70 Cinéma & DVD - avril 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 14 avril 2017

Paul Verhoeven à l'œil nu


C'est en écoutant il y a 15 ans le commentaire de Paul Verhoeven sur le DVD de Starship Troopers que je me suis penché sur le travail du cinéaste hollandais. Le film était compris de travers par une partie des spectateurs qui le prenaient pour un film fachiste et Verhoeven se marrait en le regardant, avec une franchise que l'on retrouve tout au long de l'entretien livré à Emmanuel Burdeau sur l'intégralité de sa carrière. Le journaliste est allé l'interviewer chez lui à La Haye pour une conversation à bâtons rompus où le jeune réalisateur de 78 ans évoque ses films depuis ses premiers en Hollande jusqu'à Elle qui a fait récemment parler de lui, en particulier pour la prestation d'Isabelle Huppert. J'avoue avoir dévoré le petit bouquin qui m'a donné envie de découvrir les films de ses débuts (de 1971 à 1985 : Turkish Délices, Katie Tippel, Soldier of Orange, Spetters, Le qautrième homme, La chair et le sang). Robocop m'avait déjà intrigué, j'avais adoré Total Recall d'après Philip K. Dick, trouvé Basic Instinct un peu superficiel (Françoise possède un exemplaire tapuscrit du scénario !), Showgirls sous-évalué, Starship Troopers génial, Hollow Man banal, Black Book formidable, Tricked intéressant, et Elle ne méritait pas ni ses critiques ni ses louanges.
Appréciations expéditives, mais Paul Verhoeven figure pour moi un de ces auteurs avec un regard très personnel, un peu sous-estimé, comme Richard Fleisher ou William Friedkin. Son regard sur Hollywood est particulièrement juste, son rapport aux hommes et aux femmes encore plus acéré, sa lucidité sur son œuvre la mettant en lumière. Ses commentaires sur Schwarzenegger ou Michael Douglas, Sharon Stone ou Huppert, mettent en scène le professionnalisme des acteurs et leur implication au delà du tournage. Comme chez trop de cinéastes, les projets inaboutis dessinent un portrait en creux de son œuvre. Sa passion mécréante de Jésus ou le Jean Moulin qu'il espère tourner bientôt lui offrent de développer son humanisme critique. Verhoeven n'est jamais manichéen, il aime prendre les évidences à contrepied, jouer d'une dialectique entre les apparences et les coulisses de l'âme. Ses inserts publicitaires dans Robocop et Starship Troopers sont des modèles du genre. La franchise de ses réponses à Burdeau montre un homme qui cherche toujours à déceler la vérité du mensonge, la complexité des rapports humains comme leur brutale simplicité.

→ Paul Verhoeven, À l'œil nu, entretien avec Emmanuel Burdeau, 176 pages, Ed. Capricci, 16€

lundi 10 avril 2017

D'une seconde mère à une seconde famille


Si au cinéma on aime sortir de l'ordinaire, il est nécessaire de chercher à voir des films qui ne sont ni américains ni français. Ce n'est pas que ceux-ci soient forcément banals, mais en fouillant parmi les productions grecques, islandaises, hongroises, italiennes, néo-zélandaises, thaïlandaises, chiliennes, etc., les variations sociales initient des scénarios différents, et lorsque la forme colle au récit on gagne sur tous les tableaux.


Comme nous avions été séduits par Une seconde mère (Que Horas Ela Volta?) de la Brésilienne Anna Muylaert, nous avons regardé son récent D'une famille à l'autre (Mãe Só Há Uma) ainsi que la précédente comédie, É Proibido Fumar, n'ayant pas réussi à mettre la main sur ses deux premiers longs métrages.


Une seconde mère est une comédie sociale remarquablement interprétée par Regina Casé qui joue le rôle d'une bonne dans une famille bourgeoise dont le fils est plus proche d'elle, a priori, que de ses parents, alors qu'elle-même a une fille confiée à sa propre mère. Dans tous ses films, Anna Muylaert met en scène la différence de classes, flagrante au Brésil où l'écart est particulièrement visible et choquant. Elle le fait ici avec un humour incisif tout au long d'un scénario inventif bourré de détails croustillants. Même constatation avec le nouveau D'une famille à l'autre où des enfants volés retrouvent leurs géniteurs alors qu'ils sont déjà grands. La bourgeoisie en prend pour son grade, d'un égoïsme colossal, comme le patriarcat dont le machisme est d'une rare stupidité. Conséquence perceptible dans les deux films, les adolescents semblent en manque de (re)pères. Dans le dernier, l'interprétation est aussi fameuse (Muylaert fait astucieusement jouer le rôle des deux mères à la même comédienne), et les rebondissements épatants...