J'ai créé les deux œuvres graphiques qui ornent le "nouvel" album d'Un drame musical instantané il y a 53 ans. Or je ne me souvenais pas que "une image peut en cacher une autre". C'était le titre d'une fantastique exposition du Grand Palais dont Jean-Hubert Martin avait été le commissaire et pour lequel j'aurai la chance de composer plus tard la partition sonore de Carambolages dans ce lieu prestigieux. Le personnage du macaron du disque est moins gore que l'alien cronenbergien de la pochette, mais c'est toujours amusant de chercher s'il n'y a pas d'autres figures cachées comme sur mon album préféré des Rolling Stones, Their Satanic Majesties Request, où apparaissent les quatre Beatles si l'on cherche bien. Il s'agit pourtant encore d'une illusion, car notre disque, extrait de sa pochette, montrera qu'une œuvre de la même taille que celle du recto est collée sur la face vierge du mono-face, le rond de l'enveloppe blanche figurant un iris. Sur l'autre face où sont gravées les 19 minutes de Très toxique j'ai simplement écrit à la main et au crayon gras de montage Un DMI et le titre. Les notes du verso sont plus longues. Donc tout cela m'a pris quatre jours pendant lequels j'ai fait attention qu'aucune des 85 pochettes numérotées et signées ne soient identiques.


Django, ne sachant pas lire, ne s'est pas laissé impressionner par la mise en garde, si j'en juge par sa petite langue rose. Il a trouvé fort à son goût cet enregistrement du 21 décembre 1976. Je venais d'avoir 24 ans, Francis Gorgé allait les atteindre et Bernard Vitet n'en alignait encore que 42. J'avais récemment emménagé au 7 rue de l'Espérance, avec pignon sur rue, Place de la Butte aux Cailles. Pour rejoindre le studio, il fallait ouvrir une très lourde trappe au milieu de la cuisine. Un escalier descendait dans la double pièce qui nous servait essentiellement de salon. J'y avais posé mes disques et mes instruments. Dans sa partie la plus cosy s'étalaient par terre deux grands matelas. Francis et Bernard s'y affalaient alors que j'occupais l'autre bord. Comme nous faisions beaucoup de bruit, nous fermions les soupiraux avec des portes magnétiques que Bernard avait confectionnées. Il y faisait frais l'été et chaud l'hiver, même si l'humidité avait tendance à créer du salpêtre sur certains murs. Bernard eut l'idée de prendre pour titres des poisons. Pour trouver le nom du groupe, nous nous y mîmes tous, y compris le plasticien Bruno Schnebelin (futur Ilotopie) qui fut des premiers concerts, à l'issue d'un couscous que nous venions de partager dans le restaurant berbère situé sur le trottoir d'en face, de l'autre côté de la rue Buot où s'ouvrait la fenêtre de la cuisine. Mon loyer était bridé par la loi de 1948, dit en surface corrigée, donc extrêmement bas, malgré la présence fort utile d'un garage attenant. Il y avait une échelle de meunier pour monter à la chambre du premier étage. Les toilettes et la salle de bain donnaient directement sur la cuisine où nous discutions autour de la grande table. Lors de nos réunions quotidiennes où nous refaisions le monde il m'arrivait de prendre mon bain pendant que les deux autres servaient le thé à côté. D'où l'exergue du grand article qu'Alain-René Hardy et Jazz magazine nous avaient consacré (1 2) : "le quotidien, stade ultime de la jouissance comme dans un bain très chaud", et Bernard avait fait barrer très à la main et remplacer par trop.

Francis et moi jouions ensemble depuis six ans, depuis notre premier concert au Lycée Claude Bernard, et nous avions déjà enregistré l'album culte Défende de. À l'été 76 javais fait la connaissance de Bernard lors d'un festival de soutien à la clinique anti-psychiatrique de La Borde ; avec une quinzaine d'autres musiciens réunis par Jac Berrocal, dont Pierre Bastien et Daunik Lazro, nous participions tous deux au concert du groupe Opération Rhino. Nous ne nous sommes plus quittés, happés par nos discussions sur Webern, Varèse ou Monk. En septembre, chargé par Claude Tiébaut et Noël Burch d'animer le stand de la cellule cinéma du Parti Communiste à la Fête de l'Huma, j'avais invité mes deux camarades. La sauce avait pris. Le succès remporté et l'empathie réciproque avaient donné naissance au Drame. Le 21 décembre, Très toxique et Laudanum figurent donc notre première rencontre souterraine en trio ! Jouée sans aucune indication préalable. Trop d'adrénaline nuit, notre premier disque, sera enregistré trois semaines plus tard. Nous nous découvrions. J'ai rassemblé tous les Poisons sur un album d'une durée de 24 heures qui s'étale jusqu'en juillet 1977. Après trois ans d'improvisations d'une liberté absolue, nous avons commencé à composer, à composer collectivement.

→ Un drame musical instantané, Très toxique, LP mono-face GRRR, édition limitée à 85 exemplaires numérotés et signés, pochette entièrement réalisée à la main par mes soins, magasin Dizonord à Paris (mais on le trouve aussi au Souffle Continu) / dist. The Pusher Distribution, 15€