Après l'horrible grippe qui m'a assailli, comme beaucoup de camarades, dix jours d'affilée, j'ai surtout une extinction de voix tenace. Autour de moi, il y en a que cela repose. J'avais repris l'habitude de parler seul, des commentaires entre moi et moi, histoire de valider que j'étais bien là, bien à ce que je faisais, et pas ailleurs, dans mes rêves, avec cette manie de toujours faire plusieurs choses à la fois. Ne pas pouvoir l'ouvrir me met dans une situation univoque, ne pensant que dans l'unicité, sans possibilité de dialectique, interne évidemment, mais externe également puisque ne pouvant rien émettre on ne me rétorquera rien. Mon goût du partage s'en trouve fortement lésé. Je peux toujours écrire, mais le délai de réponse est à l'échelle de celui de l'émission. J'ai remplacé mon vieil iPhone par un aPhone de dernière génération. Il paraît que murmurer retarderait la guérison. Je trouvais plutôt amusant de prononcer lentement les syllabes sur un souffle, mais, bon, je n'en ferai rien. Sauf urgence.
D'urgence il n'y en a plus. La semaine qui se profile devrait être calme. Le toit de la maison a été isolé, traité, consolidé. Il était temps. C'est réglé. On dit "comme sur du papier à musique", mais on sait bien ce que je fais des lignes à longues portées. Les usines fonctionnent au ralenti. Il aura d'ailleurs fallu treize mois pour qu'un pressage en sorte. Le vinyle allemand Toxic Rice avec la pièce Très toxique d'Un Drame Musical Instantané sur la face A et Es Gibt Reis ! de Kommissar Hjuler und Frau sur la B traversera bientôt la frontière. Je possède quatre exemplaires de la version de luxe avec vitrine 30x30 cm, quatre sculptures uniques produites par le label Psych.org. J'ignore qui cela peut intéresser par ici. Je ne suis pas marchand d'art. Par contre il est très probable que nous mettions en vente quelques exemplaires d'une version réduite à la Face A, celle du Drame, sous label GRRR. De l'autre côté un noir immaculé, comme un "mirnoir". Trois éditions différentes du même vinyle à une époque de ralentissement du marché, c'est étrange. Il y en aura pour toutes les bourses. Notre enregistrement a été réalisé le 21 décembre 1976, juste avant Trop d'adrénaline nuit. Ce sont les premiers balbutiements d'un nouveau bébé. Quelle énergie ! Dix-neuf minutes où je joue de l'ARP 2600 et des cassettes, du sax alto, de la flûte et des trompes, de la guitare, de la mandoline et du frein, de la percussion... Avec Francis Gorgé à la guitare électrique et Bernard Vitet aux percussions, appeaux, sax alto, trompette à anche, violon et frein. Le frein est un instrument électrique qu'il avait inventé, une sorte de contrebasse à tension variable, comme un immense gopitchang. La trompette à anche était aussi une idée à lui. J'avais remasterisé la pièce l'année dernière.
Je digresse, par impatience, alors qu'on a tout le temps. Rentré à la maison je me suis remis en selle. Avec la crève cela faisait quatorze jours que je ne l'avais pas enfourchée. Cela fait un bien fou. Comme le Phó que j'ai commandé chez Dong Huong. Cela vous remet son bonhomme d'aplomb. À midi, en gare de Nantes, j'avais été obligé de mettre mon déjeuner de Prêt à manger à la boîte à ordures. Ce que j'avais avalé est passé en rentrant, grâce au Gaviscon. Tous les commerces viables étaient fermés. Pour les commentaires réclamés par la SNCF je n'ai pas manqué le couplet sur l'accueil des contrebasses dans les rames. Quelle honte ! Je passe du coq à l'âne, mais quand on n'a rien de particulier à faire on se disperse sur mille petites choses en ayant l'impression d'avoir perdu son temps. C'est que je compte faire cette semaine, perdre mon temps. J'avais bien commence il y a deux semaines avec la grippe. Il faut que je profite de ma lancée, à commencer par dormir. Il semble que la mélatonine fonctionne. Je tiens au moins cinq heures. Quel progrès ! On verra si je suis à la hauteur de ma paresse revendiquée et d'une procrastination aussi peu prouvée. L'idée des prochains jours est donc essentiellement de me requinquer.
Pourtant, me relisant, mieux, tentant de numéroter mes abattis, je ne suis pas certain que ma grippe soit totalement passée. On dirait que son virus s'est inspiré de celui de sa cousine, la Covid. Chacun, chacune, y fait face à sa manière, en fonction de ses propres ressources, mais je note que plusieurs fois il m'a semblé que c'était terminé, et cela repartait le lendemain, de plus belle ou sous une nouvelle forme. En tout cas, ça vous déglingue et ce n'est pas un petit épisode.