On reconnaît un album de compositeur à ce qu'il privilégie l'expression de ses camarades plutôt que se mettre lui-même en avant. Abysskiss en est une belle démonstration, orchestre à l'initiative du guitariste Pierre Tereygeol (Suzanne, BAABOX, R.Khoury 5tet) qui en a écrit les quatre cinquièmes et de la saxophoniste Camille Maussion (Nefertiti 4tet, Mamie Jotax). Ensemble ils en ont assuré les arrangements. L'instrumentation n'est pas commune puisque leurs camarades de jeu sont le vibraphoniste Illya Amar et Victor Auffray à l'euphonium et flugabone, deux cuivres graves et romantiques. Tereygeol lui-même joue d'une guitare baryton. Ces petites fantaisies colorent les paysages sonores d'un timbre personnel qui va bien au delà du terme "rétrofuturiste" qu'ils ont adopté.
J'écris "paysages" qui semble l'univers qui guide les musiciens, sorte de science-fiction ou d'eroic fantasy qui n'a pourtant pas grand chose à voir avec ce que j'entends. Ce pourrait être autant de récits épiques en huis clos, entendre dans les limbes du rêve. Leurs références adolescentes risquent d'éloigner les interprétations imaginatives des auditeurs, alors que leur musique incite à se créer ses propres images. Parce qu'à l'écoute, c'est magnifiquement réussi et mature. Mature, comme on dit d'un bon vin, qu'il est temps de boire.


Evidemment ça plane, ça vogue, ça roule. J'y entends les enfants de Zappa et Marcœur qui se seraient entichés des musiques répétitives, des mélodies impressionnistes et des harmonies hadeniennes. La musique française a toujours lorgné du côté de l'orfèvrerie quand les Anglo-saxons préféraient la ferronnerie, ou les Méditerranéens la maroquinerie. La diversité des paysages hexagonaux se retrouve dans leurs transpositions qu'ils imaginent rétrofuturistes. C'est probablement ce qui fait la richesse de la musique actuelle. Entendre actuelle au sens de celle qui s'affranchit des modes et des styles pour se laisser porter par sa propre histoire.

Abysskiss, CD et Bandcamp, 8€