2010


Catastrophé, je tente de m'accrocher désespérément au film qu'Alain Fleischer a le toupet de signer, aussi vain que vide, mais on finira par en avoir l'habitude. Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard est une monstrueuse arnaque où les protagonistes semblent sortis d'une maison de retraite pour vieux réalisateurs atteints d'Alzheimer. Godard ou Straub sont à côté de leurs pompes, rabâchant de vieux poncifs quand leur ennui de se retrouver dans cette galère n'éclate pas à l'écran. Tout est d'une paresse extrême, sorte de captation complaisante qui laisse craindre le pire opportunisme sous prétexte d'enseignement aux étudiants du Fresnoy. Comme le coffret édité par les éditions Montparnasse propose également une série d'entretiens intitulée Ensemble et séparés, sept rendez-vous avec Jean-Luc Godard, je compte sur ces bonus occupant trois des quatre DVD pour faire remonter le niveau de l'échange. C'est au mieux un portrait en creux. Godard n'a jamais été à l'aise dans le tête-à-tête. Quoi qu'on en dise, ses rencontres avec Fritz Lang (Le dinosaure et le bébé) ou Marguerite Duras (Océaniques) sont plus émouvants que passionnants. Il n'est pas à la hauteur de ses brillantissimes conférences de presse ni surtout de l'œuvre immense qu'il laissera, résumant à lui seul tout ce que fut le cinématographe depuis son invention. Dépouillés de la prétention usurpatrice d'en faire un film, la plupart des entretiens ajoutés plongent Godard dans une obscurité qui en dit long sur son implication dans cette affaire. Ses réponses sur Israël et les Juifs qui ont fait couler beaucoup d'encre sont d'ailleurs assez fumeuses et ne peuvent convaincre aucun anti-sioniste, a fortiori ses détracteurs. Son esprit de contradiction a perdu son mordant, il esquive le plus souvent au lieu de faire front. Il est toujours meilleur dans la colère, lorsqu'il prêche le faux pour connaître le vrai, comme face à Jean-Michel Frodon. André S. Labarthe dans le "film" rame en pure perte pour le sortir de l'ornière. Si Dominique Païni monologue en toute fatuité, l'universitaire Jean-Claude Conesa renvoie la filmographie de Godard à ses balbutiements en l'autopsiant. Nicole Brenez a l'intelligence de proposer des images rares, mais trop courtes, sur lesquelles elle interroge humblement "Jean-Luc". Jean Douchet et Jean Narboni, insistant avec la plus grande tendresse, arrivent finalement à le faire parler en évoquant quelques anecdotes. Aucun interlocuteur n'étant à la hauteur, tant de choses ayant été dites sur lui et son œuvre, le cinéaste est renvoyé dans les cordes au lieu d'occuper le ring. Quelle posture emprunter lorsque l'on a déjà été réduit à s'auto-parodier ? En 9h30 les amateurs n'apprendront pourtant pas grand chose et pour une leçon de cinéma on repassera. Mieux vaut voir ou revoir n'importe quel film de Jean-Luc Godard et, si vous êtes courageux, l'incontournable Histoire(s) du cinéma, un monument, le film des films.

JEAN-LUC GODARD MARCHE SUR LES MAINS
14 mars 2010


Plongé dans la biographie de Jean-Luc Godard, pavé de 935 pages qu'Antoine de Baecque vient de publier chez Grasset & Fasquelle, je suis mal parti pour bloguer ce week-end. Une partie du voile se lève sur un des grands mystères du XXème siècle. Pour avoir fréquenté nombre de ses proches, je m'étais fait ma petite idée, mais l'enquête fouille les détails de sa vie et livre nombre de clefs pour comprendre l'empêcheur de tourner en rond. À l'époque où "Jean-Luc" nous avait rapporté une Paluche Aäton de Grenoble, Jean-André m'avait photocopié des lettres et quelques pages annotées dont l'encre thermique s'efface avec le temps. Sur la photo je suis à droite avec la barbe et le catogan. S. s'était plainte qu'il l'obligeait à laver ses cheveux de petite brunette même lorsqu'elle sortait de chez le coiffeur ; cette très belle jeune femme tarifée m'avait aussi raconté comment JLG lui avait confié qu'il lui plaisait de "faire quelque chose de connu avec une inconnue". Son droit à l'erreur m'a servi de modèle. Ni plus ni moins de chance de se tromper, mais une liberté de pensée et d'agir que je tente de perpétuer à chaque révolution, quotidienne, elliptique, impossible. Comme John Cage, Godard a influencé son époque bien au-delà de sa sphère professionnelle. Qu'il fascine ou irrite, il ne peut laisser indifférent. Avec Cocteau et Lacan, sa voix est celle des plus grands conteurs. Ses mots font image, ses images font sens, ses sens sont musique, sa musique fait mouche. Poète timide et brutal analyste, il s'est affranchi de ses contradictions en résumant à lui seul l'histoire du cinématographe. Le kleptomane est devenu le maître du cut-up, précurseur du mashup, agrégateur de citations, un "monsieur plus" de la question sans réponse. Je retourne m'allonger sur le divan, même si cette position me brise la nuque. Sa biographie est une mise en abîme où l'inconscient fait des miracles.

UNE FEMME EST UNE FEMME
7 novembre 2018


En 1961 Jean-Luc Godard enregistre un disque 33 tours pour promouvoir son nouveau film, Une femme est une femme, une comédie musicale pétillante. C'est un mixage de la bande-son avec les dialogues et la musique de Michel Legrand, plus les commentaires toujours aussi subtils du cinéaste, ce qui en fait le principal intérêt, et l'ensemble, sorte de création radiophonique, se tient remarquablement bien, presqu'un manifeste du cinéma de Godard de l'époque. De 1960 à 1968, Legrand compose justement ses meilleures partitions, entre sa collaboration avec Jacques Demy et L'affaire Thomas Crown.

J'avais eu la bonne idée de faire une copie de l'un des cent exemplaires que possédait Jean-André Fieschi. Dans son édition DVD le label de référence Criterion livre ce petit bijou, mais sa copie du disque est vraiment pourrie : le disque est rayé, bourré de scratches, faisant sauter certains bouts de phrases de Godard, et le son est nasillard. C'est étonnant pour une édition aussi luxueuse, mais j'imagine qu'ils n'avaient pas trouvé mieux. Ainsi aujourd'hui je vous livre cet enchantement auquel participaient Anna Karina, Jean-Claude Brialy et Jean-Paul Belmondo... J'en ai profité pour nettoyer le fichier et améliorer le son. Durée : 34'05.

CADEAU : vous pouvez l'écouter en cliquant ICI.

LE LIVRE D'IMAGE DE JEAN-LUC GODARD
5 décembre 2018


Tout est saturé. Du sens à l'image. À ne pas croire. Le vieux maître fait comme tout le monde. Il sort les bribes de leur contexte. Sauf que, contrairement aux journalistes, ses mensonges disent la vérité. Sel des poètes. Le jeu en main. Cinq doigts pour comment c'est. Le pouce préhenseur et l'encéphalogramme hautement développé. L'homme. Sanguinaire. Seul le fou. Et les enfants. Mais la Terre ? Nœud. Passe. Taire. Première musique : Scott Walker. The Drift. La dérive. Comme toutes ses Histoire(s). Du cinéma. Chacune est une entrée vers notre subconscient. Il suffit de reconnaître. Pour s'y reconnaître. Autant de fils d'Ariane à dérouler. O temps ! Ses fils. Nicole Brenez l'archéologue. Pas étonnant d'y retrouver Perconte. Après le feu. La liste est longue. Ils seront tous sauvés. Les espérances. Tout est saturé. Question de droits. C'est autre chose. La couleur. Vive. Le cinéma. Vif. Le silence. Coupez. Action. Moteur. Il doit y avoir une révolution. Godard termine par Le plaisir. Le masque. Tout est dit.

"Te souviens-tu encore comment nous entraînions autrefois notre pensée ?
Le plus souvent nous partions d’un rêve…
Nous nous demandions comment dans l’obscurité totale
Peuvent surgir en nous des couleurs d’une telle intensité
D’une voix douce et faible
Disant de grandes choses
D’importantes, étonnantes, de profondes et justes choses
Image et parole
On dirait un mauvais rêve écrit dans une nuit d’orage
Sous les yeux de l’Occident
Les paradis perdus
La guerre est là…"


Le livre d'image a reçu une Palme d'or spéciale au Festival de Cannes 2018.
84 minutes qui changent de tout ce qu'on peut voir et entendre.
C'est de la dynamite (vieille pub pour le chocolat suisse) !
Resté chez lui, à Rolle en Suisse, le cinéaste avait donné sa conférence de presse en répondant aux questions sur FaceTime.

DANS L'IMMÉDIAT, JEAN-LUC GODARD
18 avril 2019


Les entretiens dépendent souvent de la qualité des interviewers. Il est certain qu'Olivia Gesbert a une sensibilité, une intelligence ou un aplomb qui faisaient défaut à la plupart des interlocuteurs des Morceaux de conversation avec Jean-Luc Godard "réalisés" par Alain Fleischer et qui duraient 9h30. Pour l'émission La Grande Table elle est allée rencontrer Godard chez lui à Rolle en Suisse. France Culture le diffuse en deux parties de 27 et 39 minutes, Je suis un archéologue du cinéma et Godard ouvre le Livre d'image. À 88 ans le cinéaste semble ainsi plus vif qu'il y a quelques années, peut-être parce que c'est une jeune femme. À la lecture de sa biographie par Antoine de Baecque on sait qu'il n'y est pas insensible. Et Godard ne mâche pas ses mots, que ce soit sur ce que sont devenues les écoles de cinéma (les 3/4 des étudiants sont des jean-foutre), la notion d'auteur avec ses droits et ses devoirs (À l’époque, l’auteur était le scénariste, c’est-à-dire le fabriquant de texte. A Bout de souffle, je n’en suis pas l’auteur pour la loi. C’est Truffaut parce que j’avais repris un ancien scénario. A un moment, je lui ai demandé de me le redonner, et il ne pouvait pas : c’est inaliénable en France. Pour Le Livre d’image, il y a beaucoup d’auteurs qui sont réunis par un ami), sur sa Palme d'Or "spéciale" à Cannes qu'il considère avec mépris comme un prix de consolation, sur la langue et le langage, sur la politique, sur ses rêves, sur l'âge, etc.



Sur sa tombe il imagine qu'on pourrait écrire "Au contraire", sur celle d'Anne-Marie Miéville, sa compagne, "J'ai des doutes". Pour le titre de cet article j'aurais pu le singer en écrivant L'hymne aux média pour l'immédiat, c'est du moins ce que j'entends, une médiathèque de Babylone qui recracherait son contenu (j'arrête avec les jeux de mots ?) en musique, en vers et contre tout.



Lors de sa dernière conférence de presse à Cannes, transmise par Skype, il disait : "Aujourd’hui lors d’une conférence de presse, les trois-quarts des gens ont le courage de vivre leur vie, mais ils n’ont pas le courage de l’imaginer. J’ai de la peine à vivre ma vie mais j’ai le courage de l’imaginer".


Après "150 films en comptant les petits", Jean-Luc Godard a monté Le livre d'image que j'ai chroniqué dans cette colonne en décembre dernier, sorte d'épilogue à ses Histoire(s) du cinéma, de mon point de vue son chef d'œuvre, dont je possède les versions japonaise et française en DVD (la version japonaise en 5 DVD au lieu de 4 offre une nomenclature thématique interactive, encore faut-il savoir lire le japonais ! Il me semble qu'elle est plus complète, due à des questions de droits), la bande-son remixée pour le label ECM en 5 CD, et l'édition papier chez Gallimard/Gaumont. Ce n'est nullement du fétichisme, mais une manière d'appréhender une œuvre unique sous des angles différents.
Depuis hier Arte.tv diffuse gratuitement Le livre d'image et ce jusqu'au 22 juin, avec un passage TV le 24 avril, mais il ne sortira pas au cinéma. Godard préfère le montrer dans les musées et les théâtres dans son format audio original, un 7.1 plus polysémique qu'immersif ! En attendant, il faut absolument voir et entendre la réduction phonique de cette œuvre fondamentale toutes affaires cessantes. Il est difficile de l'évoquer pour elle-même, parce qu'elle suscite en chacun/e de nous un vertige, des interrogations, ouvrant des portes vers un après qui biologiquement se profile.

JEAN-LUC GODARD AURA 90 ANS LE 3 DÉCEMBRE
19 novembre 2020


Longtemps je n'ai pu copier que les bandes-son des films que j'aimais. La vidéo domestique n'existait pas. Avec mon magnétophone à cassette audio portable j'enregistrais les films dans les salles de cinéma, la sonorité de chacune colorant la captation. En de rares occasions j'ai piraté la télévision, mais toujours sans image tant que la VHS ne fut pas commercialisée.

Je possède encore les cassettes audio du Tombeau hindou de Fritz Lang, La mort en ce jardin et Tristana de Luis Buñuel, Les enfants du paradis et Drôle de drame de Marcel Carné, Le chemin de Rio de Robert Siodmak (qui figure dans Trop d'adrénaline nuit, le premier 33 tours d'Un Drame Musical Instantané), La nuit américaine de François Truffaut, Johnny Guitar de Nicholas Ray en VF, Boudu sauvé des eaux, La règle du jeu, La grande illusion et Le carosse d'or de Jean Renoir, Le sang d'un poète, La belle et la bête, Orphée et Le testament d'Orphée de Jean Cocteau, les cinéastes de notre temps sur La première vague, Samuel Fuller, Lang et Godard, Le rebelle de King Vidor, Adieu Philippine de Jacques Rozier, Trafic de Jacques Tati, Les amants crucifiés de Mizoguchi Kenji et last but not least Masculin Féminin, Deux ou trois choses que je sais d'elle, La chinoise, Pierrot le fou, Numéro deux, et France tour détour deux enfants de Jean-Luc Godard.

Je composais alors des partitions sonores pour le cinéma qui intégrait voix, bruitages et musique, pensant à l'ensemble comme une partition musicale. Suivant Edgard Varèse, John Cage ainsi que Michel Fano et Aimé Agnel qui furent mes professeurs à l'Idhec, écouter ces cassettes me forma à penser toute organisation de sons comme musique. C'est dire qu'écouter les rééditions de Godard publiées par ECM me comble de joie. J'avais déjà l'imposant coffret de 5 CD Histoire(s) du cinéma (dont je possède également le texte édité par Gallimard et les DVD en versions française et japonaise) et les 4 courts métrages réalisés avec Anne-Marie Miéville. Je découvre la bande-son complète de Nouvelle vague qui tient sur 2 CD... J'ai écrit sur l'un et l'autre, comme sur Le livre d'image, son dernier chef d'œuvre.

Jean-Luc Godard est un grand romantique, ses partitions sont passionnelles. Même si l'on n'a jamais vu les films, leur transposition radiophonique a le pouvoir évocateur de la poésie. On n'y comprend rien, sauf l'essentiel. Les rimes sont sonores, l'usage des musiques fondamentalement dramatique. Comme toujours, chacun, chacune, y reconnaîtra l'extrait d'un roman, le dialogue d'un film, la musique d'un autre, nous renvoyant à notre mémoire parcellaire avec la profondeur de l'inconscient. Chaque fois s'ouvre une porte, qui n'est qu'à soi, dans l'œuvre du maître.

Les citations lui ont souvent donné du fil à retordre question droits d'auteur. En lui ouvrant son catalogue discographique, ECM lui a facilité les choses. On retrouve ainsi l'accordéon de Dino Saluzzi, les voix de Patti Smith ou Meredith Monk, la musique de Paul Hindemith, Arnold Schönberg, Heinz Holliger... François Musy a remixé numériquement la bande-son pour le disque. Et puis il y a les voix, comme me susurra un soir à l'oreille Jean-Pierre Léaud avec un ton de conspirateur, ici Alain Delon, Domiziana Giordano, Roland Amstutz, Laurence Cote, Jacques Dacqmine... Même si je préfère de loin Histoire(s) du cinéma, chef d'œuvre parmi les chefs d'œuvre, se laisser porter par la narration de Nouvelle Vague c'est passer 88 minutes dans les nuages, brouillard d'un rêve, retour au seul réel qui vaille le coup, la poésie.

Le livret du CD est rédigé par Claire Bartoli, auteur et comédienne non-voyante. Dans Le Regard intérieur, elle livre une interprétation analytique qui lui laisse "un petit goût subversif d'invisible et d'éternel".

PLUS OH ! COMMANDÉ PAR FRANCE GALL À JEAN-LUC GODARD
5 janvier 2021


Je connaissais quelques publicités réalisées par Jean-Luc Godard comme l'aftershave Schick, les cigarettes La Parisienne, les jeans Marithé & François Girbaud, mais j'ignorais que France Gall lui avait commandé un clip à la mort de son compagnon, Michel Berger. Pour son nouvel album la chanteuse avait repris Plus haut composé pour elle en 1980. Après un long entretien à Rolle le 28 mars 1996, le cinéaste choisit la forme sur laquelle il travaillait alors, ses Histoire(s) du cinéma, pour raconter la métamorphose de l'art, de la beauté et de l'amour que permet le cinématographe. Je suis incapable de reconnaître tous les emprunts, mais on y voit des tableaux de Manet, Vinci et Goya, des photos de Marlene Dietrich et Charlie Chaplin, des extraits de They Live by Night de Nicholas Ray, Blanche-Neige de Walt Disney, La Belle et la Bête de Jean Cocteau... Et France Gall, son œil, sa bouche... La chanson sonne prémonitoire avec une coloration orphique que Godard souligne explicitement.


Le clip sera diffusé une seule fois le 20 avril 1996 sur M6, car il sera interdit d’antenne, Godard ne s’étant pas acquitté de tous les droits d'auteur. C'est le même problème qui a retardé de dix ans la sortie du coffret DVD des Histoire(s) du cinéma en France. Heureusement j'avais acheté le coffret japonais dont la particularité est d'offrir des entrées thématiques, mais comme ce répertoire est en japonais je n'ai jamais pu en profiter. La version française, acquise par la suite, me semble avoir été expurgée de quelques extraits. Ces emprunts sont probablement aussi la raison pour laquelle Le livre d'image, son chef d'œuvre le plus récent, n'est jamais sorti dans les salles de cinéma, mais uniquement ponctuellement dans des espaces culturels. L'emprunt, qu'il soit littéraire, pictural, cinématographique, voire musical, est la base de l'écriture de Jean-Luc Godard. la plupart des phrases que nous aimons citer de ses films proviennent en général des livres qu'il a lus. Comme la plupart sont dans le domaine public, cela ne posait pas le problème que généreront les extraits de films protégés becs et ongles par les producteurs. L'accord avec le label allemand ECM lui permit de piocher comme il voulait dans son catalogue sonore, mais il n'a pas pu bénéficier des mêmes dérogations avec d'autres firmes discographiques et encore moins avec l'industrie cinématographique. Faire du neuf avec du vieux est pourtant une voie passionnante, qu'elle soit écologique, analytique ou poétique. D'une part il n'y a pas de génération spontanée, d'autre part la citation devient création dès lors qu'elle produit un sens nouveau ou une émotion inédite, mais le droit va rarement dans ce sens !

Comment devient-on propriétaire ?


Face aux perspectives historiques qui se profilent je ne cesse de m'interroger sur les racines du mal, que je pourrais aussi bien écrire avec un accent circonflexe. La question qui me taraude concernant l'exploitation de l'homme par l'homme, je ne peux me contenter de la lutte des classes pour expliquer le fléau. Aussi loin que remontent mes recherches, la bataille du pouvoir fait rage et cause commune avec la propriété. Avant de s'entretuer, les êtres humains ont conquis le territoire en asservissant les autres espèces ou en les cantonnant dans des réserves. Cet animal se pensant supérieur est incapable d'imaginer que ses facultés exceptionnelles portent en elles les germes de la destruction. Aussi loin que l'on remonte dans le passé l'homme est en guerre pour défendre sa propriété, individuelle ou collective, mais d'où lui vient-elle ? De qui prétend-il avoir hérité ? Si les riches possèdent les moyens de production, à qui les doivent-ils ? De tout temps furent inventés des stratagèmes pour faire croire aux populations ce qui serait bon pour elles, le goupillon et le glaive sauront faire passer le message. La propriété engendre la guerre. Si la préhistoire garde ses mystères, la conquête des Amériques montre bien comment on y accède. Comment les propriétaires nord-américains acquirent-ils leurs titres ? Comment furent décimés les empires aztèque et inca ? Comment disparurent les Caraïbes et les Arawaks ? Mais avant tous ces génocides, ces massacres et ces asservissements (les femmes, par exemple, semblent avoir toujours obéi à la tradition de l'esclavage) il s'est agi de défendre son territoire contre les autres bestioles. Les deux pratiques peuvent coexister : on peut très bien s'entretuer en agissant comme si nous étions la seule espèce digne de respect sur la planète. Ce qui n'est pas exploitable est détruit ou ignoré. En nous multipliant, nous bétonnons, polluons, détruisons, et ce de plus en plus vite, dans un mouvement entropique vertigineux. La préservation de l'espèce a fini par se retourner contre elle. Si de nouvelles utopies ont tant de mal à se formuler, est-ce le signe d'un profond blocage de l'inconscient collectif ou une lassitude passagère de la fibre révolutionnaire ? La fuite en avant est patente, le délire toujours vivace. Le crime de fait-divers est bien banal et insignifiant devant l'énormité de ceux perpétués socialement qui, à leur tour, peuvent sembler dérisoires à l'échelle de la vie au sens le plus large du terme. Perversion polymorphe, paranoïa, schizophrénie sont réunies dans le même corps, le corps humain. Va-t-on jusqu'à détruire l'objet du désir quand il s'avère inaccessible ? L'immaturité de l'homme n'a d'égal que sa brutalité.


Cela ne s'est pas arrangé depuis l'article ci-dessus daté du 28 février 2010. Je suis plongé dans Au commencement était… de David Graeber et David Wengrow que m'a conseillé Jean Rochard. Leur livre m'apparaît comme une réponse au Sapiens : Une brève histoire de l'humanité de Yuval Noah Harari dont la lecture au fur et à mesure que nous nous approchions de l'époque moderne m'apparut carrément fasciste par son transhumanisme nauséabond. Je ne me souviens plus exactement de ce qui m'avait irrité. C'est souvent mieux d'oublier certaines choses, certains faits, certaines personnes. Quant à la bande dessinée de Jens Harder, dont il faut signaler le travail remarquable, j'ai préféré le premier volume, Alpha, aux deux parties de Beta. Plus on s'approche d'aujourd'hui, plus les sources sont sujettes à caution, même si l'auteur a une vision œcuménique de notre histoire. On en reparlera dans dix ans quand paraîtra le dernier épais volume, Gamma, censé évoquer le futur !

lundi 12 septembre 2022

Mariages réussis de la carpe et du lapin


Dès la fin des années 60 je mélangeais les sons électroniques à l'orchestre, qu'il soit acoustique ou électrique. Quel que soit mon domaine d'intervention j'ai cherché à marier la carpe et le lapin. À fuir la pureté j'ai adoré créer des saveurs inouïes, soufflant dans les cordes, râpant les cuivres, cognant les bois, crevant les peaux. En 1973 je découvris les possibilités mimétiques du synthétiseur avant de comprendre qu'il fallait filer ailleurs. En cuisine L'essentiel de Chartier est ma bible. En musique rien ne me comble plus que l'inattendu. La moindre tentative de marier les sons électroniques aux bruits naturels attire donc forcément mon attention.

J'ai par exemple hâte d'entendre les prochaines œuvres de mon camarade Sacha Gattino, revenu de Guyane avec 20 heures d'enregistrement dont il a méticuleusement tiré 2131 échantillons. Il les joue sur son aFrame, une sorte de tambourin permettant de traiter les sons avec une très grande flexibilité.


La publication par ECM de deux nouveaux albums idoines m'a suscité cette petite introduction. Le premier est un duo du contrebassiste américain Barre Phillips et de l'électronicien d'origine hongroise György Kurtag Jr. Comme eux, le compositeur d'origine russe et ukrainienne Evgueni Galperine vit en France. Il a composé le second album, jouant d'instruments électroniques et échantillonés, secondé par la chanteuse Maria Vasyukova, le trompettiste Serguei Nakariakov et le violoncelliste Sébastien Hurtaud. Dans un cas comme dans l'autre, l'électronique est une sorte d'augmentation de la réalité, les instruments virtuels permettant des modes de jeu et des timbres impossibles avec les instruments traditionnels.


À 87 ans Barre Phillips continue d'inventer sur sa basse, en pizz ou à l'archet. Depuis la mort de Richard Teitelbaum, György Kurtag Jr, que j'avais invité en 1992 sur l'album Opération Blow Up, est un des synthésistes dont je me sens le plus proche. J'aime ses sonorités qui frisent l'acoustique et la sobriété de ses gestes d'une efficacité absolue. Le côté "astiquez les cuivres" de la musique de danse m'a toujours rebuté. Aux claviers comme à la percussion numérique, György choisit ses timbres pour que l'alliage prenne. Les musiciens sont parmi les alchimistes les plus récompensés.

Ne faisant pas particulièrement attention aux musiques de film actuelles, je ne connaissais pas le travail d'Evgueni Galperine et de son frère Sacha. En écoutant Theory of Becoming (bande-annonce), j'ai pensé à la sublime monotonie de Michael Mantler et à la richesse de couleurs de Scott Walker, bien que son travail n'ait que peu de rapport avec les leurs. Sa musique prend son temps, envahissant tout l'espace et le spectre sonore, comme une échelle de Jacob. D'étranges rituels où le loup s'attache un masque d'homme rappellent des yeux grand fermés. La guerre est proche, mais les drames qu'elle engendre sont sublimés par l'imaginaire de l'artiste. La musique a le mérite de susciter plutôt que montrer. Elle évite ainsi la pornographie manipulatoire des actualités de 20 heures. Galperine figurent les champs de bataille quand il ne reste plus rien, plus personne. Et soudain un souffle de vie éclot sur les ruines encore fumantes...

→ Barre Phillips & György Kurtag Jr, Face à face, CD ECM / Universal Music
→ Evgueni Galperine, Theory of Becoming, CD ECM New Series / Universal Music, sortie le 7 octobre 2022

vendredi 9 septembre 2022

Cinq voix pour le trio SR9


Le marimba est mon instrument de percussion classique préféré, peut-être parce que je n'aime vraiment que la percussion qui chante, et le bois dont sont faites ses lames. SR9 est un trio de percussionnistes (Paul Changarnier, Nicolas Cousin, Alexandre Esperet) qui s'est entiché de cet instrument parti d'Afrique, développé en Amérique du Sud pour retourner nous hanter. Le compositeur Clément Ducol a fait fabriquer des lames plus graves que n'en offre le marimba, comme jadis Harry Partch ou Bernard Vitet. Mais il a surtout concocté des arrangements de tubes pop à faire chanter par Camille, sa compagne, ici la moins surprenante (Happy de Pharrell Williams et Don't Stop the Music de Rihanna), et les épatants Blick Bassy (One Last Time d'Ariana Grande et Bad Guy de Billie Eilish), Malik Djoudi (Super Rich Kids de Frank Ocean et Royals de Lorde), Sandra Nkaké (Chandelier de Sia et Video Games de Lana del Rey), Camélia Jordana (Malamente de Rosalía et Dance Monkey de Tones and I). La sélection de tubes plutôt banaux n'est pas banale. L'ensemble constitue un voyage homogène dans un pays qui n'existe pas, une sorte d'île aux trésors où se projettent et se croisent tous les continents.

→ Trio SR9, Déjà vu, No Format, sur Bandcamp en numérique 8€ / CD 15€ / LP 20€

jeudi 8 septembre 2022

De bonnes résolutions


Il faut que Ça sue. Retrouver un équilibre perdu, se reconstruire après un demi-siècle de laisser-aller. Rapport au corps, exclusivement. Rallonger les télomères ! Lorsque j'avais 18 ans je marchais sur les mains, faisais des sauts périlleux, à tel point que j'avais servi d'étalon aux examinateurs du Bac. Refusant les sports d'équipe qui me rappelaient les compétitions nationalistes que je considérais elles-mêmes comme l'école de la guerre, je me faisais enfermer dans le gymnase, seul, par le professeur d'éducation physique, Monsieur Leroux, un type formidable qui avait fait sienne la devise "mens sana in corpore sano". Barres parallèles, cheval d'arçon, tapis de sol. Par un curieux hasard je retrouvais à l'Idhec son fils William qui joue d'ailleurs de la trompette dans mon film La nuit du phoque !
Lorsque la gymnastique ne fut plus obligatoire, j'ai pensé que le sport en chambre, c'est ainsi que j'envisageais les galipettes coquines, suffisait. On a de ces idées lorsqu'on sort enfin de l'adolescence. À 31 ans je me retrouve par terre. S'ensuivent des décennies de lumbagos à répétition, de cruralgies, sciatiques, torticolis. Les ostéopathes ont pris le relais des kinésithérapeutes. Les rebouteux, magnétiseurs, masseuses de tuina m'ont plus d'une fois sorti de la panade. Mes exercices quotidiens ont fait rentrer la hernie discale, mais toutes les vertèbres lombaires se sont tassées avec le temps. Avec le temps, va, tout s'en va. Mes séances matinales au sauna infrarouge m'évitent les mauvaises surprises dont j'étais foutumier du quai, mais je ne peux pas m'habituer à voir le petit ventre du Bouddah dans la glace et à abandonner certains vêtements que j'adore. Tout avait commencé avec les goûters de ma fille que j'accompagnais avec gourmandise. À 50 ans perdre du poids est une épreuve dont peu sortent gagnants, à moins de se priver de ce qu'il y a de meilleur. Ils reprennent les kilos tellement plus rapidement qu'ils les avaient perdus, malgré l'aide des naturopathes qui ne peuvent pas être toujours là pour réguler nos lâcher-prises. Je me suis donc inscrit dans un centre de remise en forme, mais y aller une fois par semaine ne sert pas à grand chose. Seules la régularité et l'assiduité sont réellement efficaces.
Lorsque j'ai constaté que Peter avait perdu 17 kilos en un an sur son vélo d'appartement et retrouvé son corps de jeune homme, hormis les plis (on ne revient jamais en arrière), j'ai cassé ma tire-lire. Voici donc le protocole quotidien que je m'impose désormais : échauffement au pistolet masseur, une demi-heure à pédaler comme un fou en suivant les programmes des coachs sur l'écran, récupération au pistolet masseur pour éviter les courbatures, puis sauna, évidemment suivi par la douche froide. Pour remuscler mes bras j'ai commencé par acquérir un élastique. J'ajouterai bientôt quelques exercices de yoga pour réamorcer la fontaine de jouvence qui occupe ma tête, mais avait déserté mon corps.

mercredi 7 septembre 2022

Un Américain pas tranquille


Jonathan Rosenbaum, ex-journaliste au Chicago Reader prétendument à la retraite [toujours en activité depuis cet article du 2 février 2010], encensé par nombreux cinéastes comme Jean-Luc Godard, auteur entre autres du passionnant Mouvements : Une vie au cinéma (Moving Places: A Life in the Movies), dont le site est à la fois une mine d'archives de ses écrits et un blog dont l'actualité permet de découvrir sans cesse des perles anciennes ou contemporaines, en particulier en DVD, a publié un livre broché sur la rétrospective de comédies américaines transgressives qu'il a présentée à la dernière Viennale, le Festival du Film International de Vienne en Autriche. Cet "Américain pas tranquille", qui lui a donné son titre éponyme, The Unquiet American, en référence au célèbre roman critique de Graham Greene, The Quiet American (Un Américain bien tranquille), ne mâche pas ses mots, ne fait jamais dans le "politiquement correct", creuse ses sujets dans des déserts inexplorés, remonte les chemins battus à rebrousse-poil et sait garder son indépendance de vue dans un paysage critique de plus en plus convenu.
Les 184 pages, agréablement illustrées, sont en anglais pour le programme des 55 films choisis dont il s'explique avec un humour caustique et une conscience politique sans ambiguïté, et bilingues (traduction allemande) pour les textes critiques repris, corrigés ou inédits. Si je suis ravi de partager une partie de ses goûts pour des œuvres mésestimées comme Hellzapoppin ou Les 5000 doigts du Dr T, je suis excité de découvrir des films dont j'ignore tout, soit parce que je suis passé à côté sans les voir, soit par leur absence de distribution en France. Rosenbaum se défend tout d'abord de participer lui aussi à la promotion de l'industrie du cinéma de la plus grande puissance mondiale, véritable ligne de front de l'impérialisme américain, alors qu'il existe tant des chefs d'œuvre inconnus partout ailleurs sur la planète. S'il finit par céder à la demande des organisateurs Hurch et Horwath, il pervertit le sujet en choisissant la transgression comme angle d'attaque.
Ainsi classe-t-il sa sélection en cinq catégories subjectives : les Américains à l'étranger (The Three Caballeros, un des Disney les plus expérimentaux avec la Danse des éléphants de Dumbo, The Fountain of Youth, rare comédie d'Orson Welles tournée pour la télévision, La huitième femme de Barbe-Bleue de Lubitsch, Avanti! de Billy Wilder, Les hommes préfèrent les blondes de Hawks, Ishtar d'Elaine May, réalisatrice de films dits commerciaux qu'il souhaite réhabiliter, Mr Freedom, bijou pop de William Klein, Matinee de Joe Dante), les rapports de classe et tensions ethniques (Christmas in July de Peston Sturges, la comédie musicale Hairspray de l'inénarrable John Waters, Laughter d'Harry d'Abadie d'Arrast, Joan Does Dynasty de Joan Braderman, Chameleon Street de Wendell B. Harris Jr, Rushmore de Wes Anderson, The Heartbreak Kid d'E.May, Lost in America d'Albert Brooks, Bulworth de Warren Beatty), les problèmes culturels (When The Clouds Roll By de Victor Fleming et Theodore Reed de 1919, Artistes et modèles de Tashlin, Down with Love de Peyton Reed, Kiss Me Stupid de Wilder, When Pigs Fly de Sara Driver, When It Rains de Charles Burnett, The King of Comedy de Scorcese, Idiocracy de Mike Judge, Flaming Creatures de Jack Smith...), l'anarchie déconstructive et romantique (1941 de Spielberg, Two Tars de James Parrott, Sherlock Jr. de Keaton et Arbuckle, Real Life d'Albert Brooks, Will Success Spoil Rock Hunter? de Tashlin, des dessins animés de Tex Avery et Chuck Jones, des courts métrages de Owen Land, Adaptation de Spike Jonze...), les dilemmes sexuels (Adam's Rib de Cukor, Hot Times de Jim McBride, The Ladies Man de Jerry Lewis, Turnabout de Hal Roach, Female Trouble de Waters, Lord Loves a Duck de George Axelrod, Monkey Business de Hawks, Seven Chances de Keaton...).
Si je me donne le mal de taper tous ces noms, c'est qu'ils représentent autant de pistes pour le cinéphile et l'amateur désespérément à la recherche de comédies de qualité, autant de biscuits pour l'hiver qui n'est pas près de finir. Suivant ses conseils à l'image près, je pars à la pêche aux inconnus, arpentant les arcanes du Web, fouillant dans les fonds de catalogue, demandant mon chemin à des figurants à la mine patibulaire qui portent bandeau sur l'œil, sabre au clair et fleur au fusil. C'est saignant comme un steak bleu, king size débordant de l'assiette étatsunienne, quand la fâcheuse coutume est de vous le servir trop cuit lorsqu'il atteint les écrans européens.

mardi 6 septembre 2022

Koki Nakano, stratège de strates satistes


J'ignore quels stratagèmes a utilisés le pianiste Koki Nakano pour son disque Ocean Feeling, mais cela me fait irrémédiablement penser aux possibilités offertes par le module d'effets Cosmos fabriqué par le russe Soma. Sa délicatesse satiste convient particulièrement à cette fausse répétitivité, aux délais bègues et aux mises à l'envers qui se superposent et s'accumulent comme si le piano plongeait dans une mer électronique. J'avais repéré que plus la source est simple plus la complexité des affluents en ressort limpide. D'autres effets viennent tendrement perturber les vagues qui s'échouent de plage en plage. Les compositions de Koki Nagano se révèlent faussement simples. Les galets roulent sous ses doigts, les embruns s'échouent comme une pluie d'étoiles. Satie avait inventé la musique d'ameublement, Nakano la transpose mélancoliquement sur les dunes de sable où il marche seul, face au vent, dans un paysage nocturne imaginaire.

→ Koki Nakano, Ocean Feeling, No Format, sur Bandcamp en numérique 8€ / CD 15€ / LP 20€

lundi 5 septembre 2022

Guimbarde virtuose


Sacha m'a prêté un étonnant DVD du guimbardier suisse Anton Bruhin filmé en 1999 par Iwan Schumacher. Trümpi est un road-movie sans commentaire depuis Stoos en Suisse jusqu'à Tokyo en passant par Sakha-Yakutia en Sibérie. Il rappelle le célèbre Step Across The Border par la beauté et l'intelligence des images, par la variété des musiques et le mixage de tous les éléments sonores. Anton Bruhin passe de la guimbarde traditionnelle à d'astucieuses constructions qui lui permettent de jouer sans y toucher, amplifiant l'instrument grâce à des tuyaux en PVC rotatifs. Il tient souvent trois guimbardes dans sa main pour pouvoir changer rapidement de timbre et de tonalité. Au gré du voyage on rencontre toute une ribambelle de musiciens, Markus Flückiger, Spiridon Shishigin, Fedora Gogoleva, Tadagawa Leo, Makigami Koichi. L'extrait de YouTube ne provient pas de Trümpi qui est un vrai film musical avec de nombreux contrepoints signifiants ; nous assistons ici à un concert de Max Lässer et l'Überlandorchester au Casino d'Herisau en 2008 qui donne un aperçu de l'art de Bruhin.


Moi qui m'étais pensé virtuose de l'instrument, je rabaisse mon caquet devant tant de maestria. Actuellement en rupture de stock chez Dan Moi où nous commandons souvent des instruments ethniques, le DVD doit pouvoir s'acquérir en fouinant un peu sur le Net...

Je ne reproduis pas une nouvelle fois mon Hommage à la guimbarde du 30 novembre 2006, mais vous pouvez le lire ici. Depuis cet article du 27 janvier 2010, j'ai acquis de nombreuses guimbardes, doubles, triples, quadruples, un excitateur électrique, etc. !

vendredi 2 septembre 2022

Un homme d’intérieur


Nous sommes plusieurs dans un seul corps. Ce n'est ni de la schizophrénie, ni une référence rimbaldienne à l'inconscient, ni le futuriste métaverse, mais l'ambiguïté des situations nous fait nous comporter de manières différentes selon les situations. On a beaucoup glosé ces dernières années sur l'écart possible entre l'artiste et son œuvre. Le petit Jean-Jacques n'est pas Jean-Jacques Birgé, même si l'un cherche à influencer l'autre, et réciproquement, autant que possible ! La même personne peut faire rire dans un certain milieu et apparaître hyper sérieux dans un autre. Tels des acteurs, nous endossons des rôles avec la même sincérité, la même vérité, fut-elle jamais ce qu'elle prétend être.

Alors que j’étais encore jeune adulte, ma compagne m’appelait le fé du logis. Récemment je rétorque à une amie, qui sort tant qu'elle se dit femme d’extérieur, qu’à son opposé je suis un homme d’intérieur. Si bien qu’au jeu du portrait chinois ma maison me ressemble. C’est une caverne où j’ai installé tout ce dont j’ai besoin pour vivre et travailler, comme si les deux termes n’étaient pas synonymes dans ma cosmologie ! J’en sors essentiellement lorsqu’on m’invite, ce qui me fait pourtant toujours plaisir. L’endroit est spacieux, chaque pièce ayant sa fonction, et les deux jardins, devant et derrière, participent à créer un lieu accueillant pour tous mes ami/e/s.
Lorsque je rejoins le centre de la capitale, je ne m’y promène plus qu’en touriste, ne manquant jamais de m’arrêter au milieu des ponts pour admirer la Seine. En dehors de ces rares incartades, attiré par une exposition, un repas exotique ou une balade romantique, je ne retrouve plus les émotions de mon enfance ni de mon adolescence. Le vélo électrique y est devenu mon moyen de locomotion préféré, malgré l’incivilité qui règne sur les pistes, mais je préfère me faire livrer à domicile plutôt que courir les magasins.
Il est certain qu’en centralisant mes activités je gagne un temps considérable. Si je m’extirpe de mon cocon, ma liseuse ne quitte plus ma poche. Pratique pour les transports en commun ou les salles d’attente. La seule discipline que je tolère étant celle que je m’impose, j’aime pouvoir faire de la musique ou écrire à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Depuis la majorité de ma fille je ne connais plus ni week-end ni vacances scolaires, ni grasse matinée hélas. La maison est ouverte sept jours sur sept avec des horaires allant de l’aube au lendemain. Depuis la Covid il m’arrive de faire la sieste à des moments totalement inattendus, si improbables qu’en général le téléphone me réveille aussitôt assoupi !
Comme j’ai toujours préféré les disques aux concerts, les livres aux lectures ou conférences et que ma cinéphilie ne connaît aucune salle capable de m’offrir ce que mes désirs me poussent à projeter sur mon grand écran, je n’ai aucun regret, surtout si je peux inviter des amis à partager ces agapes, audiovisuelles ou culinaires. D’ailleurs je déteste aller dans un restaurant proposant des mets que je sais confectionner moi-même, d’où mon goût pour les plus grands exotismes, qu’ils soient locaux ou planétaires.
J’ai certainement oublié les mauvais moments et c’est tant mieux, ayant l’impression d’avoir eu beaucoup de chance jusqu’ici dans ma vie, qu’elle soit intime ou professionnelle. Je ne comprends pas les camarades qui répètent que "la vieillesse est un naufrage". Merci Victor ! Ils ont oublié les misères d'antan, émotionnelles et physiques. En mûrissant cela ne s'arrange pas, mais on apprend à gérer, si bien que cela va de mieux en mieux. Ne pas s'endormir si l'on veut améliorer cet extra-ordinaire dans les années qui se profilent ! Évidemment cela ne se fait pas tout seul. Il faut y mettre du sien. Les enjeux actuels me préoccupent et j’espère vaincre le marathon tranquille que j’ai récemment entamé, me rappelant que si je suis homme d’intérieur, je suis avant tout un animal social qui ne s’épanouit que dans le collectif, qu’il soit professionnel ou domestique.
Si l'on pouvait extrapoler au reste du monde, ce serait véritablement extraordinaire, mais la plupart d'entre nous, du moins si vous me lisez, sachant que nous sommes minoritaires à l'échelle de la planète, vivons pour l'instant dans un univers privilégié où ce genre de discours peut encore s'entendre. J'ai toujours du mal dès que je prends un peu de recul en sortant de ma bulle. Dehors, dedans. Je suis donc plusieurs, un autre, voire des autres, avec mes contradictions, mon empathie, ma difficulté d'être, mes paradoxes quantiques, mon évasion dans l'imaginaire parce "l'impossible, c'est le réel, tout simplement."

jeudi 1 septembre 2022

Miroir, miroir...


Les petits moineaux qui se balançaient sur les hauts bambous ont disparu depuis plusieurs années. Heureusement les mésanges charbonnières sont restées fidèles. Elles me rendent souvent visite par quatre. Les mésanges ont une prédisposition pour la vie de couple. Comme moi. Enfin, comme j'aime. Les merles, incomparables solistes jazz, ne sont pas en reste, mais il y a une chose que j'adore, c'est en admirer une se regarder dans la glace. Une demi-douzaine de miroirs sont installés dans le jardin pour agrandir l'espace et créer quelques illusions d'optique. La mésange dévore probablement de minuscules insectes, mais sa propre image l'intrigue, sous son loup de Zorro. Je n'ai jamais vu qu'un geai se livrer comme elle pendant des heures à cet exercice narcissique.


J'ai pris de nombreuses photos depuis le studio. Caché par les deux fenêtres parallèles qui m'assurent un complet silence, je peux m'approcher sans qu'elle perçoive ma présence. Par contre, la sienne fut signalée en amont par ses coups de bec saccadés sur une vieille branche du kiwi. La semaine dernière, depuis la vitre du sauna, j'ai suivi un pinson et des rougequeues noirs. J'ai toujours peur que Django n'en croque un, mais les souris, et faute de grives les vers de terre, sont des proies plus faciles à attraper.