Si vous connaissez Happiness, il vous a forcément marqué. Vous courrez donc voir la suite dix ans après (sortie le 28 avril). Nous avions ri d'un bout à l'autre de ce film à la noirceur sans pareil qui décrit les terribles secrets d'une famille apparemment bien banale. Ne nous y trompons pas, toutes les familles ont des cadavres enfermés dans les placards, mais l'American Way of Life est bâtie sur cet aller et retour entre le pire et le meilleur, faisant mine de croire au pardon quand tout n'est qu'oubli programmé. La véritable violence se dessine dans ces interstices où l'être humain, recherchant un bonheur égoïste, espère faire croire à sa normalité alors qu'il combat avec plus ou moins de succès ses monstres dans l'intimité.


Life During Wartime retrouve la famille de Happiness dix ans plus tard avec de nouveaux acteurs pour les mêmes rôles et Todd Solondz, qui nous avait un peu déçus avec Storytelling et Palindromes, signe son meilleur film depuis son succès de 1998. Certains personnages sont également issus de son second long métrage Welcome to the Dollhouse (Bienvenue dans l'âge ingrat). Son premier, la comédie musicale très woodyallenienne Fear, Anxiety & Depression avait été reniée par son auteur. Si l'humour est toujours présent dans le regard acide que le réalisateur porte sur ses personnages, Life During Wartime provoque moins de rires que Happiness car il est plus tendre. Il n'en a pas la méchanceté, peut-être parce que le 11 septembre aura anesthésié les enfants de l'Oncle Sam. Et Solondz de rapprocher pédophilie et terrorisme, ce qui se trame dans la clandestinité, dans la clandestinité de leurs fantasmes offerts au grand jour en toute banalité. Les parents n'étant plus capables de distinguer ce qui caractérise l'âge adulte, la petite fille de sept ans s'avale du Prozac ou du lithium comme si c'était du Coca. Son frère s'en sortira peut-être mieux, pur produit de l'éducation juive, où le petit mâle naît à treize ans le jour de sa Bar Mitzvah. En l'absence du père annoncé comme mort alors qu'il sort d'une peine de dix ans de prison, le gamin endosse le rôle de chef de famille, caution morale à la fantaisie de sa mère qui voudrait refaire sa vie avec un type bien dont le fils atteint du syndrome d'Asperger (c'est très à la mode, le héros de My Name is Khan en est également atteint) est le seul à ne pas s'intéresser au sexe, plus préoccupé par l'accession de la Chine au premier rang mondial. L'une de ses tantes, scénariste à Hollywood qui a rompu avec sa famille pro-israélienne, s'est fait tatouer Jihad sur le bras, tandis que l'autre qui a quitté son pervers de mari est une sorte de fantôme qui converse avec les morts. À noter l'étonnant Paul Reubens, autrefois connu sous le nom de Pee Wee Herman, héros du premier long métrage de Tim Burton et de nombreux shows télévisés pour la jeunesse, dont la carrière avait été brisée après deux arrestations, la première pour s'être masturbé dans un cinéma porno, la seconde pour une affaire de pédophilie dont il s'était sorti mais qui avait laissé des traces dans l'opinion puritaine. Avec l'actuelle affaire Polanski, on voit que les Américains ont la mémoire longue et la revanche tenace.


L'oubli et le pardon sont justement le sujet du film, et lors de l'avant-première au Méliès à Montreuil où nous avait invités Dominique Cabrera vendredi soir, le réalisateur qui était présent, suggéra qu'une famille pieuse pardonnerait plus facilement qu'une famille laïque. Cette affirmation nous parut plus que douteuse si nous nous référons à la politique de l'État religieux d'Israël qui s'appuie sur la mémoire meurtrie du génocide en se vengeant sur une autre population qu'il a spoliée. Heureusement, Life During Wartime, le plus politique de tous ses films, est plus une divagation poétique portée par une analyse féroce de la normalité américaine.
Tourné en numérique par Ed Lachman avec une caméra RED, il aura permis à Solondz de fignoler la direction d'acteurs sans se préoccuper du prix de la pellicule. La scène avec Charlotte Rampling est absolument formidable, mais tout est remarquablement joué dans ce cauchemar éveillé où le quotidien semble lisse alors que les personnages sont perpétuellement en tension, sauf peut-être la petite fille qui est déjà perdue, avalée par les médicaments comme beaucoup d'enfants américains. Françoise fit remarquer à Solondz que s'il pensait que le petit garçon s'en sortirait mieux c'est parce qu'il s'y identifiait. Et le réalisateur de répondre comme tous ses personnages, en faisant semblant de ne pas entendre, mais en s'y résignant, parce que l'on ne peut choisir entre la mémoire et la vengeance, ou l'oubli et le pardon. Seule l'analyse peut nous permettre de rompre le cycle infernal. La compréhension des démons permet de les apprivoiser en remontant aux sources, ce que l'étude comportementale ne saurait résoudre par quelque traitement mécaniste.