Pourquoi faire un film ? La question est incontournable. Certains racontent leur vie, d'autres aiment distraire, il y a des esthètes, des documentalistes, des rêveurs, des geeks, des marchands, ceux qui dénoncent la société dans laquelle on vit et que les distractions nous cachent sans négliger la beauté des images et sans perdre d'argent, etc. Mais pour trouver les moyens et convaincre un producteur et un distributeur il faut être convaincu soi-même. Et quand le film est sorti en salles, ou pas, il faut décrocher un éditeur de DVD qui donne une seconde chance au film. Un vrai marathon ! Chaque éditeur a sa personnalité. Celle de Blaq Out est de publier des films sociaux-politiques, dans le passé on aurait dit à thèse, mais ces deux qualificatifs sont évidemment très réducteurs. En tout cas ce sont certainement des films qui font réfléchir, ce qui les oppose à l'entertainment destiné plutôt à nous faire tout oublier. J'en ai vu trois sortis récemment, Le gang des Antillais de Jean-Claude Barny, Aquarius de Kleber Mendonça Filho, Sex Doll de Sylvie Verheyde.
Le gang des Antillais s'inspire d'une histoire vraie. C'est aussi la mode dans le cinéma de distraction de faire ce genre d'annonce en amont. Les auteurs de la série déjantée Fargo s'en moque en avertissant avec humour "Ceci est une histoire vraie. Les évènements décrits eurent lieu au Minnesota en 2006. À la demande des survivants les noms ont été modifiés. Sans aucun respect pour les morts, le reste est raconté exactement comme cela s'est passé." Les libertés que les scénaristes et réalisateurs prennent avec le réel est aussi grand que les documentaristes qui ne peuvent prétendre au cinéma vérité après avoir choisi de filmer ceci ou cela, avec tel cadre, et de découper tout cela ensuite au montage. Le film de Jean-Claude Barny, qui avait réalisé Nég marron, aborde une période mal connue des années 70, quand le Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer) promettait l'insertion des français des DOM-TOM et qu'ils se retrouvaient coincés en métropole. Le gang des Antillais allait répondre à l'arnaque en dévalisant des bureaux de poste ! L'ambiguïté entre révolte et délinquance est traitée sur le mode de la Blaxploitation. Le film en a les qualités et les défauts, rythme entraînant et direction d'acteurs maladroite, avec la soul et le hip-hop en bande-son. Le making of en bonus apporte nombreux éclaircissements sur le film et l'histoire relativement récente des Antillais en métropole, le déracinement et leur implication dans la fonction publique.
Aquarius raconte l'histoire d'une sexagénaire qui refuse de déménager pour permettre à un promoteur de réaliser une opération juteuse. Si cette comédie légère et spirituelle se passe à Recife au Brésil, ville détruite par la spéculation immobilière, la fable est la même sous toutes les latitudes. Dans un autre registre j'ai pensé à Joe's Apartment, mais le délire de John Payson est ici remplacé par la tendresse poétique de Kleber Mendonça Filho.
Sex Doll est le portrait d'une call-girl qui se pose des questions sur sa vie comme toute jeune fille moderne. Le sexe et l'argent l'ont amenée à devenir pute de luxe, mais quel avenir ce métier lui réserve ? La réalisation de Sylvie Verheydeest à la fois aérienne et clinique, nous renvoie à nos propres interrogations. Je me souviens d'une amie très jolie que nous avions tenté de dissuader, mais qui y plongea hélas corps et âme. Elle s'en sortit, d'une certaine manière, en acceptant les faveurs d'un très vieux producteur de cinéma qui lui acheta un appartement et un bar à Ménilmontant. Parmi ses clients, qui parfois n'exigeaient que sa présence à un dîner huppé, elle avait un cinéaste célèbre qui lui dit un jour qu'il trouvait formidable de "faire quelque chose de connu avec une inconnue." Le milieu est évidemment sordide, comme on a pu le voir récemment aussi dans le documentaire d'Ovidie, Pornocratie, qui traque les multinationales du sexe. L'héroïne interprétée par Hafsia Herzi pense à tort qu'elle est indépendante.