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Après avoir édité La comédie du travail, blaq out sort un coffret de 6 films de Luc Moullet, cinéaste dont la réflexion critique est doublée d'un humour rare et décalé. Je connaissais quelques uns de ses hilarants courts métrages comme Essai d'ouverture (l'épreuve de la bouteille de Coca), Ma première brasse (tourné à La Ciotat), Barres (comment resquiller dans le métro), Cabale des Oursins (sur les terrils du nord)... et surtout son chef d'œuvre, Genèse d'un repas, présent dans le coffret.
Pour ce long métrage de 1978, Moullet part d'une omelette, d'une boîte de thon et d'une banane qu'il a dans son assiette pour remonter toute la chaîne de production jusqu'au (pays) producteur. La rigueur du documentaire n'est jamais mise à mal par son traitement humoristique tant la sincérité de l'auteur est entière. Moullet met en scène ses reportages comme des fictions dont il est souvent le principal protagoniste, soit physiquement, soit par sa voix qui commente l'action dans une saine autodérision. Jean-Marie Straub le considère comme l'unique héritier de Buñuel et Tati. La filiation est juste côté français, mais signalons le Palestinien Elia Suleiman (Chronique d'une disparition, Intervention divine) ou le Brésilien Jorge Furtado de L'île aux fleurs (Ilha das Flores, dvd 25 ans de courts métrages, Repérages), court métrage extraordinaire évoqué avec Luc Moullet lors de notre rencontre au Forum des Images l'an passé.
Si Genèse d'un repas est un film marxiste exemplaire, aussi grave que drôle, Anatomie d'un rapport est un film féministe, mêmes adjectifs, tourné deux ans auparavant. La coréalisation d'Antonietta Pizzorno, sa compagne, a apporté au film une lucidité rare pour l'époque, même si la relation qu'entretiennent les hommes et les femmes avec leur sexualité n'a hélas pas beaucoup changé depuis trente ans ! Le film avait alors été interdit au moins de 18 ans. Dommage, tant les jeunes gens des deux sexes pourraient en apprendre les uns des autres, de l'égoïsme des garçons comme de la jouissance des filles. La réussite de l'entreprise tient à la liberté absolue que les deux réalisateurs (ci-dessus dans Genèse d'un repas) se sont octroyés l'un par rapport à l'autre.
Ce qui est formidable dans ces récits plus ou moins autobiographiques, c'est la franchise de Moullet à se mettre en scène sans complaisance. On retrouve cette sincérité impudique et loufoque dans le grinçant Thème Je de Françoise Romand, autofiction encore inédite en salles, son meilleur film depuis son premier long métrage, Mix-Up (sorti chez Lowave l'année dernière). Le critique américain Jonathan Rosenbaum avait d'ailleurs rapproché les deux films, Anatomie d'un rapport et Mix-Up, dans un article du Chicago Reader de 1988.
J'ai maintenant hâte de découvrir les autres films de Luc Moullet, présents dans le coffret, dont j'ai longtemps entendu parler et que je n'ai encore jamais vus, Brigitte et Brigitte, Parpaillon, Les contrebandières, Les aventures de Billy le Kid et Les sièges de l'Alcazar qui justifieront certainement un nouveau billet...