70 janvier 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 31 janvier 2023

Solos d'Alexandra Grimal et Sakina Abdou


Deux femmes. Saxophonistes. Mères de famille. Préciserait-on si c'était des hommes ? Deux fois deux vies à mener de front. Chacune accouche d'un solo sur le même label new-yorkais, Relative Pitch Records. Alexandra Grimal est de vent et d'eau. Sakina Abdou est de terre et de feu. Elles s'accordent. Le mois dernier, je les ai vus jouer seules puis ensemble au Souffle Continu. C'était magique. J'aime bien ce terme. Il exprime ce qu'on ne comprend pas, mais qui nous touche, sans qu'on ait besoin de lui trouver des explications. Cocteau encore : « Quand ces mystères nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs.» Deux disques de solos de saxophone, j'y allais à reculons. Mais non, ou plutôt oui, ce sont comme des entités animales. Alexandra Grimal a la légèreté du soprano. Sakina Abdou préfère la puissance de l'alto ou du ténor. La première a enregistré ses compositions dans l'escalier à double révolution du château de Chambord. Il fallait les micros de Céline Grangey. La seconde est restée à la maison. C'est Alexandre Noclain qui a endossé le rôle de l'ingénieur. Les musiques de Grimal retiennent leur souffle, chuchotent, se laissent aller à la méditation, coulent de source, s'envolent. Celles d'Abdou s'enracinent, comme s'il poussait des chaises, s'élèvent, reviennent sur elles-mêmes. Deux femmes. Deux saxophonistes. Deux improvisatrices. Si différentes et pourtant si proches. Que partagent-elles ? Qu'est-il écrit entre ces lignes transparentes ? La partition de la vie, le quotidien d'une musicienne...

→ Alexandra Grimal, Refuge, CD Relative Pitch Records, 15€ (10€ en numérique)
→ Sakina Abdou, Goodbye Ground, CD Relative Pitch Records, 15€ (10€ en numérique)

lundi 30 janvier 2023

Le détroit de la faim


Parmi les nombreuses découvertes de ma cinéphilie se révèlent souvent de vieux films japonais qui n'avaient profité d'aucune diffusion en France. Le détroit de la faim de Tomu Uchida en fait partie. Ce cinéaste a pu passer au travers des mailles de la critique parce qu'il n'est pas attaché à un style particulier, mais qu'il choisit chaque fois celui qu'il estime le mieux coller à son sujet, un peu comme Michael Powell ou Jean Renoir. Classé parmi les chefs-d'œuvre du cinéma japonais, ce film policier se focalise plus sur les tourments des personnages que sur une intrigue où l'on identifie tout de suite victimes et assassins. La culpabilité, la dévotion ou l'obsession sont leurs moteurs. L'autre qualité du film tient dans la période évoquée. Tourné en 1963, il dresse le portrait de la misère de l'après-guerre, donnant un aspect documentaire à cette enquête criminelle se passant entre 1947 et 1957. Le détroit de la faim devient ainsi un grand film politique. Prisonnier en Chine alors qu'il est parti filmer en Mandchourie dans les années 40, contraint au travail forcé, Uchida découvrira la pensée de Mao et s'en inspirera dès Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (1955) pour dessiner la brutalité des rapports de classe. Parallèlement à sa charge pamphlétaire, les effets de solarisation de certaines scènes plongent le Japon dans sa réalité médiévale dont le pays aura toujours du mal à se débarrasser. La poésie de la magie croise celle des cœurs. Ce mélange de tons et cette liberté lui confèrent une modernité qui permet de l'associer à la nouvelle vague japonaise, alors qu'Uchida a commencé à réaliser des films dès 1922 ! Des 70 films qu'il a tournés, beaucoup ont été perdus. Il y a huit ans l'éditeur Carlotta avait publié ses six films (1961-71) adaptés du roman Musashi d'Eiji Yoshikawa racontant la vie du samouraï légendaire Musashi Miyamoto, d'une facture plus classique.

→ Tomu Uchida, Le détroit de la faim, Blu-Ray Carlotta, 20€, sortie le 21 février 2023

vendredi 27 janvier 2023

Tout à la main


Très toxique est le dernier vinyle à paraître très prochainement sur le label GRRR, mais le premier chronologiquement pour Un Drame Musical Instantané, puisqu'il fut enregistré le 21 décembre 1976, soit trois semaines avant l'album Trop d'adrénaline nuit. Sur la face A, la pièce éponyme dure 19 minutes et la face B était lisse comme un miroir noir avant que j'y colle une magnifique reproduction de 22,5 x 15 cm d'une image que j'avais réalisée en 1969 ! Elle répond à celle, de la même taille, qui orne la pochette noire du disque. L'une et l'autre sont des agrandissements d'un film de celluloïd noir imbibé de copolymères de polyvinylpyrrolidone et d'acétate de polyvinyle auxquels j'avais mis brièvement le feu. J'ai réalisé l'intégralité de la pochette à la main, pas seulement en y collant ces deux tirés-à-part issus du Light Book imprimé en 1971 par l'Imprimerie Union, mais parce que j'ai écrit tous les textes au crayon gras blanc, recto et verso, plus le macaron central du disque. Il me faudra trois ou quatre jours pour boucler tous les éléments graphiques des 85 exemplaires de ce vinyle mono-face. ils sont évidemment numérotés et signés. Tout ce travail peut sembler un peu délirant, considérant que l'objet sera vendu seulement 15 euros par Dizonord, mais c'est si agréable de fabriquer de beaux objets, à l'image de la musique que j'ai évoquée précédemment.

Très toxique figure en effet sur le très récent vinyle Toxic Rice du label allemand Psych.KG avec sur l'autre face une pièce très Fluxus du Kommissar Hjuler und Frau. La raison du presseur Matter of Fact pour laquelle ces 85 exemplaires se retrouvent amputés de l'autre face m'échappe totalement, mais avec Xavier Ehretsmann (auteur de la photo) nous avons sauté sur l'occasion alors que trois des vinyles du Drame se vendent actuellement comme des petits pains, distribués par The Pusher. Il s'agit de Rideau !, À travail égal salaire égal et Les bons contes font les bons amis, tous trois comme les autres LP du Drame également ressortis pour la première fois en CD sur le label autrichien Klang Galerie. On peut d'ailleurs aussi trouver ces disques et l'édition allemande Toxic Rice au Souffle Continu, autre excellent disquaire parisien.

L'enthousiasme provoqué par l'écoute de Très toxique est l'autre motivation à produire cet album très particulier et à consacrer autant de temps à sa présentation graphique. Francis Gorgé est à la guitare électrique. Bernard Vitet joue de la percussion, des appeaux, du sax alto, de la trompette à anche, du violon et du frein. Je tiens le synthétiseur, un ARP 2600, diffuse des extraits radiophoniques, télévisuels et cinématographiques sur un cassettophone, passe au sax alto, à la flûte, aux trompes, à la percussion, à la guitare, à la mandoline et au frein ! L'aboiement est aussi live que le reste, que j'avais enregistré en 2 pistes et mixé en direct au Studio GRRR situé alors dans la cave du 7 rue de l'Espérance dont l'entrée donnait sur la Place de la Butte aux Cailles. C'était aussi le lieu où je vivais. Une version beaucoup plus longue (32 minutes, index 9) figure dans l'album des Poisons qui dure 24 heures !! Là j'ai mis deux points d'exclamation, parce que seule la musique en ligne offre de telles folies. La qualité de la reproduction sur vinyle et de son nouveau master a justifié le raccourcissement à 19 minutes. Il n'est pas facile de trouver des pièces qui rentrent dans le gabarit d'une face de 33 tours 30 cm, car à cette époque nous jouions sans interruption, intégrant les coups de fil (le téléphone était souvent branché sur la table de mixage), les visites impromptues, les silences où l'un d'entre nous continuait pendant que les deux autres réinstallaient leurs nouveaux instruments, etc. Certaines pièces consistent en d'incroyables mélodrames. L'ensemble était censé refléter notre quotidien transposé en musique, improvisé sur nos instruments avec la même sincérité que le réel, celui de la poésie, puisque nous ne faisions et n'avons jamais fait de séparation entre la fiction et le documentaire.

jeudi 26 janvier 2023

Jazz, définitivement !


Qu'ils soient colorisés n'a pour une fois pas beaucoup d'importance. Ce n'est pas là le film qui s'expose, mais la musique et la danse. Or ce sont mes deux extraits cinématographiques de jazz préférés. Je risque d'avoir l'air radada, voire pannassiette, mais avec la période jungle, les Lew Leslie's Blackbirds of 1928 auxquels participa également l'orchestre de Duke Ellington je ne sens plus mes jambes malgré la fatigue qui ne s'est pas encore dissipée. Je suis évidemment plus proche de Mingus, Roland Kirk, Ayler, Sun Ra et l'Art Ensemble, mais aucun jazz ne me fait plus d'effet, comme lorsque Cocteau raconte à haute-voix, dans Portraits-Souvenirs, l'entrée des Elks et du cake-walk au Nouveau Cirque en 1903...


Commençons donc avec Cab Calloway, le maître du scat, et son orchestre qui swingue à mort avant de laisser la place aux Nicholas Brothers, fantastiques danseurs dont jamais je ne me lasse. Leur énergie est incroyablement communicative. Extrait du film Stormy Weather, un des premiers films où se produisent des musiciens afro-américains dans leur propre rôle, où l'on peut aussi admirer Fats Waller, Lena Horne, Bill Robinson...


Enchaînons avec un extrait de l'hilarant Hellzapoppin que j'ai regardé et écouté des dizaines de fois depuis que mon père me l'a fait découvrir quand j'avais huit ans. Souvent copié, jamais égalé ! L'extrait colorisé a le grand mérite de donner en fin de clip les noms de tous les musiciens et des Lindy Hoppers dirigés par le chorégraphe Frankie Manning dans cette scène d'anthologie, pas seulement Slim (Gaillard) & Slam (Stewart), Rex Stewart et C.C. Johnson.
Mon camarade Bernard Vitet était assez critique avec mes goûts jazzy, en particulier pour Cab Calloway, trouvant que c'était la porte ouverte au rock (qu'il n'aimait pas, l'associant à de la musique militaire). S'il avait raison, cela expliquerait mon choix (euh, pas pour l'uniforme !). Je me suis toujours considéré comme un rocker qui joue de la musique contemporaine avec des jazzmen !

mercredi 25 janvier 2023

Des vertiges positionnels paroxystiques bénins


Je ne sais plus quoi inventer. Épuisé par deux "grippes" consécutives, mon corps semble faire l'inventaire de tous les petits bobos qui ont jalonné ma vie. Les derniers en date, dermatologiques et vertébraux, ont disparu aussitôt pour laisser la place à des vertiges positionnels paroxystiques bénins (VPPB).
Si je n'avais jamais expérimenté ce trouble, j'aurais drôlement paniqué, ce qui avait dû se produire la première fois, il y a quelques années. C'est comme lors des effets trop puissants du haschich du temps où j'appréciais cette méthode pour changer de points de vue sur le monde. J'avais donc cru que j'allais mourir. Comme je ne suis pas mort, la seconde fois, confiant, j'ai attendu que ça passe. Et puis j'ai appris à m'endormir. Comme je ne pratique plus ce sport, je ne deviens plus jamais vert pomme, mais je ne suis pas certain d'avoir actuellement pour autant la bonne couleur !


Il y a deux jours, lorsque, dès mon réveil, j'ai effectué deux ou trois boucles sur les montagnes russes, je sus qu'il fallait bien le prendre, amorcer le virage en douceur. Cette fois j'ai ri en m'accrochant tout de même fermement aux rebords du matelas. "Ces vertiges, souvent violents, brefs (moins de trente secondes), et donnant l’impression d’un mouvement de rotation ou de chute dans un trou, sont déclenchés par les changements de position : se coucher, se lever, regarder en l'air, tourner la tête rapidement, se retourner dans son lit", et cela peut se répéter pendant plusieurs jours. Ils seraient liés à un dépôt anormal d'otolithes (petits cristaux) dans l'un des canaux semi-circulaires de l'oreille interne. Lors d'un mouvement du corps, ces otolithes se détachent et se déplacent, ce que le cerveau interprète comme une rotation brusque de la tête. L'effet peut se produire les yeux fermés ou dans l'obscurité. C'est très impressionnant. Comme ces vertiges ne sont accompagnés d'aucune autre manifestation, il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Si cela dure, dès que je pourrais m'extraire de mon cocon grippal, j'irai voir un ostéopathe spécialisé qui réglera le problème en deux coups de cuillère à pot.
En attendant lorsque je suis couché ou que je me penche pour attraper un objet par terre, j'y vais lentement, car cela peut chavirer sur les chapeaux de roue. Mais qu'est-ce que je ne fais pas doucement depuis six semaines qu'a commencé cette traversée du désert ? Je sens pourtant que je me rapproche de l'oasis, sachant que même les mirages sont des projections de la réalité.

mardi 24 janvier 2023

Plus fort que la Légion d'Honneur


Jeudi à 14h précises [l'article original date du 26 juin 2010] ma pâte à prout est officiellement entrée dans les collections du Musée des Arts Décoratifs et, par là même, dans les Collections Nationales. Passée devant la commission, je ne sais pas si c'est la petite ou la grosse, elle portera donc un numéro d'inventaire commençant par 2010 sous le nom de Noise Blaster (ou encore pâte à pet, boîte à pet, boîte péteuse). Je l'avais achetée chez Hanley's à Londres en 1995 pour 4 £. Elle avait été exposée l'année dernière pendant cinq mois à "Musique en Jouets" dans une des ailes du Louvre qui héberge les Arts Décoratifs. Je n'ai pas gardé de photographie et j'ai racheté la semaine dernière à Toronto une pâte à prout toute neuve intitulée cette fois Wind Breaker. Ce produit a tendance à se rétracter et à sécher au fil des années. Pour qu'elle fonctionne au mieux, il est nécessaire qu'il y ait un maximum de pâte lorsque l'on y enfonce les doigts après avoir créé une poche d'air au fond du gobelet. Mais la réputation de cette matière est parfois usurpée, sa mollesse l'empêchant de s'en servir comme cale. Sur la boîte de ma pâte fraîche, il est stipulé qu'elle ne peut être utilisée à l'église, ni en classe, ni en réunion de famille. Sous son nom, on peut lire "Hearing is Believing" (L'entendre c'est y croire !).
Le même jour, sont entrés dans les Collections Nationales un lapin Nabaztag, donateurs Antoine Schmitt et moi-même, ainsi qu'un piano Michelsonne de Pascal Comelade, plusieurs boîtes à musique, des Playmobil et leurs variations tchèques, des Igracek, soit une infirmière et un ouvrier. À côté de l'objet du délit j'ai photographié un coussin péteur bien que dégonflé, ce qui n'est certainement pas le cas de Dorothée Charles qui a soutenu avec passion la donation de ma pâte à prout, grâce lui soit rendue !

lundi 23 janvier 2023

Pas forcément à lire


C'est un bilan de santé. Pas forcément à lire. Mais je n'ai trouvé que cela pour sortir de ma léthargie. Impossible de lire, regarder un film, écouter de la musique, je suis épuisé. Je scrute le plafond, recroquevillé dans mon lit. Les yeux me brûlent. Je les ferme. 39°5 au réveil. Les frissons et les courbatures sont à peine atténués par le Dafalgan (Doliprane, c'est pareil, mais en ces temps de pénuries de médicaments on fait avec ce qu'on trouve). Tout a commencé il y a six semaines. La très vilaine grippe s'était transformée en extinction de voix. Je retrouvais un équilibre, difficilement, car les produits pharmaceutiques et l'état fébrile m'ont fait passer en hypothyroïdie alors que j'étais stabilisé. Les analyses sanguines ne sont pas fiables dans ces conditions. Et voilà que mon petit-fils me refile sa rhino-pharyngite virale. C'est reparti pour un tour. J'en ai terriblement marre, mais mon degré d'abrutissement fait passer la pilule. La toux irrite à nouveau les cordes vocales. Voix rauque. J'éternue, je grelotte, bouffées de chaleur pendant la nuit. La gorge commence à me brûler. Je n'ai pas faim, ce qui chez moi est le signe d'un net dysfonctionnement ! Chercher à faire quelque chose de positif, mais je ne tiens pas debout. Heureusement mes adorables voisins font mes courses ou je me fais livrer. Je préférerais ne pas me plaindre. J'arrête la toux en criant "stop !". Souvent ça marche. Je me soigne avec les prescriptions médicales et des remèdes de sorcière. Je peste contre l'époque. Six semaines c'est long et j'ignore quand je sortirai du tunnel, d'autant que je ne sais pas à quelle branche me rattraper. Il doit y avoir une base psychologique à ce marasme, mais quand c'est parti ce n'est plus la question. Je ne me reconnais pas. Mes proches non plus. Où est mon peps légendaire ? Terrassé par la fièvre il m'est arrivé d'avoir des idées noires. Ne pas y faire attention, mais ça explique que certain/e/s se laissent glisser. Mon cancer passé m'apparaît comme un truc sympa parce que j'étais bien entouré. L'aphonie m'a isolé. La fièvre me projette dans un non-monde où chaque instant devient insupportable. Il faut pourtant prendre son mal en patience. En attendant, je vais me recoucher. Au plafond je compte les heures. Les bambous servent à accrocher la moustiquaire quand les beaux jours reviendront.

P.S.: le lendemain matin, la fièvre est tombée. Bronchite. Grosse fatigue. Tous les lieux de fragilité cèdent les uns après les autres, comme mon dos. Passé l'inventaire, je reprendrai la marche intelligente et j'oublierai ce sinistre passage.

vendredi 20 janvier 2023

Le psychédélisme de Tanaami est contagieux


Je continue de publier de temps en temps d'anciens articles en rénovant les liens hypertexte et en les actualisant autant que possible, comme celui-ci daté du 2 juin 2010 sur un DVD qu'on peut encore trouver même si l'éditeur a disparu. Raison de plus pour signaler des œuvres importantes qui risquent l'oubli...

En les scannant j'ai fait glisser le bandeau sous le livre relié qui est en fait un format allongé (non carré) compilant près d'une centaine de dessins pleine page sans commentaires, précédés d'une préface de feu Shūji Terayama rédigée en 1975 et suivi d'une filmographie de Keiichi Tanaami qui s'étale jusqu'en 2009. L'objet est superbe et mériterait à lui seul l'acquisition bien qu'il ne soit que l'accompagnement du DVD présentant 14 films d'animation de celui que Terayama appelait "Sombre magicien du cinéma électrique. Prestidigitateur de la télévision en couleur. Gérant de la discothèque mentale. (...) Méditation zen de l'agent de vente de l'érotique (...) Apprenti coloriste ayant dans l'idée que les ombres aussi ont bien des nuances." Si je connaissais depuis longtemps l'œuvre de Terayama pour l'avoir rencontré hagard dans les rues de Cannes nocturne et lui avoir tenu compagnie pendant le festival du film de 1972, je ne connaissais de Tanaami que la pochette de l'édition japonaise du Jefferson Aiplane After Bathing At Baxter's. Les deux heures de film sont suivies d'un entretien avec Tanaami et d'un petit sujet d'Arte sur son travail.
Chalet Pointu, en collaboration avec Carte Blanche, [publiait] ce petit chef d'œuvre de psychédélisme nippon, trip lysergique convoquant le traumatisme du bombardement de Tokyo en 1942, les poissons rouges de son grand-père, des yeux et des oreilles, des formes érotiques, et plus essentiellement des images puisées dans sa mémoire ou extirpées de ses rêves. La technique du flicker provoque la transe. Plusieurs des films sont des duels graphiques avec son ami animateur Nobuhiro Aihara. Les musiques, successivement de Takashi Inagaki, Morio Agata, Kuknacke ou Masahiro Saeki, soutiennent l'animation des dessins à la main dans une pop instrumentale drôle, hypnotique et inventive dont les Japonais ont le secret. Retour aux origines de l'art, improvisation, enfance, plaisir... Sans story-board, les films de Tanaami défiant la logique, la contagion nous gagne et nous nous laissons progressivement aller à notre tour à la rêverie. Lysergique, balbutiai-je.

jeudi 19 janvier 2023

La fille de la mer


C'était il y a douze ans (l'article date du 28 mai 2010). Ma fille Elsa a depuis abandonné le trapèze et la contorsion pour se consacrer aux spectacles musicaux et au chant. Avec la vibraphoniste Linda Edsjö elles ont même récemment reçu le Grand Prix de l'Académie Charles Cros pour leur CD Comme c'est étrange, un prix dont je rêvais lorsque j'étais jeune homme. Le troisième spectacle avec le groupe Odeia est également sur les rails, ainsi que plein de nouveaux projets qui font forcément plaisir au papa. Il y eut d'autres succès que l'on peut retrouver sur son site... Quant au festival Si la mer monte, mélange d'art et de science, en juin 2023 il en sera à sa quinzième édition ! Pendant ce temps, cette semaine, je joue les grand-père de garde au bord de la Loire...

Un jeu de mots charmant donne son titre au spectacle monté par Elsa Birgé et Michèle Buirette à l'occasion du festival "Si la mer monte" dont Michèle a assuré la programmation artistique. Ma fille et sa mère ont donc créé ensemble La fille de la mer dimanche dernier à la pointe de l'île Tudy, Finistère Sud, sous un soleil brûlant, devant une foule conquise. Depuis quelques années Michèle chante en solo les paroles qu'elle compose en s'accompagnant au piano à bretelles tandis qu'Elsa vole et nous venge dans des airs aussi slaves que parigots. Ayant acquis sa réputation de contorsionniste sur trapèze au sein du fameux Vrai-Faux Mariage de La Caravane Passe, elle ajoute aujourd'hui ses cordes vocales à son arc céleste. Mon enthousiasme peut s'épanouir sereinement depuis qu'elle en a fait sa profession, heureusement plus prudente qu'enfant lorsqu'elle grimpait sur son trapèze pendant que nous avions le dos tourné. Combien de fois est-elle tombée dans sa chambre pour avoir désobéi ? Pire, de cette même cale de l'île Tudy qu'elle arpente depuis qu'elle est née, elle fit son plus beau vol plané, quatre mètres de haut avec atterrissage sur la tête et le vélo en prime qui l'achève pour l'avoir enfourché pieds nus, sans freins et trop grand pour elle alors que nous étions partis faire des courses à Pont-L'abbé... Une des pires nuits de ma vie. Ou à l'École du Cirque époque Annie Fratellini : "ne vous inquiétez pas, votre fille est avec son professeur à l'Hôpital Robert Debré, mais elle n'a rien..." Elle avait hurlé à sa copine de lâcher la longe pendant qu'elle faisait le saut périlleux ! Les enfants finissent par comprendre que nous nous inquiétons pour eux simplement pour avoir commis nous-mêmes toutes ces bêtises quand nous avions leur âge et avoir eu la chance d'être passés au travers. Elsa pratique aujourd'hui sa discipline avec le même sérieux que n'importe quel professionnel évitant de mettre les ciseaux dans la prise pour vérifier s'il y a du courant. Le spectacle qu'elle a imaginé avec Michèle est à la fois drôle et émouvant. Certains îliens avaient les larmes aux yeux de voir voler et chanter celle qui fut à six ans une miraculée de la grève. En regardant le film, j'ai adoré les arrière-plans tatiesques derrière le chapiteau sans voile comme cette barque de rameurs suant sang et eau qui traverse le champ ou la grosse dame reculant dangereusement vers les rochers pour prendre la photo-souvenir, sans parler d'Erik oubliant qu'il filme et entonnant en chœur et complètement faux "si la mer monte..." tandis que les deux filles font leur numéro, Elsa palmée et masquée, Michèle virevoltant autour du portique. Si le cadre était idyllique on peut maintenant leur souhaiter d'autres cieux où continuer le spectacle...

mercredi 18 janvier 2023

Paul Vecchiali nous manquera


Je ne me souviens plus du nom du cinéma du 15e arrondissement qui dans les années 70 projetait un festival des films de Paul Vecchiali. Je les ai tous vus. Étonné d'être parfois seul dans la salle. J'osais à peine en parler. Et puis j'ai continué en en ratant quelques uns. Cinéaste indépendant autour duquel tournait toute une famille de comédiens, de techniciens, d'artistes et de réalisateurs, hommes et femmes, il passa 20 ans sans percevoir l'avance sur recettes du CNC. Ses films, plus d'une cinquantaine, sont ceux d'un homme indépendant, un pied dans la cinéphilie, l'autre dans l'invention cinématographique. Ayant toujours rué dans les brancards de notre société hypocrite, il est mort à 92 ans, en homme libre.

J'ai été un peu maladroit


J'ai été un peu maladroit. Un réalisateur, ami de longue date, [était] venu me proposer de composer la musique de son prochain film. Au lieu de le rassurer en frimant, je me suis ouvert à lui de mes incompétences et de mes doutes. Quel artiste n'en a pas ? C'est même là-dessus que nous édifions notre œuvre. Évoquant d'éventuelles collaborations musicales comme je les affectionne, je fragilisai encore un peu plus ses propres incertitudes. Mettant ses craintes sur le compte de l'intuition, il m'envoya un mail le soir-même où il faisait machine arrière sans avoir entendu la moindre note de musique. C'est idiot de ma part de ne pas avoir insisté, car si les mots sont trompeurs la musique ne m'a jamais trahi. J'ai toujours su répondre avec des sons, que ce soit en les bruitant avec ma bouche, en sortant quelque vieux document d'archive ou en me collant devant un clavier ou un autre instrument. Plutôt que donner à écouter une composition réalisée pour un autre propos et qui forcément ne peut convenir à l'œuvre à venir, je préfère livrer quelque retour à-brule-pourpoint et corrigeant mon improvisation au fur et à mesure que je perçois les réactions de mon interlocuteur. Je façonne mon ébauche comme une pâte à modeler qui me servira plus tard de modèle, en parfait accord avec les besoins de l'œuvre à sonoriser. J'ai été un peu maladroit. Rien de grave, cela n'affecte pas notre amitié, mais je me pose des questions sur ma sincérité, mise en avant dès le premier contact, avec des personnes avec qui je n'ai encore jamais travaillé.

Ma maladresse me rappelle un de mes textes mis en musique par Aki Onda pour son magnifique album Un petit tour et dont j'avais assuré la direction artistique en 1999. Sur Maladroit on entend Bernard Vitet au bugle, mon synthétiseur PPG et les documents enregistrés par Aki :

J'en reproduis également les paroles ci-dessous pour mes lecteurs sans écouteurs. Le sujet n'a évidemment rien à voir avec l'anecdote récente, mais elles reflètent bien nos timidités ou les quiproquos dont nous pouvons être victimes. Nos propres victimes, s'entend !

J’ai été un peu maladroit
Et je l’ai été trois fois
En tremblant dès que je t’ai vue
En approchant ma main de ta joue
En ne comprenant pas le mouvement de tes lèvres
J’ai été un peu maladroit
En n’osant pas te regarder dans les yeux
En faisant comme si de rien n’était
En te laissant partir sans avoir dit les mots
J’ai été un peu maladroit
Te frôlant j’ai cru que tu m’avais touché
En te touchant je me suis affolé
En t’embrassant j’ai évité la bouche que tu me tendais
J’ai été un peu maladroit
Je n’ai pas vu tes yeux
N’ai pas senti ta main
Ni la pression de tes baisers
J’ai été un peu maladroit
Car dans tes yeux j’ai rêvé de me perdre
De ton visage éprouver la tendresse
Et j’ai simplement cru que tout était compliqué
J’ai été un peu maladroit
J’ai dû l’être plus de trois fois

Article du 31 mai 2010

mardi 17 janvier 2023

Au pied des Appalaches


Il était moins une que je ne vois rien des Appalaches. Dimanche après-midi, Suzanne me propose de me montrer la Petite Suisse avec son char. Certains disent que ce nom vient du paysage, d'autres parce que de nombreux Suisses ont acheté des entreprises dans cette région où semble régner la prospérité. Nous n'avons jamais vu de notre vie autant de voitures de sport décapotables, des rouges, des jaunes, des oranges, des roses, des blanches, des grises, des noires, des vertes et des pas mûres, toutes lustrées comme si elles sortaient neuves du garage, pareil avec les Harley customisées à mort, le tuning étant une coutume locale quel que soit le véhicule ! Chaque fois qu'on nous emmène, le conducteur ou la conductrice s'excuse que son automobile est sale sous prétexte qu'il y a trois brins d'herbe sur le tapis de sol ou un peu de poussière sur le tableau de bord. La richesse apparente provient aussi des industries agricoles qui polluent les sols et des bourgeois de Montréal venus s'installer à la campagne, à seulement une heure trente de route. Dans ce qu'on appelle aussi le Petit Montréal les fils et filles à papa montent et descendent le boulevard Notre Dame Est pour faire admirer leur bolide ronronnant. Pendant les six mois d'hiver, l'auto cède la place à l'écran géant vidéo. Pourtant la misère existe, un tiers de la population est en difficulté, sans évoquer les Amérindiens dans une situation catastrophique. L'itinérance se réfère aux SDF, mais elle est camouflée. L'errance est plus sporadique. Ce sont les termes que Suzanne emploie pour parler du travail qu'elle quitte pour aller vivre dans une des îles de La Madeleine, vers St-Pierre-et-Miquelon. Dans la formidable coopérative bio dont elle est présidente, certaines herbes sont notées "non irradiée" et son jardin rassemble 70 espèces de plantes médicinales. L'ambiance aseptisée de la petite ville contraste avec certaines aberrations comme l'égout à ciel ouvert de petites communes proches dans la montagne. Pendant tout notre séjour nous n'avons vu absolument aucun téléphone portable. J'ai raté deux concerts pour descendre à la rivière que surplombe la maison de Guylaine Walsh. Elle coud à la main de ravissants chapeaux-cloches avec des matières recyclées, essentiellement des cravates d'hommes. La récupération préoccupe les écolos du coin, berceau du mouvement. Le soir, nous rentrons à Victoriaville pour le concert de Catherine Jauniaux, Malcolm Goldstein et Barre Phillips suivi de celui de l'octogénaire Bill Dixon avec, entre autres, quatre trompettistes. La voix de Jauniaux se fond aux cordes frottées et Tapestries for Small Orchestra m'emporte délicatement dans les bras de Morphée. Nous devons rejoindre Montréal pour nous envoler en fin de journée, mais avec le décalage horaire nous ne serons à Paris que lundi matin.

Article du 23 mai 2010

lundi 16 janvier 2023

Philippe Falardeau, la vérité des mensonges


Depuis mon article du 4 juin 2010, Philippe Falardeau a réalisé d'autres films : Monsieur Lazhar, The Good Lie, Guibord s'en va-t-en guerre (voir plus bas mon article du 26 février 2016), Outsider (Chuck), Mon année à New York (My Salinger Year) et récemment la série Le Temps des framboises. En s'attaquant à des sujets comme la vie des travailleurs immigrés au Québec et en glissant vers le mélodrame, Falardeau a perdu de la fantaisie de ses premiers films, mais il s'intéresse toujours autant aux histoires cachées et à leurs conséquences sur chacun/e. Sans sous-titres, l'accent québécois retient probablement une partie du public français de s'intéresser aux nombreuses merveilles méconnues venues de l'autre côté de l'Atlantique. C'est un coup à prendre, un twist de l'oreille qui vaut son pesant de sirop d'érable et nous enchante !


Découvrant par hasard La moitié gauche du frigo du Québécois Philippe Falardeau, nous eûmes l'irrésistible envie de voir ses films suivants, Congorama et C'est pas moi, je le jure ! Pendant tout la durée de son premier long-métrage à la fois politique et hilarant, nous nous sommes demandés s'il s'agissait d'un documentaire ou d'une fiction. Un jeune réalisateur y filme les déboires de son co-locataire à la recherche d'un emploi. C'est beaucoup plus fort que les démonstrations laborieuses des documentaristes tristes dont la France a le secret. Pour le second film, il n'y a plus d'ambiguïté sur sa nature, le scénario est magistral, les comédiens merveilleusement dirigés et l'humour toujours aussi décapant. Dans tous les cas, c'est filmé avec une grande intelligence et une soif du détail qui épate au détour de chaque plan en évitant les explications laborieuses et les redondances audio-visuelles. Je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi la critique privilégie toujours les mêmes réalisateurs et les mêmes films quand il en existe d'aussi inventifs.


Le troisième film valide quelques clefs de l'univers du cinéaste comme la difficulté de marcher ou la paternité, mais c'est surtout du mensonge qu'il est question, car Philippe Falardeau adore nous raconter des histoires. Il ne pouvait trouver meilleur médium que le cinéma ! La franchise du héros de La partie gauche du frigo trouve un écho avec le vol de l'ingénieur joué par Olivier Gourmet dans le sublime Congorama et la mythomanie du gamin de C'est pas moi, je le jure ! Le scénario de Congorama est à des kilomètres de la paresse de la plupart des films français. Les fils du récit se tissent en un imbroglio où tous les éléments du puzzle finissent par trouver leur place dans une folie maniaque où l'asservissement à la quadrature du cercle est tourné en dérision, comme dans le dernier plan où Gourmet bouge la tête à la manière saccadée de l'émeu. Cherchez les DVD, Congorama est distribué en France, les autres au Canada...

Guibord s'en va-t-en guerre


Si Philippe Falardeau change de style à chaque nouveau film, il suggère toujours des sujets graves sous l'angle de la comédie. Après son documenteur La moitié gauche du frigo, il avait réalisé Congorama, C'est pas moi je le jure !, Monsieur Lazhar et The Good Lie, tous ces longs métrages valorisant le mensonge comme élément dynamique de l'histoire. Guibord s'en va-t-en guerre ne déroge pas à la règle, puisqu'il met en scène un homme politique, la caricature ne pouvant jamais arriver à la cheville de la réalité, même si son analyse critique est fine et savamment inspirée. L'idéologie est, comme partout aujourd'hui, enfoncée par la stratégie, moteur d'une caste d'ambitieux avides de pouvoir. Steve Guibord, interprété par Patrick Huard, n'est pas un foudre de guerre, simplement le député indépendant de Prescott-Makadewà-Rapides-aux-Outardes, circonscription du nord du Québec, du moins dans le film, car si c'est à l'image du faux site du député Guibord, on aura du mal à la situer sur la carte du Canada. Or Guibord possède l'unique voix qui pourrait faire basculer la Chambre des communes pour ou contre la guerre au Moyen Orient.


La satire québécoise peut sans hésiter s'appliquer à notre propre classe politique, plus encline à se placer sur le marché du travail qu'à défendre un programme cohérent. Les enjeux ne sont pas éloignés des nôtres, et les petits arrangements rivalisent avec les fausses promesses. Entouré d'une femme businesswoman, d'une fille rebelle et d'un stagiaire haïtien citant Jean-Jacques Rousseau à tout bout de champ, le député Guibord doit trouver un terrain d'entente entre les natifs qui montent un barrage sur la route et les bûcherons qui déciment la forêt, tout en mettant les médias dans sa poche. Ne sachant pas quoi penser, il ouvre une "fenêtre de démocratie directe" en interrogeant ses électeurs... N'allez pas croire pour autant que le cinéaste soutienne le "tous pourris", mais il me laisse penser que le tirage au sort pourrait être la meilleure alternative à la bande d'incompétents professionnels à la solde des banques qui nous gouvernent !

samedi 14 janvier 2023

Quelle corrosion pour Très toxique ?


Xavier Ehretsmann est passé voir sous quelle forme nous sortirons TRÈS TOXIQUE, le vinyle mono-face avec la pièce d'Un Drame Musical Instantané du 21 décembre 1976, soit trois semaines avant Trop d'adrénaline nuit. C'est une des premières fois que nous enregistrions ensemble avec Francis Gorgé et Bernard Vitet. La musique est incroyablement dynamique et inventive. Sur la pochette noire sera collée une image toxique que j'ai chimiquement réalisée en 1969 et qui était parue deux ans plus tard dans le Light Book de l'Imprimerie Union et le texte sera écrit à la main au crayon gras blanc. Nous hésitons encore à ce que nous ferons subir à la galette elle-même sur la face ressemblant à un miroir noir.
On peut trouver au Souffle Continu Toxic Rice, quelques rares exemplaires de la version parue chez Psych.org avec une pièce de Kommissar Hjuler und Frau sur la face B, numérotée de 1 à 56. Les 85 exemplaires de la version mono-face du Drame seront également numérotés, sous la référence GRRR 1035 et distribués par Dizonord.
Sur la photo je montre à Xavier un des instruments utilisés par Bernard et moi sur TRÈS TOXIQUE, le frein, sorte de contrebasse électrique à tension variable que mon ami avait fabriquée quelques années auparavant. Il est en aluminium, trois cordes et des micros réalisés à partir d'écouteurs de téléphone public.

vendredi 13 janvier 2023

Terry Riley & Bang on a Can All‑Stars, Autodreamographical Tales


J'ai pris l'habitude de ne négliger aucun album de Cantaloupe Music, le label du groupe Bang on a Can. Les compositeurs et compositrices qui tournent autour du noyau central, Michael Gordon, Julia Wolfe et David Lang, sont particulièrement inventifs. Que ce soient avec les vétérans John Cage, Conlon Nancarrow, Terry Riley, Steve Reich, Philip Glass, les groupes Sō Percussion, Kronos String Quartet, Alarm Will Sound, Icebreaker, Matmos, ou Meredith Monk, Glenn Kotche, Kaki King, Lukas Ligeti, Iva Bittová, Glenn Branca, Brian Eno, Gavin Bryars, Laurie Anderson, Arnold Dreyblatt, Aphex Twin, Bryce Dessner, Squarepusher, Kevin Volans, Fennesz, Christian Marclay, John Adams, René Lussier, Bill Morrison, Bill Frisell, pour n'en citer que quelques uns, le label Cantaloupe recèle des trésors relativement méconnus de ce côté de l'Atlantique. Ce sont évidemment essentiellement des représentants de la musique américaine, souvent issus du courant minimaliste, encore qu'il y ait parmi eux quelques maximalistes. Le soft power est toujours bien vivace.
Cette prolixité me contrarie, car en tant que compositeur j'ai la manie d'espérer "faire ce qui ne se fait pas puisque ce qui est fait n'est plus à faire". Je pense que je crée essentiellement ce dont je rêve et que je ne trouve nulle part. C'est loin d'être évident et il m'arrive de passer des mois, voire des années, sec comme un coup de trique. Heureusement l'idée finit par arriver, à un moment où je m'y attends le moins. Mais comme j'écoute énormément de choses bizarres dans tous les genres musicaux, je suis de plus en plus souvent confronté à des idées que j'aurais pu avoir et qu'un ou une autre a déjà produites à ma grande satisfaction. Cette bande de New Yorkais n'arrange donc pas mes affaires, même si elle me comble en tant qu'auditeur.
Je viens ainsi d'enchaîner Barthymetry de Matt McBane, Mosaïques et Ritournelles de Florent Ghys, Oxygen de Julia Wolfe pour un ensemble de flûtes, mais aujourd'hui je me contenterai d'indiquer Autodreamographical Tales, un album étonnant de Terry Riley avec le Bang on a Can All‑Stars, sorte d'opéra pop sous la forme d'un journal onirique où le compositeur commente et chante. Il passe allègrement du blues au rock, du free jazz à des formes plus classiques. La chose est vivifiante, drôle et émouvante. La première moitié a été arrangée par Gyan Riley, le fiston, la seconde par son père. À la fin des années 60, j'ai usé Poppy Nogood and the Phantom Band / A Rainbow in Curved Air jusqu'à la corde, comme Church of Anthrax avec John Cale sous la pochette d'Andy Warhol, et Persian Surgery Dervishes sur le label Shandar. Plus tard j'ai accumulé les versions de In C et tous les enregistrements du Kronos Quartet, formation à laquelle Terry Riley a consacré la majorité de son travail ces quarante dernières années.
Ce nouvel album sonne comme le commentaire de la vie rêvée du compositeur. Le Bang on a Can All Stars rassemble ici Ken Thomson (clarinettes), Vicky Chow (piano, claviers), Mark Stewart (guitare), Ashley Bathgate (violoncelle), Robert Black (basse), David Cossin (batterie, percussion, enregistrement, mixage) avec Terry Riley qui joue aussi du piano et des claviers. Il n'y a pas de sous-titres dans les disques, mais le public européen avale les paroles en anglais sans que cela le dérange, la plupart du temps sans comprendre, ou bien seulement des bribes. Quel que soit notre niveau, il reste la musique des phonèmes qui fait rêver les somnambules que nous sommes.

→ Terry Riley & Bang on a Can All‑Stars, Autodreamographical Tales, 2 LP ou en numérique comme Bandcamp

jeudi 12 janvier 2023

Le cri du Caire


Je n'ai pas encore vu La conspiration du Caire du talentueux Tarik Saleh (Le Caire confidentiel / The Nile Hilton Incident), mais j'ai la chance d'écouter Le cri du Caire qui réunit le saxophoniste britannique Peter Corser, le violoncelliste allemand Karsten Hochapfel et, en invité, le trompettiste Erik Truffaz autour du chanteur et poète égyptien Abdullah Miniawy. Aucun rapport entre le film et le groupe, si ce n'est un regard critique sur l'histoire récente égyptienne. La musique sonne bien, mais je me demande quoi écrire sans comprendre les paroles. Cette manie des attachés de presse d'envoyer les CD sous pochette carton sans livret est terriblement frustrante. Accompagnant l'objet, le texte, ici dû à Blaise Merlin acteur déterminant du projet, est biographique et circonstanciel, mais ne permet pas de savoir où l'on met les oreilles du point de vue du sens. Je me retourne donc vers Marc Chonier qui est en charge de la promotion et, en attendant, je me dis qu'il est logique d'entendre là le souffle continu de Peter Corser au ténor (un habitué du festival La voix est libre), les envolées lyriques d'Erik Truffaz (qui s'est toujours intéressé aux autres cultures que la sienne) et les cordes sensibles de Karsten Hochapfel (pilier du groupe Odeia et compagnon de route de Naïssam Jalal). Le soufisme fait tournoyer la tête comme le jazz en phrases hypnotiques qui semblent s'intensifier jusqu'à la transe, et la paix retrouvée.


À la quatrième écoute je reçois enfin les informations dont j'ai besoin pour avancer sur le chemin de sable et de larmes. Mélange de sacré et de profane, de piété et de révolte, les textes sont à la fois reconnaissables dans la forme et nouveaux au creux du cœur. Sous les vers ésotériques se perçoivent l'influence du Coran, de la révolution de 2011 et des désillusions du peuple égyptien. Ainsi la musique prend tout son sens, parce que sa traduction des textes ne peut trahir : elle fait corps avec la poésie, inexplicable, magique, sublime.

→ Le cri du Caire, CD Les Disques du Festival Permanent / Airfono / Big Wax, sortie le 27 janvier 2023

mercredi 11 janvier 2023

Les yeux de la tête


Depuis cet article du 13 mai 2010 cela ne s'est pas arrangé. Tout va très vite. Trop vite. Le marché fait s'emballer les produits technologiques. Beaucoup vivent sous perfusion informatique. On s'imagine que chacun/e est joignable à chaque instant. Comme si on emportait son smartphone sous la douche. Dans ma grande maison je ne veux pas l'avoir en permanence dans la poche, alors je rate les appels. Il faut que je sois loin de Paris pour accepter de sortir sans. Me reconnecter à la nature, à l'instant présent est devenu une épreuve que je réussis heureusement aisément, mais pas assez souvent. Ayant choisi des sonneries personnalisées, je réponds tout de même systématiquement à de rares numéros. Pour le reste je tente le silence ou je diffuse la musique à fond, à en faire vibrer les murs et les plafonds. Il y a pire que nos cerveaux anesthésiés, ce sont les dégâts humains et planétaires que la consommation folle leur fait subir, comme les mines de métaux rares dans des pays où la colonisation a pris un nouveau visage, mais cela vous le savez et je rabâche, complice de tout ce gâchis.

Enfant, j'admirais l'énorme bande magnétique enfermée dans son boîtier plastique que ma tante Catherine m'avait rapportée d'IBM où elle travaillait. Je la regardais comme une relique parmi les dizaines de souvenirs qui ne servent à rien et que l'on conserve pieusement dans des tiroirs ou des boîtes en carton. Mon père avait fait mumuse avec un ZX Sinclair, j'avais utilisé quelques systèmes dédiés à la musique comme la console Yamaha CX5M, mais mon premier véritable ordinateur fut un Atari ST et ce n'est qu'à l'acquisition de mon premier PowerBook que je fis le grand saut dans l'informatique. Jusque là, n'étant pas un gamer, les jeux d'arcade ne m'avaient jamais passionné, de même que les traitements de texte et tableurs ne me convainquirent que lorsque l'ordinateur devint portable. Un nouveau monde s'ouvrait à moi, répondant aux rêves de l'enfant qui avait été plongé dans les lectures de Jules Verne. À l'arrivée de l'iPhone, j'eus le même sentiment d'un objet qui allait révolutionner les usages. En retrouvant la facture de mon premier Apple qui date de 1992, je me rends compte des sacrifices qu'il avait générés. D'après l'indice de l'INSEE, cela équivaudrait à 6 550 euros d'aujourd'hui ! Le PowerBook 170, haut de la gamme portable d'Apple, embarquait 4 Mo de mémoire vive. Pour les applications gourmandes, nous utilisions de la mémoire virtuelle amputant celle du disque dur de 40 Mo. Vous avez bien lu, ce sont des mégas ! Évidemment, tout cela se passant bien après le cahier de brouillon, le stylo plume, la machine à écrire, la règle à calcul, la table de trigonométrie et la calculette de poche, j'ai gardé le goût pour le calcul mental et la réflexion équilibriste sans autre accessoire que les cinq sens qui me furent légués à ma naissance. Si je mets en ligne cet article en cliquant sur l'image appelée bouton en langage informatique, cela ne m'empêche pas de pédaler sur mon [vélo] ou de prendre mes jambes à mon cou jusqu'au prochain whisky bar, oh don't ask why, oh don't ask why !

mardi 10 janvier 2023

Le pendule de Foucault


Ma mère me demandait ce que je faisais. Je répondais "je rêve". J'y passais des heures. Les pieds sur le bureau, les coudes sur la table ou les yeux au plafond. Depuis toujours, mon travail est le fruit de ces moments hallucinatoires où je me projetais dans l'espace et dans le temps. Je rêvais du cosmos, je rêvais de la Terre, je rêvais de maisons utopiques où il ferait bon vivre, je rêvais de musique, je rêvais de lumière, je rêvais à quoi rêvent tous les petits garçons épris d'encyclopédisme et, plus tard, de ce qui anime les adolescents pubères. La science était revêtue des habits de la poésie et les machines qui ne servent à rien s'accumulaient sur les étagères ou dans mes petits cahiers. Si je n'ai jamais connu de crise mystique, mes interrogations sur l'origine du monde me donnaient le vertige jusqu'à la nausée. La mort prenait sa source à l'endroit du big bang, ma microscopie tendant vers moins l'infini m'aspirait dans l'abîme. Le plancher des vaches recouvert de bitume était plus rassurant. En visitant la Chapelle du Musée des Arts et Métiers, j'ai retrouvé le Meccano de mon enfance, les premières automobiles et les avions accrochés au plafond comme autant de modèles agrandis des maquettes que je ne saurai jamais terminer, faute de patience ou par manque de pouvoir évocateur qu'ils représentaient face aux idées se bousculant sous ma boîte crânienne. Dans l'opéra de Schönberg, ma sympathie va évidemment à Moïse plutôt qu'à Aaron ! Grand amateur d'expériences en tous genres, j'étais heureux de voir osciller le pendule de Foucault, vérifiant que "pourtant elle tourne" ! Nous l'observâmes aussitôt arrivés en Afrique du Sud où nous étions partis en tournée pour le Centenaire du Cinématographe en 1995, penchés au-dessus de la cuvette des toilettes pour admirer la spirale inversée de l'écoulement de l'eau. Non, définitivement, je n'effectuerai jamais totalement ma croissance.

Article du 14 mai 2010

lundi 9 janvier 2023

Sur quelques films vraiment sonores


Passé déposer des albums de ma production, vinyles, CD et cassettes, à la boutique du Souffle Continu, dont certaines raretés, je tombe par hasard sur le livre d'Aimé Agnel, Sur quelques films vraiment sonores. J'y suis particulièrement sensible, car l'auteur m'initia à l'écoute des sons à mon entrée à l'Idhec en 1971 et je lui succédai quelques années plus tard lorsqu'il se consacra à la psychanalyse. Il fait donc partie, à côté des pères de mon récit, de ces oncles bienveillants qui me mirent le pied à l'étrier alors que je n'y connaissais rien, mais que les évidences guidaient déjà mes créations.
Je me suis amusé à cette lecture, tant le silence l'habite (et mon aphonie passagère n'y est pour rien). Dans mon souvenir, Aimé Agnel était un homme très doux et souriant, lui-même à l'écoute de ce que nous proposions. Un des moments clefs avait été la projection du film Le moindre geste de Fernand Deligny, Jean-Pierre Daniel et Josée Manenti dont Aimé avait été le monteur son. Dans sa petite étude agréablement illustrée de photogrammes parlants, il cite et décrit plutôt qu'il ne théorise. En décortiquant des scènes de films qui l'ont marqué, il aborde chapitre après chapitre la complexité du rapport aux images, à condition que la partition sonore ne soit pas platement illustrative, l'évocation sonore dans les films muets (sans faire référence au fait qu'ils étaient presque toujours projetés avec un accompagnement musical), les débuts inventifs du parlant (avant que les paroles ne prennent le dessus), le silence (fatalement cher au psychanalyste jungien qu'il est devenu) et les bruits, la musique de et dans le film, et la voix (dont les intonations en disent parfois plus que les mots). Il s'appuie évidemment sur les cinéastes qui ont particulièrement interrogé le rapport audio-visuel, soit Robert Bresson, Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, mais aussi Vertov, Vigo, Epstein (sans creuser du côté de la lyrosophie), Renoir, Ford, Hitchcock, Tati, Resnais, Visconti, Fellini, Kubrick, de Oliveira, et des compositeurs comme Maurice Jaubert. Nos contemporains sont étonnamment absents de l'analyse. L'auteur ne s'embarrasse pas de la notion de hors-champ, de l'importance du timbre des sons face aux nuances de gris ou à la couleur, de ce qui est considéré comme bruit ou musique, des connotations culturelles. Sur quelques films vraiment sonores est justement un livre très intéressant parce qu'il aborde la question de la complémentarité du son au cinéma d'une manière très personnelle, probablement un regard de psychanalyste à l'écoute d'un détail qui ferait sens dans l'écheveau complexe des images et des sons, de leur montage et du mixage qui l'échafaude.
Pour la petite histoire, j'ai été ravi d'enregistrer mon dernier album avec Sophie Agnel, sa fille, pianiste improvisatrice que j'adore. Une histoire de famille. Et lorsque je suis allé ranger le fascicule de 160 pages dans ma bibliothèque, je me suis aperçu que je l'avais déjà. A croire que j'en avais vraiment envie et que la première fois je n'avais pas trouvé les mots.

→ Aimé Agnel, Sur quelques films vraiment sonores, Les éditions de l'œil, 18€

vendredi 6 janvier 2023

Michael Snow a rejoint la Région centrale


J'étais étudiant à l'Idhec quand Jean-André Fieschi nous a projeté La région centrale dans la salle de projection au sous-sol du Théâtre du Ranelagh. La salle s'est vidée au fur et mesure des trois heures du film de Michael Snow. Nous étions quatre à la fin : JAF, mon camarade Bernard Mollerat et la monteuse Geneviève Louveau, naturellement défoncés. Quand la lumière s'est rallumée, je m'attendais à me retrouver en haut de cette montagne canadienne de l'autre côté de la porte de la salle. Ce fut une expérience inoubliable qui allait changer ma perception du monde.
J'ai assisté ensuite à toutes les projections de l'Anthologie du Cinéma Expérimental, rue Berryer je crois, en particulier pour les autres films de Michael Snow dont Wavelength, Back and Forth... Il y en aura beaucoup d'autres, mais nous n'étions encore qu'en 1972, il y a exactement un demi-siècle.
J'ai sauté sur l'occasion lorsque j'ai déniché le double vinyle Musics for piano, whistling, microphone and tape recorder, le CD The Last LP, le DVD-Rom Digital Snow et, mon préféré, le livre Cover To Cover, chef d'œuvre graphique absolu, acheté directement à l'auteur grâce à Bernard Eisenschitz.
Pour les amateurs de jazz, je rappelle que la musique du film New York Eye and Ear Control tourné en 1964 est d'Albert Ayler, Don Cherry, John Tchicai, Roswell Rudd, Gary Peacock et Sunny Murray !


Lorsqu'avec Antoine Schmitt nous avons monté l'opéra Nabaz'mob à Toronto (Luminato) en 2010, Atom Egoyan nous a présentés à Michael Snow et nous sommes allés l'écouter en concert, de la musique électronique en duo avec le jeune Mani Manzoni, et j'ai pu lui poser les questions qui me tarabustaient depuis 38 ans ! Je ne vais pas évoquer toutes les expositions, mais Michael Snow interrogeait à la fois le médium et le sujet, une manière de regarder le monde sous un angle totalement inédit.
Si vous trouvez une copie de Cover To Cover à un prix abordable, n'hésitez pas une seconde, c'est un film en papier qui se déroule à la vitesse du lecteur.
Je suis très triste aujourd'hui. Michael Snow, peintre, sculpteur, cinéaste, photographe, plasticien et musicien, était un de mes héros. Il n'en reste plus beaucoup de vivant. Il avait tout de même 94 ans.
Beaucoup d'infos ici dont téléchargement gratuit du livre de Martha Langford.

La mutation d'une ville


Comme je vis depuis 22 ans au même endroit, je peux apprécier cette histoire dans sa réalité quotidienne. Dans mon quartier jadis populaire, les vieux sont morts les premiers, puis leurs femmes ont vendu à des jeunes de milieux aisés, essentiellement des artistes, des médecins, des Parisiens qui désiraient plus d'espace et de meilleures conditions de vie. Nous sommes juste de l'autre côté du Périphérique, il fallait faire le saut, mais Paris est au bout de la rue. La moitié des commerces ont disparu, mais il en reste suffisamment pour que nous n'ayons pas besoin de voiture pour faire nos courses. Les industries ferment les unes après les autres, mais les restaurants sont encore pleins à midi. La Mairie de Bagnolet a favorisé les projets immobiliers qui rapportent des taxes foncières permettant d'éponger l'énorme dette dont la ville s'est affublée de manière délirante. Il n'y a aucun souci d'urbanisme. Cela part dans tous les sens. Il y a même un endroit où les balcons face à face se touchent presque. Notre quartier, préservé, est aujourd'hui très recherché. C'est le futur vingt-et-unième arrondissement ! Le laisser-aller a des avantages comme nous laisser peindre nos façades de couleurs vives, ensoleillant la grisaille. Les habitants ont végétalisé leur environnement autant que possible. Et comme dans le livre chroniqué le 2 mai 2010, le Périphérique a été recouvert par des jardins...

Tôt ce matin-là j'ai grimpé sur une échelle pour photographier les huit planches d'un classique de l'illustration daté de 1976 que j'avais étalées par terre. Chaque planche de 85x31cm de La pelle mécanique ou La mutation d'une ville montre les changements architecturaux d'un quartier de 1953 à 1976 tels qu'imaginés par Jörg Müller à partir de 800 diapositives réalisées à Hanovre, Zurich, Bienne, etc. L'étude urbanistique qui traverse les saisons met en scène une foule de petites scènes anecdotiques offrant au lecteur une forme originale de bande dessinée où l'enfant peut découvrir comment la vie des habitants suit celle de leur ville. Au fur et à mesure des années, les travaux s'accélèrent, une ligne de métro est creusée et un échangeur d'autoroute finit par tout envahir à l'exception d'une maison typique transformée en Grill Corner. Ce sont évidemment les innombrables détails qui donnent tout son piment à l'entreprise, souvent critiques, tendres ou amusants, là où ma photo ne fait que survoler le plan moins bien que Google Earth !
L'idée m'est venue lorsque Marie-Laure m'a appelé hier soir pour savoir si je pouvais lui prêter quelques ouvrages ayant trait à la ville. Elle cherchait les films Metropolis, L'homme à la caméra, West Side Story, Play Time, et la musique de Gershwin, Un Américain à Paris, où l'on entend quatre klaxons de taxis parisiens. Je lui conseillai également les CD City Life de Steve Reich, Fenêtres sur villes de Louis Dandrel, le magnifique coffret sur l'avant-garde russe où figurent entre autres la Symphonie du Dombass de Dziga Vertov et la Symphonie de sirènes d'Arseny Avraamov, ainsi qu'une bande dessinée sur l'architecture éditée par l'ESA. Pouvoir répondre à mes amis à la recherche de tel ou tel document justifie le temps passé à accumuler tous ces trésors. Mes archives que j'assimile à des instruments prennent ainsi tout leur sens.

jeudi 5 janvier 2023

Les plastiques de Toxic Rice


Après treize mois de délai pour le pressage, les vinyles Toxic Rice sont finalement arrivés, tout beaux, tout neufs. La pièce d'Un Drame Musical Instantané intitulée Très toxique occupe la face A. Je l'ai enregistrée le 21 décembre 1976 au Studio GRRR qui était alors situé 7 rue de l'Espérance dans le 13e à Paris, sur la place de Butte aux Cailles. Il se situe donc entre Défense de de Birgé Gorgé Shiroc et Trop d'adrénaline nuit, le premier album du Drame. Cela faisait seulement quelques mois que nous avions entamé cette aventure qui allait durer près d'un demi-siècle ! Il possède la même énergie que le vinyle Avant Toute de Birgé Gorgé publié par Souffle Continu et rappelle Trop d'adrénaline nuit par l'usage des bandes de films. Francis Gorgé est à la guitare électrique. Bernard Vitet joue de la percussion, des appeaux, du sax alto, de la trompette à anche, du violon et du frein. Je tiens le synthétiseur, un ARP 2600, diffuse les enregistrements sur cassettes, passe au sax alto, à la flûte, aux trompes, à la percussion, à la guitare, à la mandoline et au frein !


J'analyse Es gibt Reis ! du Kommissar Hjuler und Frau, enregistré le 14 octobre 2021, comme un hommage très godardien au Drame. Sur la face B, le couple, adepte du mouvement Fluxus, glisse de voix saturées à des musiques de genre ou une course poursuite automobile jusqu'à l'accident fatal. Je ne comprends pas la plupart des dialogues qui sont en allemand, mais c'est très roots et plutôt excitant. Tout cela est totalement zinzin et l'album 33 tours 30 centimètres porte bien son qualificatif toxique. Sur le disque noir ne figure aucune inscription, mais chaque exemplaire est numéroté.


Comme si cela ne suffisait pas, le Kommissar Hjuler und Frau qui publient à tour de bras des vinyles aussi délirants les uns que les autres ont choisi de sortir des versions plastiquement uniques, soit sous forme de collages en relief (de repas), notes tâchées sur des comptoirs de café, soit accompagnées d'une vitrine où est enfermée un bouteille de whisky brisée.





Le disque est vendu sous une pochette blanche ornée d'un Polaroïd comme ceux collés à l'intérieur des vitrines, fausse référence à l'un ou plusieurs musiciens du Drame. Le label Psych.KG m'a même envoyé un exemplaire (unique) avec un vrai passeport (forcément périmé) !



N'étant pas un expert du marché de l'art ni du Wurst, vous comprendrez que je suis un peu perdu au milieu de tout cela. Le site Discogs répertorie en tout sept versions de Toxic Rice, alors que j'en perçois ici déjà trois, et qu'il serait même question d'une huitième où ne résiderait que la face du Drame, mais ça c'est une autre histoire ! C'est qu'il y en a pour tous les prix (de 25 à 70 euros sang le porc). Si vous êtes fan du Drame, n'hésitez pas, Très toxique est un morceau de choix de 19 minutes, de la viande maturée à souhait, malgré cela impropre à la consommation, car même si elle a été conservée en chambre froide, elle a tout de même 47 ans. L'objet est visible au Studio GRRR à Bagnolet et au Souffle Continu, rue Gerbier à Paris.

mercredi 4 janvier 2023

Dans mes cordes


Désolé pour cette intrusion du privé dans la sphère publique, mais comme, toujours aphone probablement encore pour une quinzaine de jours, et ne pouvant que murmurer à l'oreille des chats, les réseaux sociaux représentent le tunnel par où je m'évade ! J'ai évidemment toujours préféré Monte Cristo à Edmond Dantès. Donc j'entame la seconde partie de mon aventure muette, celle de ma résurrection. C'est du moins ce que j'espère, suivant le traitement de six mois que l'ORL m'a ordonné à base de nettoyage du nez et de suppression de la toux par un tas de trucs dont du Gaviscon à haute dose (en prendre un dès que je tousse !). C'est bien cette toux suffocante qui a enflammé les cordes vocales et un minuscule polype s'est formé laissant passer de l'air, d'où mon timbre actuel, tarif lent, pas du tout prioritaire. L'arrêt des médicaments soporifiques devrait également me permettre de reprendre du poil de la bête. Je règle au jour le jour l'aspect psychologique de l'affaire, donc tout devrait rentrer dans l'ordre et je me vois déjà en athlète de la nouvelle année.

Toujours condamné à la solitude devant mon grand écran, j'ai regardé Ariaferma de Leonardo Di Costanzo avec les formidables Toni Servillo et Silvio Orlando ; scénario, lumière, musique, montage, tout est parfait ; une histoire d'humanité dans cette prison vétuste où il ne reste que quelques détenus et leurs gardiens, les derniers jours avant transfert.
The Menu est un objet gastronomique très pervers, à l'humour noir féroce, avec Ralph Fiennes et surtout Anya Taylor-Joy. Le film de Mark Mylod, qui se réfère à Buñuel pour L'ange exterminateur et Bong Joon-ho pour Parasite, m'a surtout rappelé Pasternak, le début des Nouveaux Sauvages (Relatos salvajes) de Damián Szifrón.
Historiquement et géographiquement, le documentaire Psychedelia de Pat Murphy réactualise l'importance des psychotropes utilisés à des fins médicales, en particulier pour le traitement de certaines pathologies psychiatriques. En 1971, Richard Nixon marqua un coup d'arrêt dans la recherche en déclarant la guerre à la drogue pour en fait s'attaquer à la gauche pacifiste et à la communauté afro-américaine. Le film m'a rappelé nos propres expériences à la fin des années 60. J'imagine que, jeune homme, la découverte du LSD m'a permis de relativiser la doxa et d'envisager d'autres ponts de vue. Je me souviens très bien des premières visions au plafond alors que nous étions allongés par terre chez Jean-Pierre. Comme j'étais très raisonnable, je laissais passer minimum trois mois entre chaque trip tout en préparant très sérieusement chaque aventure. Je justifiais l'exergue de Henri Michaux dans Le bras cassé lorsqu'il écrit "nous ne sommes pas un siècle à paradis, mais un siècle à savoir". Tous mes camarades ne l'envisageaient pas ainsi. Certains "s'amusaient sans arrière-pensée". Une partie de ceux-là sont morts. Les autres en tirèrent des leçons irremplaçables. Nous avions entrouvert les portes de la perception d'Aldous Huxley. Mais la qualité de l'acide était incomparable avec les cochonneries vendues aujourd'hui. Imaginez ces morceaux de buvards minuscules nommés Purple Haze, Black Star ou Window Pane ! Nous essayions systématiquement tout ce qui permettrait à notre cerveau de fonctionner selon d'autres critères que ceux de la maîtrise. Assez vite, je n'eus plus besoin d'expédients extérieurs et mon imagination se laissa porter par les courants de la création... Le film m'a replongé dans cette époque que j'avais un peu oubliée, période de formation effervescente que j'évalue entre 15 et 20 ans. Je sens des parents s'inquiéter drôlement à cette lecture. Il y a de quoi. Mais tout autant que par les gosses anesthésiés devant leurs écrans qui n'en retiendront rien des mystères de la vie. Je mentais aux miens, très "tolérants", les rassurant que nous fumions juste de l'herbe et du hasch. L'important, c'est que nous étions vivants, vifs et pleins d'espoir, créatifs et partageurs.

mardi 3 janvier 2023

Hot Skull


Voilà exactement trois semaines que je combats sans succès une grippe terrassante ayant dégénéré en extinction de voix. Coupé du monde des échanges verbaux, in vitro comme in vivo, et affaibli, je m'abrutis de films et de séries, mon grand écran m'immergeant dans un monde feutré, voire soporifique, qui me fait oublier la toux qui m'épuise. Peter a la bonne idée de me conseiller la série turque Hot Skull où les citoyens encore sains doivent se protéger des babilleurs en portant un casque audio isolant. Ce n'est pas tout à fait mon histoire puisque je ne risque rien à écouter, mais sans pouvoir répliquer ! Dans cette science-fiction dystopique, l'idée d'un virus sémantique est absolument géniale. De nombreux indices suggèrent le régime brutal et dictatorial d'Erdogan ou une éventuelle utilisation des alertes sanitaires pour étouffer les mouvements contestataires. Hélas les derniers épisodes sombrent dans un romantisme révolutionnaire rabâché et le rythme se met à bégayer pour tirer en longueur vers une saison 2. À suivre néanmoins, mais je crains que la résolution ne soit pas au niveau de l'énigme.


Une autre série m'a particulièrement plu. Sollicité par Amandine qui travaille sur le sujet, j'ai regardé pas mal de films et séries d'espionnage. Les deux saisons de Slow Horses sont très réussies. La section du MI5 où sont cantonnés les espions ratés est dirigée par un Gary Oldman au mieux de sa forme. Ce ramassis de bras cassés est évidemment plutôt efficace et il est toujours agréable d'échapper aux clichés à la James Bond...


Wednesday, la nouvelle série dirigée par Tim Burton glisse hélas vers un truc débile à la Harry Potter. Treason (En traître) est encore une histoire d'espionnage un peu bêbête. Je me suis ennuyé à la seconde saison de The White Lotus, comme si je l'avais déjà regardée. En novembre j'avais évoqué quelques séries policières du monde entier. J'ai terminé The Crown et suis resté frustré par The Bear.
Du côté cinématographique, j'ai particulièrement apprécié Pacifiction : Tourment sur les Îles d'Albert Serra où Benoît Magimel est très bien dans le rôle du haut-commissaire de la République en Polynésie française. Ce film est foncièrement politique, surtout pour son analyse des faux-semblants, des petits arrangements, des coups fourrés. Serra s'intéresse au climat de monde du non-dit plutôt que donner la moindre leçon. Fascinant.
J'ai terminé mon festival Jean-Gabriel Périot avec le remarquable documentaire Retour à Reims (fragments) qui suit l'idée de Didier Éribon sur la dérive des couches populaires vers l'extrême-droite. Magnifique montage d'archives.
J'ai trouvé White Noise de Noah Baumbach aussi creux que les angoisses métaphysiques de ses personnages (so american !), je me suis ennuyé à The Banshees of Inisherin de Martin McDonagh qui tourne en rond et en grimaces d'acteurs, Glass Onion archi nul, été surpris de ne pas l'avoir été avec Les Passagers de la nuit de Mikhaël Hers, tendre et pudique, mais je crois me souvenir que j'avais écrit un autre billet sur des films récents... Je m'arrête là, la fatigue revient, mais j'espère bien retrouver mon énergie dans les jours qui viennent ! Ah si, j'ai bien ri au moyen métrage Le pupille d'Alice Rohrwacher qui avait réalisé l'étonnant Lazzaro Felice...

lundi 2 janvier 2023

L'influence des études


Sur la chemise Supralux je décrypte, effacé par le temps, Love is You, Light Show H + Dagon, Berthoulet (Red Noise + Planetarium), Epimanondas, mais à l'intérieur, du même stylo plume, reposent six dissertations de philosophie d'octobre 1969 à mai 1970, plus deux d'anglais et une quantité d'équations mathématiques qui ne me disent plus rien aujourd'hui. Si la plupart ressemblent à des pense-bête, alignement de sinus, cosinus, tangentes et logarithmes, j'arrive seulement à déchiffrer les calculs de surfaces et volumes des cônes, pyramides et sphères. La même écriture enfantine suit laborieusement les lignes des carreaux millimétrés, collant à la ligne rouge de la marge comme des pattes d'insectes sur un papier tue-mouche. Toutes les dissertations respirent mai 68 tant dans leur énoncé que par les réponses que j'y apporte. Les trois premières pages étaient chronométrées, moins de cinq minutes pour décrire la philosophie de Nietzsche ! Ma mère [racontait] que j'étais rentré à la maison en reprochant à mes parents de ne m'avoir jamais parlé de lui. J'y aborde essentiellement le danger des interprétations, en particulier par les nazis, insistant sur le désir de Nietzsche que les hommes s'interrogent continuellement, qu'ils remettent en permanence tout en question, que les hommes philosophent ! En les lisant ébahi, les dissertations naïves m'apparaissent comme le terreau où pousseront toutes mes idées à venir, justifiant jusqu'à ma quotidienne contribution. Au début de mes années de lycée, ma mère faisait le travail à ma place. Je me souviens pourtant de ma première composition réalisée en classe : "Birgé, premier, votre style habituel !" Ma mère n'était pas peu fière d'avoir passé le relais au fiston. En Terminale, j'avais depuis longtemps acquis mon autonomie et m'opposais parfois à la morale parentale, comme au moment de la guerre du Sinaï ou par mes choix politiques nettement plus radicaux que les leurs. Pendant le Secondaire, mes notes n'étaient plus aussi brillantes. J'obtins tout de même mon Bac C, que je repasserai deux fois, persuadé que la vraie vie est ailleurs, avec un 2 en maths et 5 en physique. Il fallait que mes notes de français, de philo, d'anglais et de gymnastique soient sacrément bonnes !
L'énoncé des différents devoirs en dit long sur l'époque : D'où vient, selon vous, le malaise de notre civilisation ? - Le travail est-il une nécessité, une contrainte ou une obligation ? - Réforme et révolution. - La violence. - Expliquez et commentez cette affirmation : "On peut être bourgeois sans rien posséder et ne pas l'être en possédant. L'état de bourgeoisie est un genre de vie et une manière de penser." - As a student, what will freedom mean to you? J'y fustige les systèmes capitalistes, privé ou d'État, le pouvoir et l'autorité, l'abrutissement programmé des masses, les modèles pernicieux que la société nous suggère, allant jusqu'à justifier certaines formes de violence que je nomme "contre-violence", tout pacifiste que j'étais. J'éventualise le travail dans la joie, utopie réalisée à mon petit niveau. Je rappelle l'historique des événements de mai en me trompant sur la révolution qui ne fut que de mœurs... Pourtant là aussi j'en adopterai pratiquement les principes : "c'est quand l'extraordinaire devient quotidien" !

Article du 7 mai 2010

dimanche 1 janvier 2023

Vœux romantiques


Je me suis réveillé en 2024. Comme une fleur. Aurais-je sauté une étape ? Lire les vœux et commentaires m'a mis la puce à l'oreille. Si je ne peux pas parler, j'entends bien et je sais encore lire. Mais l'aphonie sème plus de trouble qu'on pourrait s'y attendre. Depuis trois semaines je vis en dehors du monde. La grippe et la fièvre m'avaient fragilisé. L'extinction de voix me cantonne à une prison dorée, cette maison d'où je sors peu, d'abord parce que je suis fatigué, ensuite parce que mes échanges sociaux sont limités à quelques murmures forcés et des grimaces. Ces lignes sont salvatrices. Pour quelqu'un qui a toujours privilégié le partage à la solitude, ce pourrait être un calvaire. Sachant m'habituer à toutes les situations, j'ai accepté mon sort et pris mon mal en patience. Or ce n'est pas sans conséquences. Mes repères sont faussés. Neurones attaqués au sécateur. Comme l'impression de devenir idiot, une sorte de lobotomie où le silence montre son inexistence. De même que j'ai réduit considérablement mon alimentation, le volume sonore courant est devenu vacarme. Less is more revendiquait l'architecte et designer Mies van der Rohe. Pour un maximaliste, c'est un comble ! Peut-être ai-je la tête comme une cougourde ? S'il m'a fallu plusieurs vérifications pour être certain que nous étions bien le 1er janvier 2023, j'ai la désagréable impression de revenir à la case départ.
Pas besoin d'aller très loin en explications psychanalytiques pour comprendre mon trouble. Ma voix, encore plus parlée qu'écrite, est mon fer de lance. J'ai perdu mon Eurydice, mortel silence, vaine espérance ! Quand on pense que Glück signifie chance, on peut se demander si c'est bien raisonnable. Reset. Ou bien : mon père est décédé un 2 janvier à mon âge actuel. Ça ira donc mieux mercredi. Sauter un an m'aurait épargné l'attente et les errances du no woman's land. Il y a trop de signes pour qu'aucun me convainc. Lorsque j'en manque j'en fabrique. A quoi bon ? La libido est la recherche instinctive du plaisir, pas seulement sexuel. Il me faut du désir, de grands projets, bâtir des châteaux en Espagne, soulever des montagnes, croire en mes rêves d'adolescent pour me permettre d'avancer. La maladie est un obstacle à la reprise. J'ai écouté, parfois suivi, les conseils généreusement prodigués. Aucun ne fit mouche. Dis Tonton, pourquoi tu tousses ?
Il n'y a pas de douane à certains cols. La grimpette est fastidieuse et sans aucune garantie de succès. Je m'y colle tout de même. Il y a trop de signes pour que je fasse la sourde oreille. Cela me terrifie. Ai-je jamais eu le choix ? Sauter à pieds joints des plus hautes falaises. Ces mirages se sont jadis avérés planches de salut. Je suis la voix et je fonds, littéralement. C'est l'aspect obsessionnel qui m'angoisse, cette manière de ressasser des évidences qui n'en sont pas, mais pourraient le devenir. Je n'ai vécu que grâce à cette innocence qui me fait prendre mes rêves pour la réalité, quitte à renverser la syntaxe et que l'impossible devienne le réel. En face aussi il y a des signaux de fumée. Si 2023 s'échappe déjà, j'en avais fait mon deuil, il faudra bien l'apprivoiser. Laisser les choses et les gens s'approcher. Cette fois j'éviterai de jouer les oiseaux de mauvais augure, les nouvelles sont trop sombres. En mûrissant j'apprends la patience, pas la fatalité. Si vous avez tenu jusque là, alors que j'ai l'impression de me répéter, jour après jour de mutisme, de tourner en rond tant ça ne tourne pas rond, c'est vraiment sympathique de votre part. J'y suis extrêmement sensible dans cet isolement éphémère. Je vous souhaite la meilleure année possible, de ne pas vous laisser abattre, de vous regrouper pour être plus forts face à l'adversité, je vous souhaite de l'amour, beaucoup d'amour, car cet amour aura raison des pires maladies, revers de fortune, et autres obstacles dont la vie est faite, pour qu'elle reste une fête, fut-ce dans la résistance, refus d'une prétendue inexorabilité !