Russia 1985-1999: TraumaZone (sous-titré un temps What It Felt Like to Live Through The Collapse of Communism and Democracy, soit Ce que j'ai ressenti à vivre la chute du communisme et de la démocratie) est un documentaire en six parties d'une heure chacune, réalisé par le formidable Adam Curtis. Mais cette fois le réalisateur britannique n'ajoute aucun commentaire en voice-over ni de musique illustrative. C'est un montage brut de documents d'archives avec seulement des titres ou phrases informatives qui s'inscrivent de temps en temps en surimpression. Personne à la BBC ne voyait l'intérêt de ces stock-shots numérisés par un des employés du bureau de Moscou jusqu'à que Adam Curtis décide de s'y coller. Comme tous ses films précédents, l'expérience est époustouflante. Au travers de courtes séquences extrêmement variées de la vie quotidienne en Russie, publique et privée, mais aussi le désastre militaire en Afghanistan ou les recherches sur le site de Tchernobyl, Adam Curtis montre la déliquescence de l'Union Soviétique, la montée du capitalisme et de la puissance des oligarques, les retombées sur toutes les couches de la société russe qui mèneront au pouvoir grandissant de Vladimir Poutine. Les séquences a priori sans rapport de cause à effet relèvent de l'art du montage, laissant au spectateur le soin de créer ses propres synapses. Toutes proportions gardées, je n'ai pu m'empêcher de penser aux chefs d'œuvre La route parallèle de Ferdinand Khittl ou aux Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard.


Mikhaïl Khodorkovski, le premier oligarque, spécule sur le passage des échanges "non cash" (beznalichnye) à l'argent réel. Mais les prix commencent à flamber pour la population. Mikaïl Gorbatchev espère sauver le communisme, mais la Perestroïka devient une catastrophe. Elle exacerbe les nationalismes et les désirs d'indépendance des différentes républiques qui composaient l'URSS. Les émeutes en Géorgie sont réprimées. L'Arménie se rebelle et vote l'indépendance. Boris Eltsine donne le coup de grâce à ce qu'il était coutume d'appeler le communisme en Russie et à la Perestroïka. La corruption bat son plein. Le putsch de Moscou échoue, mais il affaiblit l'armée soviétique. La guerre de sécession en Tchetchénie n'arrange rien. Avec Iegor Gaïdar la Thérapie de choc qui génère des privatisations aux mains d'une nouvelle mafia est perçue comme un génocide économique. Le nationalisme russe grimpe. Les oligarques et l'équipe autour de Yelsine qui voient la tentative de démocratie à l'américaine et l'économie de marché comme un échec nomment un bureaucrate anonyme à la tête du FSB (ex KGB) avant de propulser leur créature premier ministre. Il se nomme Vladimir Poutine. Il redonnera aux Russes leur honneur bafoué avant de sombrer à son tour, aveuglé et perverti par la soif du pouvoir, avec en apothéose l'invasion de l'Ukraine, exploitée par les États-Unis manipulant leurs alliés via l'OTAN.
Russia 1985-1999: TraumaZone, c'est Adam Curtis au Pays mourant des Soviets. Les six épisodes sont chronologiques : 1985-89, 1989-91, 1991, 1992-94, 1993-96, 1995-99. Le film Hypernormalisation d'Adam Curtis de 2016 est un excellent complément pour renvoyer le capitalisme occidental à sa propre monstruosité.