Passé déposer des albums de ma production, vinyles, CD et cassettes, à la boutique du Souffle Continu, dont certaines raretés, je tombe par hasard sur le livre d'Aimé Agnel, Sur quelques films vraiment sonores. J'y suis particulièrement sensible, car l'auteur m'initia à l'écoute des sons à mon entrée à l'Idhec en 1971 et je lui succédai quelques années plus tard lorsqu'il se consacra à la psychanalyse. Il fait donc partie, à côté des pères de mon récit, de ces oncles bienveillants qui me mirent le pied à l'étrier alors que je n'y connaissais rien, mais que les évidences guidaient déjà mes créations.
Je me suis amusé à cette lecture, tant le silence l'habite (et mon aphonie passagère n'y est pour rien). Dans mon souvenir, Aimé Agnel était un homme très doux et souriant, lui-même à l'écoute de ce que nous proposions. Un des moments clefs avait été la projection du film Le moindre geste de Fernand Deligny, Jean-Pierre Daniel et Josée Manenti dont Aimé avait été le monteur son. Dans sa petite étude agréablement illustrée de photogrammes parlants, il cite et décrit plutôt qu'il ne théorise. En décortiquant des scènes de films qui l'ont marqué, il aborde chapitre après chapitre la complexité du rapport aux images, à condition que la partition sonore ne soit pas platement illustrative, l'évocation sonore dans les films muets (sans faire référence au fait qu'ils étaient presque toujours projetés avec un accompagnement musical), les débuts inventifs du parlant (avant que les paroles ne prennent le dessus), le silence (fatalement cher au psychanalyste jungien qu'il est devenu) et les bruits, la musique de et dans le film, et la voix (dont les intonations en disent parfois plus que les mots). Il s'appuie évidemment sur les cinéastes qui ont particulièrement interrogé le rapport audio-visuel, soit Robert Bresson, Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, mais aussi Vertov, Vigo, Epstein (sans creuser du côté de la lyrosophie), Renoir, Ford, Hitchcock, Tati, Resnais, Visconti, Fellini, Kubrick, de Oliveira, et des compositeurs comme Maurice Jaubert. Nos contemporains sont étonnamment absents de l'analyse. L'auteur ne s'embarrasse pas de la notion de hors-champ, de l'importance du timbre des sons face aux nuances de gris ou à la couleur, de ce qui est considéré comme bruit ou musique, des connotations culturelles. Sur quelques films vraiment sonores est justement un livre très intéressant parce qu'il aborde la question de la complémentarité du son au cinéma d'une manière très personnelle, probablement un regard de psychanalyste à l'écoute d'un détail qui ferait sens dans l'écheveau complexe des images et des sons, de leur montage et du mixage qui l'échafaude.
Pour la petite histoire, j'ai été ravi d'enregistrer mon dernier album avec Sophie Agnel, sa fille, pianiste improvisatrice que j'adore. Une histoire de famille. Et lorsque je suis allé ranger le fascicule de 160 pages dans ma bibliothèque, je me suis aperçu que je l'avais déjà. A croire que j'en avais vraiment envie et que la première fois je n'avais pas trouvé les mots.

→ Aimé Agnel, Sur quelques films vraiment sonores, Les éditions de l'œil, 18€