Le douzième et dernier épisode vidéo d'Infernet de Pacôme Thiellement m'a donné envie de pédaler jusqu'à la présentation de son livre à la librairie du Monte-en-l'air. Je n'ai pas été déçu. L'essayiste, érudit et généreux, sait raconter des histoires. D'abord celle qui le lie à Blast, site d'information indépendant lancé par le journaliste d'investigation Denis Robert, connu entre autres pour ses remarquables enquêtes sur la chambre de compensation Clearstream. Ensuite pour son commentaire sur le recueil de textes qui furent écrits en amont des vidéos réalisées par Mathias Enthoven et Ameyes Aït-Oufella. Pacôme Thiellement s'appuie sur des faits-divers contemporains et des légendes urbaines autour des réseaux sociaux pour dessiner un portrait terrible de notre société et de ce qu'elle fait de nous. Immanquablement de nous si vous me lisez sur votre écran.


En douze chapitres plus un treizième inédit intitulé Internet et moi [une confession] Pacôme Thiellement conte des évènements dramatiques qui peuvent nous sembler drôles s'ils n'étaient tragiques pour celles et ceux qui les ont vécus. Ces histoires sont symptomatiques du monde virtuel dans lequel nous évoluons et qui nous transforment, souvent insidieusement. Certaines sont célèbres, toutes proviennent d'exemples américains tout simplement parce que le territoire y est propice et que l'auteur parle leur langue : Marina Joyce, la « kidnappée » du réseau social ; Gabby Petito, l’influençeuse lifestyle tuée par son amoureux lors de leur roadtrip documenté au quotidien sur Instagram ; Manti Te’o, la star du football victime d’un catfish sur Twitter ; Nikocado Avocado, un YouTubeur qui fait des mukbangs à se tuer la santé pour faire des vues ; Michelle Carter et Conrad Roy, les amants Facebook maudits… Chaque évocation se termine par une sorte de morale à la manière de La Fontaine, ou plus exactement une petite conclusion critique et sociale, sorte de translation vers nos propres vies à laquelle nous n'échappons pas. De la prison YouTube dont nous sommes potentiellement résidents, kidnappés du spectacle, aux risques liés à notre rôle d'influenceurs, du masque des avatars semant la confusion aux fantômes de nos échanges amoureux, de notre isolement à la perte de nos repères, de notre désir de pouvoir à l'auto-dévoration du capitalisme... Pacôme Thiellement a quitté FaceBook. Les réseaux sociaux qui sont marqués par le calcul, le narcissisme, la concurrence, l'espionnage, la malveillance et l'humiliation ne sont heureusement pas Internet.


Il y avait foule au Monte-en-l'air où Thiellement dédicaçait gentiment son ouvrage. Denis Robert et Florent Massot l'accompagnaient. Je m'interrogeais sur mon propre usage de ces réseaux qui entretiennent peut-être l'illusion d'un lien social. Ce blog publié sur drame.org, en miroir sur Mediapart, tracé sur FaceBook, Twitter et Instagram participe-t-il à cet enfer alors que j'aurais aimé l'imaginer comme une porte vers un nouveau monde, une alternative à l'abrutissement ? Mes élucubrations sont-elles absorbées par le labyrinthe dans le labyrinthe ? Comment remplacerais-je ce travail critique et militant qui glisse de temps en temps vers l'analyse ? À quoi utiliserais-je les trois heures quotidiennes qu'exigent mes articles ? Vivre aujourd'hui implique des contradictions souvent douloureuses. En fut-il de toutes les époques ?


Je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous l'épisode qui m'a donné envie de découvrir le reste, de quoi nous dégoûter à jamais du réseau social sur lequel je reproduis quotidiennement ce blog.

→ Pacôme Thiellement, Infernet, ed. Massot en collaboration avec Blast, 20,90€