Je reviens sur une pratique, ou son absence, qui me tarabuste. Rien n'a changé depuis cet article de 2008. La manie d'envoyer les services de presse dans des enveloppes en carton, sans les informations contenues dans le livret, est contre-productive. Je passe parfois autant de temps à indiquer les liens hypertexte (présents sur drame.org et Mediapart, mais absents de FaceBook et Twitter) qu'à rédiger mes chroniques. De plus, les crédits contiennent souvent des indications précieuses pour peu que l'on souhaite faire correctement son "travail".

Article du 3 avril 2008

Je n'ai pas arrêté l'enregistrement, laissant se dérouler le générique interminable d'un film américain jusqu'au bout. Toutes celles et tous ceux qui ont participé à l'entreprise, du moindre stagiaire au réalisateur, ont leur nom inscrit sur la pellicule. Dans quel autre secteur de l'industrie reconnaît-on nominalement l'apport de chaque poste à l'édifice collectif ? Pourrait-on imaginer que les noms de tous les ouvriers qui ont conçu et construit la dernière automobile sortie des usines Renault soient imprimés sur un des petits fascicules remis au client au moment de l'achat ? Cette pratique systématique de reconnaître tous les acteurs d'un travail, du plus petit au plus grand, la hiérarchie s'exprimant par la différence de taille des polices de caractères et la durée de leur présence à l'écran, n'existe que dans l'industrie cinématographique. On la retrouve tout de même sur les programmes de théâtre ou de ballet, mais combien de disques précisent qui a fait quoi ? Le nom des musiciens d'un orchestre symphonique sont rarement inscrits sur le livret ; quelle frustration d'ignorer quels sont les musiciens jouant sur tel disque de Miles Davis ou des Beatles ! J'ai l'habitude d'ouvrir une page de crédits dès le début d'une création pour être certain de n'oublier personne en chemin. Qu'est-ce que cela coûterait de préciser tous les participants à une œuvre, à un objet manufacturé, à un bien de consommation permettant à chacune et chacun de s'y reconnaître un petit peu ? L'anonymat est une forme de l'exploitation. Jean-Luc Godard insistait que le générique est encore une image et nous ne nous levions qu'après le dernier carton disparu, la salle retrouvant sa laide vacuité les lumières rallumées. On aura beau accompagner le mouvement avec une chanson ou quelque développement orchestral, la plupart des spectateurs se lèvent et quittent la salle avant la fin du déroulant, mettant, sans le savoir, cet acquis en danger. Certains réalisateurs rusent pour garder leur audience jusqu'au bout, en remplaçant les titres en réserve blancs sur fond noir par quelques fantaisies, voire rajoutent un plan surprise lorsque le public ne s'y attend plus.



L'Herbier (Le mystère de la chambre jaune)...



Guitry (La Poison)...



Godard (Le mépris)...



Pasolini (générique chanté d'Ennio Morricone pour Uccellacci e uccellini)...

Comme Steinhoff et Pujol (Chacun sa chance), Cocteau (Le testament d'Orphée), Truffaut (Fahrenheit 451) remplacèrent parfois le générique de début, du moins une partie, par une présentation vocale, ou bien celui de la fin comme Welles (La Splendeur des Amberson et Le procès), Altman (Mash), Bergman (chacun des six épisodes de Scènes de la vie conjugale) ou Harry Nillson chantant le générique de fin de Skidoo de Preminger). Mais, où que ce soit, les mots de la fin constituent un hommage au travail d'équipe.