Ma chambre est plongée dans le noir. Je suis seul dans mon lit, bruyant et remuant comme un beau diable. Il y a longtemps Françoise avait filmé mes bonds de dormeur, sorte de lévitation convulsive. Me voici donc rassurant, oui ce n’est que moi, mais je suis tout de même désolé de tout ce raffut, tu me connais. On a du mal à s’y faire, partagé entre la précaution de ne pas réveiller l’autre et la liberté qu’il n’y ait personne sur le flanc est. Pas moyen de m’y faire totalement. Je ne profite qu’à moitié de cette absence. Dans le même temps je me laisse aller à certaines trivialités et je m’en excuserais presque. Mon ciboulot danse d'un pied sur l'autre, tel un homme têtard. Le désir est parfois plus contraignant que la réalité. C’est alors mon neuvième jour de grippe, sans pour autant le bout du tunnel. Je vais plusieurs fois cracher dans les cabinets, me recouchant pour aussitôt me relever en faisant attention de ne pas allumer la lumière pour ne pas te réveiller. Il est crucial de remplir mon verre d’eau. On ne peut se passer de boire. Je repose donc chaque fois délicatement le récipient dont les parois ont fini par devenir troubles. J’ai rarement été aussi malade. Je n’ai plus de fièvre, mais j’ai perdu la voix et je ne veux pas que Didi, fils du vénérable Wang Jen-Ghié, me coupe la tête pour m'aider à la retrouver. Les quatre premières nuits, terriblement blanches, m’ont coincé dans un no man’s land où les irritations nasales puis les quintes de toux ont eu raison de la mienne. Pourtant je ne rêve pas. Est-il possible que tu sois, que vous soyez, à la fois présente/s et absente/s ? Entre souvenirs et ectoplasmes. Le chat de Schrödinger s’est malicieusement couché entre Django et Oulala. Je glisse comme un fantôme, sans pieds ni jambes, sous mon peignoir de coton noir, comme un suaire de suie. Il m’arrive d’avoir des bouffées de chaleur sans que j’en comprenne l’origine. Ben v'là aut'chose ! L'andropause ? Si ce n’était que ÇA. La morphine a momentanément réglé son compte à ma toux compulsive, mais j’ai mal aux cheveux. La fatigue ne me lâche pas. Les aliens de trois ou quatre centimètres que j’ai extraits de mes narines m’inquiétaient ; il aurait fallu qu'ils bougent pour que Cronenberg me les rachète. Tintin. Aucune trace de ces bestioles sur le Net. Les spécialistes s'en fichent. Mises de côté pour éventuelle analyse, elles finissent par se dessécher, rendant mon récit peu compréhensible. Je peste, repensant aux quatre pages D'une histoire féline que Cocteau relate dans son Journal d'un inconnu et aux fantômes successifs qui m’ont collé dans de beaux draps. Ce sont pourtant bien les miens.

Deux jours et un TGV plus tard, je me réveille encore une fois dans le noir. Un filet de lumière passe sous la porte. Je me demande si j'ai oublié d'éteindre avant de m'endormir ou si le soleil a déjà pointé son nez. C'est dire à quel point je suis désynchronisé. J'émerge simplement d'une sieste réparatrice. La solitude ne me convient pas tant que l'unicité, mais je suis toujours aphone. Ce n'est pas très pratique pour communiquer avec Eliott qui, lui, a des séquelles de surdité de sa récente crève. Nous avons convenu que je siffle, me remémorant les grimaces de Harpo, ce qui me change de mon côté Groucho et de mon pseudo, Mellow, qui, retranscrit à la japonaise, sonne comme une guimauve. La guimauve serait anti-inflammatoire, antitussive, décongestionnante, émolliente et drainante. Fondamentalement expérimental, je suis prêt à tout essayer, y compris l'irrationalité, fut-elle philosophiquement matérialiste, une forme d'animisme moderne. L'inconscient est l'un des principaux carburants de l'énigme.

Le troisième rêve portait sur l'identité du rêveur !