En fouillant les archives familiales pour trouver des papiers administratifs concernant le décès de ma tante Catherine, je suis tombé sur une photo du bureau napoléonien que mon père allait enfin remplacer par des meubles modernes. Nous étions dans les années 60. Je devais avoir 13 ans. La bibliothèque, le bureau et le miroir était un ensemble si kitsch que mon père avait choisi un papier peint vert olive avec des couronnes dorées, peut-être par humour. Il en avait. J'imagine que ces meubles lui venaient de son propre père, reste de ceux qui n'avaient pas été volés par les Allemands après l'arrestation de mon grand-père et sa déportation, ce qui pourrait expliquer qu'il les ait conservés jusque là, à moins qu'il ait été tellement dans la dèche que l'idée ne lui serait pas venue. Après avoir vécu dans un meublé au 36 rue Vivienne dans le IIe jusqu' à mes 5 ans (je traversais seul la Place de la Bourse pour aller à l'école), nous avions déménagé pour un rez-de-chaussée 17 rue Léon Morane dans le XVe (devenue depuis rue des Frères Morane), et là, à Boulogne près de la Porte de Saint-Cloud, au 59 rue des peupliers (il y en avait de très hauts), ma petite sœur et moi avions enfin chacun notre chambre (nous avions 8 et 11 ans). Jusque là nous avions des lits gigogne et il fallait sortir le sien de dessous du mien et le déplier chaque soir. Je me souviens que dans ce nouvel appartement, au quatrième étage, nous avions des balcons et le chauffage venait du sol, un linoléum marron. Le tableau de mon père peint par mon oncle Gilbert Martin est accroché dans l'escalier de ma cave et j'ai récupéré la table basse en marquèterie réalisée par ma tante Arlette. Le reste a disparu, y compris les livres qu'on ne voit pas derrière les grillages. J'ai presque tout vendu. Il y en avait 7000 à la maison. C'était leur histoire, pas la mienne...
Au dernier étage de cette bibliothèque était rangé l'enfer de mon père. C'est ainsi qu'on appelle une collection de livres érotiques. Un soir que mes parents sortaient au cinéma, il me montra l'étagère du haut en m'interdisant astucieusement de les lire. Dès qu'ils furent partis je m'empressais évidemment d'y aller voir et je reçus tout de même un sacré choc avec certains comme les Cent vingt journées de Sodome du marquis de Sade ou les Onze mille verges d'Apollinaire. Il y avait également des photographies licencieuses des années 50 et de très beaux ouvrages graphiques (dont j'aimerais encore vendre certains). Vous pouvez imaginer que le jeune adolescent que j'étais tira largement profit de l'intégralité de cet enfer.
Nous avons finalement déménagé pas loin, 26 route de la Reine, dans un magnifique appartement dont la principale qualité était la terrasse de 200 mètres carrés qui couvrait tout l'immeuble, lieu de belles fêtes psychédéliques avant mon départ du cocon familial lorsque j'eus 19 ans. Après des années de location, mes parents ont fini par l'acheter, et ma sœur et moi l'avons vendu à la mort de ma mère, mon père étant décédé trente ans plus tôt.