L'image riquiqui ne permet pas de voir l'arrière-plan. Rentré hier d'un déjeuner chez Shodai Matcha près de la station Arts et Métiers, j'ai traversé le square Emmanuel Fleury au-dessus du périphérique entre la Porte de Bagnolet et celle des Lilas. Ce serait plus juste de citer la Porte de Ménilmontant qui est entre les deux, mais peu de gens connaissent ce moyen de rentrer et sortir de Paris sans les éternels embouteillages. Promenade digestive après un bibimpap et une des meilleures glaces au vert intense de la capitale. Dans le square qui recouvre le Périph' les cerisiers sont en fleurs. La première véritable impression de printemps, ce qui n'était pas le cas le matin-même à devoir stupidement régler les horloges sur l'heure d'été. Je déteste ce hoquet qui rompt la perception des saisons. Certains Japonais voyagent du nord au sud de leur île pour admirer cette floraison blanche ou rose qui éclot au fur et à mesure le temps d'une semaine. Alors pardonnez le fossé avec le paragraphe suivant. Le grand écart n'est pas des plus seyants.
Car la veille j'avais suivi en direct la manifestation aux mégabassines que la police de Macron empêchait d'approcher avec la plus grande violence alors qu'il n'y avait rien à défendre qu'un trou et quelques tuyaux, un immense trou dont l'absurdité n'est plus à démontrer. J'ai tout de même inséré un lien pour celles et ceux qui ne connaissent pas l'enjeu de ces retenues d'eau qui pompent les nappes phréatiques aux profits de quelques rares grandes exploitations et assèchent la majorité des autres. À Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres il y avait un autre parfum de printemps, l'odeur de mes quinze ans quand la grève générale eut raison de son président. Vendredi, à défaut d'y être, j'avais envoyé ma voiture convoyer la fanfare La clé de lutte ! Parce que face à tant d'arrogance et de stupidité de la part du gouvernement, face à la brutalité d'une police surarmée, face aux 49.3 antidémocratiques (quelle que soit sa définition de la démocratie ou de ce qu'elle prétend représenter), il ne reste plus que la grève générale. Quand on est prêt à tout perdre, on peut tout gagner. Or aujourd'hui une grande partie de la population a déjà tout perdu. Comment vivront les Gilets Jaunes qui n'avaient pas de quoi finir les fins de mois avec l'inflation galopante qui nous menace ? Les révolutions naissent de la famine, or il est des quartiers où elle prolifère doucement sans que ceux qui nous gouvernent en aient quoi que ce soit à faire. La bataille de l'eau est symptomatique de ce qui nous attend si on laisse le capitalisme détruire la planète. La catastrophe sociale sera encore plus meurtrière si on n'arrête pas le représentant des banques à faire toujours plus de cadeaux aux ultra-riches en appauvrissant les plus démunis, en saccageant les ressources naturelles de la Terre, massacrant les opposants pour intimider ceux qui souffrent sans oser se rebeller. Et gai rossignol, et merle moqueur seront tous en fête, les belles auront la folie en tête, et les amoureux du soleil au cœur...
Le nom d'Emmanuel Fleury est de circonstance. Syndicaliste, résistant, secrétaire des Amis de la Commune, il commença ouvrier agricole, fut révoqué des PTT de 1929 à 1936 pour fait de grève, exclu de la CGT en septembre 1939 pour ne pas avoir désapprouvé le pacte germano-soviétique, joua un rôle de premier plan dans la grève des postiers, un des préludes essentiels dans la Libération de Paris. Son nom et sa vie réfléchissent à eux seuls le sens de cet article.