Je ne me souviens pas toujours comment j'ai l'idée de choisir tel ou tel film. Je rassemble ceux que je n'ai pas encore vus sur un disque dur amovible à brancher sur le mediaplayer relié au projecteur ou je les expose devant les tranches de ceux qui sont classés par genre. Au bout de quelques semaines les titres ne me disent plus rien et je suis obligé de zapper quelques minutes, de lire les jaquettes ou de chercher sur Wikipédia. Le soir je cherche un film qui convienne à mes invités, questions de langue, de sous-titres et de genre évidemment. Je garde les pires pour les moments de solitude et les meilleurs pour les regarder avec ma compagne. Du moins ceux que j'imagine bons ou que je ne tente que par curiosité malsaine.

Comme Kay comprend mal le français, j'ai testé des films anglophones. Nous avons tenu un quart d'heure devant Terri d'Azazel Jacobs, fils de Ken, le sirop musical engluant les bons sentiments dans un sucre écœurant. Kay a craqué devant la mauvaise copie sous-titrée de Lumière d'été de Jean Grémillon, mais heureusement Françoise et moi avons tenu bon. Depuis quelque temps nous nous faisons un festival Grémillon, cinéaste que je tiens à l'égal de Jean Renoir et que Paul Vecchiali porte au pinacle dans son récent ouvrage L’Encinéclopédie. Cinéastes "français" des années 1930 et leur œuvre. En plus des rapports de classe toujours remarquablement traités, les portraits de femmes sont d'un féminisme rare pour l'époque. Le ciel est à vous (1943, donc plein de sous-entendus) ou L'amour d'une femme (1954, son dernier long métrage) sont deux chefs d'œuvre de cette sensibilité. Comme nous avons déjà vu Gueule d'amour l'été dernier, il nous reste encore à voir ou revoir La Petite Lise, Daïnah la métisse, L'Étrange Monsieur Victor, Remorques, Pattes blanches et L'Étrange Madame X dont j'ai réussi à trouver des copies parfois remasterisées.


La surprise est venue de Bad Boy Bubby (1993) dont nous ignorions tout. Film hors normes, drôle et provocateur, profond et renversant, il nous surprend sans cesse, autant par son imagination que par les émotions qu'il suscite. Sans le déflorer, je le comparerai à un Enfant sauvage en mode urbain style Tueurs de la lune de miel, version trash d'Edward aux mains d'argent filmée par John Waters, monstre révélant l'humanité de son concepteur, le cinéaste Rolf de Heer. Le tournage est à la hauteur du scénario, 32 directeurs de la photographie se succédant pour chaque nouveau lieu que Bubby découvre, avec piste son enregistrée à l'aide de deux microphones binauraux cachés dans les oreilles de l'acteur Nicholas Hope ! Comme nous sommes épatés, je vais à la pêche et rapporte dix autres films du cinéaste australien qui semblent tout aussi prometteurs, du moins dans leurs concepts : Encounter at Raven's Gate (1988) et Epsilon sont deux films de science-fiction, Miles Davis joue l'un des principaux rôles de Dingo (1991), The Quiet Room (1996) évoque l'effondrement d'une famille à travers le regard d'une fillette, Dance Me to My Song (1998) conte l'amour d'un homme pour une tétraplégique, The Old Man Who Read Love Stories (2001) est tourné dans la jungle de la Guyane française, The Tracker (2002) est un western dans l'outback australien, Alexandra's Project (2003) est un drame qui dérange, Ten Canoes (10 canoës, 150 lances et 3 épouses, 2006) est un conte aborigène ni reportage ni fiction dansant sur la couleur et le noir et blanc, Dr Plonk (2007) est un burlesque entièrement muet, Twelve Canoes (2008) se savoure interactivement sur Internet...