70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 6 janvier 2023

Michael Snow a rejoint la Région centrale


J'étais étudiant à l'Idhec quand Jean-André Fieschi nous a projeté La région centrale dans la salle de projection au sous-sol du Théâtre du Ranelagh. La salle s'est vidée au fur et mesure des trois heures du film de Michael Snow. Nous étions quatre à la fin : JAF, mon camarade Bernard Mollerat et la monteuse Geneviève Louveau, naturellement défoncés. Quand la lumière s'est rallumée, je m'attendais à me retrouver en haut de cette montagne canadienne de l'autre côté de la porte de la salle. Ce fut une expérience inoubliable qui allait changer ma perception du monde.
J'ai assisté ensuite à toutes les projections de l'Anthologie du Cinéma Expérimental, rue Berryer je crois, en particulier pour les autres films de Michael Snow dont Wavelength, Back and Forth... Il y en aura beaucoup d'autres, mais nous n'étions encore qu'en 1972, il y a exactement un demi-siècle.
J'ai sauté sur l'occasion lorsque j'ai déniché le double vinyle Musics for piano, whistling, microphone and tape recorder, le CD The Last LP, le DVD-Rom Digital Snow et, mon préféré, le livre Cover To Cover, chef d'œuvre graphique absolu, acheté directement à l'auteur grâce à Bernard Eisenschitz.
Pour les amateurs de jazz, je rappelle que la musique du film New York Eye and Ear Control tourné en 1964 est d'Albert Ayler, Don Cherry, John Tchicai, Roswell Rudd, Gary Peacock et Sunny Murray !


Lorsqu'avec Antoine Schmitt nous avons monté l'opéra Nabaz'mob à Toronto (Luminato) en 2010, Atom Egoyan nous a présentés à Michael Snow et nous sommes allés l'écouter en concert, de la musique électronique en duo avec le jeune Mani Manzoni, et j'ai pu lui poser les questions qui me tarabustaient depuis 38 ans ! Je ne vais pas évoquer toutes les expositions, mais Michael Snow interrogeait à la fois le médium et le sujet, une manière de regarder le monde sous un angle totalement inédit.
Si vous trouvez une copie de Cover To Cover à un prix abordable, n'hésitez pas une seconde, c'est un film en papier qui se déroule à la vitesse du lecteur.
Je suis très triste aujourd'hui. Michael Snow, peintre, sculpteur, cinéaste, photographe, plasticien et musicien, était un de mes héros. Il n'en reste plus beaucoup de vivant. Il avait tout de même 94 ans.
Beaucoup d'infos ici dont téléchargement gratuit du livre de Martha Langford.

La mutation d'une ville


Comme je vis depuis 22 ans au même endroit, je peux apprécier cette histoire dans sa réalité quotidienne. Dans mon quartier jadis populaire, les vieux sont morts les premiers, puis leurs femmes ont vendu à des jeunes de milieux aisés, essentiellement des artistes, des médecins, des Parisiens qui désiraient plus d'espace et de meilleures conditions de vie. Nous sommes juste de l'autre côté du Périphérique, il fallait faire le saut, mais Paris est au bout de la rue. La moitié des commerces ont disparu, mais il en reste suffisamment pour que nous n'ayons pas besoin de voiture pour faire nos courses. Les industries ferment les unes après les autres, mais les restaurants sont encore pleins à midi. La Mairie de Bagnolet a favorisé les projets immobiliers qui rapportent des taxes foncières permettant d'éponger l'énorme dette dont la ville s'est affublée de manière délirante. Il n'y a aucun souci d'urbanisme. Cela part dans tous les sens. Il y a même un endroit où les balcons face à face se touchent presque. Notre quartier, préservé, est aujourd'hui très recherché. C'est le futur vingt-et-unième arrondissement ! Le laisser-aller a des avantages comme nous laisser peindre nos façades de couleurs vives, ensoleillant la grisaille. Les habitants ont végétalisé leur environnement autant que possible. Et comme dans le livre chroniqué le 2 mai 2010, le Périphérique a été recouvert par des jardins...

Tôt ce matin-là j'ai grimpé sur une échelle pour photographier les huit planches d'un classique de l'illustration daté de 1976 que j'avais étalées par terre. Chaque planche de 85x31cm de La pelle mécanique ou La mutation d'une ville montre les changements architecturaux d'un quartier de 1953 à 1976 tels qu'imaginés par Jörg Müller à partir de 800 diapositives réalisées à Hanovre, Zurich, Bienne, etc. L'étude urbanistique qui traverse les saisons met en scène une foule de petites scènes anecdotiques offrant au lecteur une forme originale de bande dessinée où l'enfant peut découvrir comment la vie des habitants suit celle de leur ville. Au fur et à mesure des années, les travaux s'accélèrent, une ligne de métro est creusée et un échangeur d'autoroute finit par tout envahir à l'exception d'une maison typique transformée en Grill Corner. Ce sont évidemment les innombrables détails qui donnent tout son piment à l'entreprise, souvent critiques, tendres ou amusants, là où ma photo ne fait que survoler le plan moins bien que Google Earth !
L'idée m'est venue lorsque Marie-Laure m'a appelé hier soir pour savoir si je pouvais lui prêter quelques ouvrages ayant trait à la ville. Elle cherchait les films Metropolis, L'homme à la caméra, West Side Story, Play Time, et la musique de Gershwin, Un Américain à Paris, où l'on entend quatre klaxons de taxis parisiens. Je lui conseillai également les CD City Life de Steve Reich, Fenêtres sur villes de Louis Dandrel, le magnifique coffret sur l'avant-garde russe où figurent entre autres la Symphonie du Dombass de Dziga Vertov et la Symphonie de sirènes d'Arseny Avraamov, ainsi qu'une bande dessinée sur l'architecture éditée par l'ESA. Pouvoir répondre à mes amis à la recherche de tel ou tel document justifie le temps passé à accumuler tous ces trésors. Mes archives que j'assimile à des instruments prennent ainsi tout leur sens.