Je n'avais jamais vu Donnie Darko, film-culte de Richard Kelly qu'il écrivit à 22 ans et réalisa quatre ans plus tard. Comme tout le monde j'ai été désarçonné, renvoyé à des interrogations existentielles, des spéculations pseudo-scientifiques et des réflexions sur la psyché humaine. À l'issue de la projection, le film semble produire un impact différent sur chacune et chacun. Il interroge plus qu'il n'impose une vision orientée, sans que nous ayons recours à l'option multilangue de la télécommande ! À la croisée du teen movie mélancolique et du thriller fantastique, Donnie Darko est suffisamment original pour avoir été un flop à sa sortie en 2001. Il est certain que provoquer une catastrophe en faisant tomber un réacteur d'avion sur une maison, sans qu'on sache comment, au lendemain du 11 septembre n'a pas du arranger les choses. Les rêves ou cauchemars qu'il convoque renvoient à l'univers de Philip K. Dick que je retrouve dans Paprika, dessin animé de Satoshi Kon projeté juste après dans ma salle de cinéma favorite. On peut aussi imaginer des univers tangents ou y trouver des paraboles bibliques, mais la probabilité d'une schizophrénie paranoïde est évidemment l'explication la plus "rassurante" !
La crédibilité de l'intrigue tient beaucoup à la qualité de l'interprétation à commencer par Jake Gyllenhaal (Le Secret de Brokeback Mountain, Zodiac, Prisoners, Nightcrawler, Les frères Sisters) qui fut lancé grâce à ce rôle de jeune adolescent ténébreux. Sont également présents d'autres jeunes comédiens qui feront carrière ensuite comme sa sœur aînée, l'exquise Maggie Gyllenhaal (La secrétaire, SherryBaby, Hysteria, les séries The Honourable Woman et The Deuce) - leur père est le réalisateur Stephen Gyllenhaal, Seth Rogen (déjà potache) dans son premier rôle, Jena Malone (Into the Wild, Hunger Games, The Neon Demon), mais aussi des acteurs qui ont connu leurs heures de gloire hollywoodienne comme Drew Barrymore (E.T., Charlie's Angels, Batman Forever), Mary McDonnell (Danse avec les loups, Independence Day), Patrick Swayze (Dirty Dancing, Point Break, La cité de la joie)), Katharine Ross (The Graduate, Butch Cassidy, The Stepford Wives)...
Les références cinématographiques (Lynch, Spielberg, Zemeckis), musicales (Duran-Duran, Tears for Fears, INXS, Echo and the Bunnymen), littéraires (Les destructeurs de Graham Greene) sont nombreuses, mais le menaçant lapin viendrait de Watership Down, roman de Richard George Adams et le dessin animé de 1978. On connaît ma connexion lagomorphique et j'ai adoré la version de 2018 produite par la BBC...


Donnie Darko rencontrera le succès avec sa sortie DVD, seconde chance de beaucoup de films hors normes. De plus cette fois, l'édition Ultra Collector de Carlotta offre le film restauré 4K dans ses version cinéma et Director's Cut, de très nombreux bonus inédits (commentaires audio de Richard Kelly et Jake Gyllenhaal, de Richard Kelly et l'équipe du film, Richard Kelly et Kevin Smith, 33 minutes de scènes coupées ou alternatives, quatre documentaires autour du film dont des entretiens inédits avec Richard Kelly, son premier court-métrage The Goodbye Place, des spots TV et bandes-annonces…) et un livre illustré de 200 pages avec le scénario de tournage intégral.
Hélas il y a un bémol. Regarder ces bonus m'a donné envie de découvrir ses deux longs métrages suivants qui ont été autant de bides, Southland Tales (2006) et The Box (2009). Le premier est un fatras incroyable, difficile à suivre, bourré de références critiques au cinéma de science-fiction hollywoodien et à la politique américaine, un brouillon explosif à 15 millions de dollars où l'on retrouve les thèmes chers à l'auteur : la fin du monde et la peur qu'elle engendre, l'amour salvateur, la confusion entre rêve et réalité, avec le désir d'intégrer les dernières avancées scientifiques et les archaïsmes propres à l'humanité. J'ai pensé un moment à Skidoo d'Otto Preminger tant ça part dans tous les sens. On comprend que le film n'ait pas marché. Le suivant en a coûté le double. The Box est un thriller psychologique dont le thème est cousin de l'expérience de Milgram : il suffirait d'appuyer sur un bouton pour qu'une personne qu'on ne connaît pas meurt et que l'on reçoive un million de dollars. Ces deux films jettent finalement un doute sur le cinéma de Kelly, sorte de métaphysique millénariste sur la culpabilité où une puissance supérieure juge l'absurdité humaine, à savoir qui sera sauvé ou pas. J'en viens à penser que Richard Kelly met en scène, à grand renfort d'effets spéciaux, une doctrine proche de celle des Témoins de Jéhovah ! C'est dommage, car Donnie Darko laissait planer suffisamment d'ambiguïtés pour que l'on se fasse son propre cinéma...

→ Richard Kelly, Donnie Darko, Carlotta, coffret Ultra Collector (2 Blu-Ray + 2 Dvd + Livre, ed. limitée et numérotée à 3.000 ex.), 50,16€ / version DVD ou Blu-Ray simples, 20,06€