Relisant mon article du 25 novembre 2010 sur l'absence de perspective sonore dans notre univers quotidien, j'y ai trouvé un autre écho dans la sonorisation des concerts amplifiés. Je ne comprends pas que des musiciens acceptent de jouer dans des conditions souvent déplorables. La question ne se pose pas pour les orchestres acoustiques, encore qu'on ne programme pas un ensemble de percussions ou un groupe de rap dans une église et que les théâtres devraient être choisis en rapport avec le style de musique, et réciproquement. Mais combien d'ensembles de rock, de jazz, de recherches expérimentales sont saccagés par un mauvais matériel de diffusion ! Lorsque nous tournions avec Un Drame Musical Instantané nous voyagions avec notre propre sono que nous placions derrière nous, en fond de scène, pour contrôler la qualité de restitution de nos timbres. Le système de diffusion représente un élément capital pour que le public saisisse au mieux les intentions des artistes. Par exemple, écouter un big band ou même une chanteuse sous un chapiteau de cirque non traité (non réfléchi) est pour moi un supplice. Les sons criards, la réverbération, le niveau sonore exagéré gâchent trop souvent les concerts. La balance peut éventuellement s'ajuster tardivement, mais la fidélité sonore doit être testée en amont. J'utilisais en général un son de piano pour régler cela. La place des haut-parleurs est également fondamentale. Saut dispositif particulier, les sons doivent provenir des instruments, pas des cintres comme s'ils étaient envoyés par une puissance supérieure. Le confort d'écoute est aussi déterminant pour les musiciens que pour le public.

[...] Discutant avec Sacha Gattino, je suggérai de monter une agence de conseil en design sonore, généraliste. Entendre par là qu'il existe un potentiel considérable en ce domaine, tant d'entreprises produisant du son sans s'interroger sur une amélioration possible des conditions de travail, de consommation ou de création. Il y aurait tellement de lieux d'intervention qu'une armée de designers aurait de quoi travailler jusqu'à ce que mort s'en suive. Il ne s'agirait pas forcément d'intervenir matériellement, mais dans un premier temps de se pencher sur la question, occultée, méconnue, inexistante, alors que toute production sonore mériterait de la poser. Si le bon sens du système D ne suffit pas, des frais supplémentaires pourraient donner de l'ouvrage à maints corps de métier en rendant la vie franchement plus supportable, voire agréable à tous les usagers.
Neuf productions artistiques sur dix pâtissent d'avoir escamoté la question. Je souffre au cinéma où les dialogues, les bruitages utiles et le sirop musical illustratif envahissent l'espace sonore, au théâtre dont les haut-parleurs diffusent parfois une ambiance artificielle où l'on entend plus le matériel que ce qui est diffusé, dans les lieux publics où le vacarme urbain n'a rien à envier aux ambiances musicales censées couvrir le bruit des voix et aux décibels des magasins pour jeunes, je souffre dans la ville où rien n'est pensé pour les oreilles à de très rares exceptions près, je souffre que tout le monde s'en fiche pour avoir culturellement assimilé le son comme la cinquième roue du carrosse, un truc genre post-prod dans le meilleur des cas... La fréquence, le rythme, la couleur, l'harmonie, le renforcement d'un caractère, la douceur d'une détente, l'appel, l'alarme, l'illusion sonore pourraient changer nos vies.
Rêvons d'avoir à jouer le rôle de sound doctor comme il existe de plus en plus de script doctors. Et comme le rappelait Sacha, commençons par le silence.

Illustration : Moiré, œuvre interactive de Frédéric Durieu que je mis en musique (1997-2001)