70 Cinéma & DVD - septembre 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 29 septembre 2021

Amer béton (Tekkonkinkreet)


Une étudiante en Master 2 à Autograf [m'avait] conseillé le film Tekkonkinkreet sorti en 2006 et dont le DVD est vendu seulement 10 euros sous le titre français Amer Béton. Le réalisateur Michael Arias est américain, mais a suffisamment vécu au Japon pour parler couramment la langue, ce qui lui permet d'être le premier gaijin, un "étranger", à diriger un film d'animation de cette ampleur. Dès le générique, nous sommes saisis par les audaces sonores, voix dans le noir, écart dynamique des intensités, et par la beauté du graphisme. Plusieurs techniques coexistent, dessins peints à la main côtoient infographie. Le souci du détail dans les décors, les costumes et les personnages est à l'honneur. La musique du groupe techno anglais Plaid est pertinente, même si elle obéit souvent aux règles dramaturgiques illustratives habituelles.


Après avoir produit The Animatrix, Michael Arias est tombé amoureux de la bande dessinée de Taiyo Matsumoto, le manga Tekkonkinkreet. Dans la jungle urbaine de Treasure City, deux orphelins surnommés les Chats, Noir, l'aîné responsable et pragmatique, et Blanc, le petit dans la lune, volent de toit en toit pour protéger leur territoire contre les bandes adverses et les yakuzas. Le scénario n'a rien d'exceptionnel, mais le film réalisé au Studio 4°C est sympathique, jouant sur la solidarité des plus démunis face aux manigances des promoteurs. On en prend plein les yeux et les oreilles, le travail sur le son est superbe et les images sont d'un éclat magique rendant parfaitement la palette multicolore et hétérogène d'une ville asiatique. Joli univers poétique.


On trouve tant de bandes-annonces du film et d'extraits que je ne sais plus que choisir pour vous mettre l'eau à la bouche, mais rien ne vaut la version 5.1 en 16/9 sur grand écran. Un ravissement absolu ! Ce troisième trailer est sonorisé avec une autre musique que celle de Plaid, c'est TaylorKing, peut-être cette mode pirate du mashup vidéo qui consiste à monter une musique d'une bande-annonce sur l'image d'une autre ?



Article du 16 octobre 2008

vendredi 24 septembre 2021

Appelez-moi Madame


Il y a deux bandes-annonces du film Appelez-Moi Madame de Françoise Romand, la première date de la sortie du film en 1986, la seconde lors de sa remasterisation exécutée en 2020 après la sortie du DVD.

Le sujet du film ? Dans un petit village normand, un militant communiste, marié et père d'un adolescent, devient transsexuel à 55 ans, aidé par sa femme.
À sa sortie en 1987, le célèbre critique du New-York Times, Vincent Canby, écrivait "Miss Romand fait des documentaires uniques. Elle s'attache aux faits mais il y a certaines réalités que peu de romanciers ou écrivains supposés sérieux traiteraient si ce n'est sous des pseudonymes... Dans Appelez-moi Madame, la cinéaste nous fait partager sa curiosité, son étonnement et son regard..." Pour cette édition dont Étienne Mineur a conçu la pochette, Françoise a réalisé deux entretiens, l'un en français, l'autre en anglais, compléments de programme qui tranchent radicalement avec les bonus habituels !


Documentaires ou fictions, tous les films de Françoise Romand interrogent l'identité de ses personnages. Dans Mix-up ou Méli-mélo des bébés sont échangés à la naissance, dans Appelez-moi Madame un militant communiste devient transsexuel à 55 ans, dans Les miettes du purgatoire deux jumeaux vivent en symbiose avec leurs parents très âgés, dans Passé Composé un homme à la recherche douloureuse de son passé rencontre une femme amnésique qui fuit le sien, dans Vice Vertu et Vice Versa deux voisines de palier s'échangent leurs vies, l'une prostituée de luxe l'autre intellectuelle au chômage, jusqu'à Thème Je où la cinéaste retourne sur elle la caméra en fouillant les histoires de famille et les réinventant, se permettant avec elle-même ce qu'elle n'aurait jamais osé avec qui que soit d'autre. [Baiser d'encre est un conte moral sur le couple d'artistes Ella & Pitr.]
Documentaires ou fictions, la cinéaste mord le trait et met en scène les hommes et les femmes de la vie réelle comme s'ils étaient des personnages de roman. Pour elle, la vérité n'a jamais existé au cinéma. Les regards face caméra renvoient au miroir du spectateur. Avec tendresse et compassion, Françoise Romand recompose le passé en faisant jouer aux protagonistes leurs propres rôles. Espiègle et complice, elle ouvre la porte à toutes leurs fantaisies.


Dès le début d'Appelez-moi Madame le ton est donné. Ovida Delect fait un signe de connivence à la caméra et raconte ses fantasmes que la cinéaste concrétisera en images. La musique de Nicolas Frize accompagne la mariée qui court au ralenti sur la plage. En 1986 dans un petit village normand, devenir transsexuel à 55 ans avec l'aide de sa femme n'est pas une mince affaire pour ce communiste et poète, ancien résistant resté muet sous la torture. L'amour d'Huguette pour son mari devenu femme transcende tous les poncifs et son douloureux sacrifice réfléchit le statut de toutes les femmes. Avoir été directrice de l'école maternelle fait passer la pilule auprès des villageois. Dans un micro-trottoir rythmé par le hachoir du boucher, la réalisatrice se débarrasse rapidement des remarques grivoises que le curé couronne. Les deux mamies tournent le dos à ces commérages. Les films de Françoise Romand évitent les commentaires, ils parlent d'eux-mêmes, réfléchissant les vies ordinaires de personnages extraordinaires sous l'œil fantasque de la mise en scène. Le drame se joue toujours dans la comédie. La distance n'est pas celle de l'auteur à son sujet, mais du sujet au filmage, rapprochant le spectateur au plus près de l'émotion en le faisant entrer incidemment dans les arcanes du cinéma.

Hier jeudi 23 septembre 2021, Françoise Romand a reçu le Prix Charles Brabant de la SCAM 2020 pour l'ensemble de son œuvre.

Ses 6 DVD sont sur SuperAlibi/BigCartel, dont Appelez-moi Madame, 20€

Article du 23 octobre 2008

mardi 14 septembre 2021

Les vies intimes de Barry Purves


His Intimate Lives, le DVD de l'animateur-marionnettiste anglais Barry Purves (site à butiner, c'est du miel) est accompagné d'un somptueux livret de 80 pages en largeur (Potemkine). Lorsque l'objet fait masse on dit que c'est une petite merveille. On ne compare pas les six films d'animation à la Pyramide de Khéops ou aux jardins de Babylone, mais ils en imposent par la maîtrise et la variété des tons. Bonus indispensables, la présentation de chaque film par l'auteur-réalisateur-animateur et son entretien avec Michel Ocelot apportent toute la lumière sur son travail d'orfèvre. Le livret rappelle les clés de l'animation image par image (stop motion) : l'écriture et la pré-production, la fabrication des marionnettes, la création des décors, l'éclairage et l'organisation du tournage, l'animation et la réalisation, la post-production.


De Next (1989) qui met en scène William Shakespeare au burlesque Hamilton Mattress (2001), chaque film possède sa propre ambiance, sa couleur, sa petite musique.


L'épuré Screen Play utilise les règles du Kabuki et du Bunraku (il y a vingt ans, j'avais adoré composer la musique de Bunraku, fantômes de la mémoire pour Jocelyne Leclercq et la Cinémathèque Albert Kahn !). Rigoletto (1993) est une réduction de trente minutes du tragique opéra de Verdi en version anglaise. L'érotisme d'Achilles (1995) est interprété par des sculptures grecques dans un souci de simplicité qui tranche avec le précédent ou Gilbert et Sullivan, The Very Models (1998), opéra comique mettant en scène les deux célèbres auteurs britanniques.
Les six joyaux de la couronne réunis dans ce beau coffret, et dont les pâles reproductions sur YouTube ne rendent évidemment pas la qualité (de plus ce ne sont pas mes préférés), constituent l'œuvre majeure de Purves. Manquent tous ses premiers et son dernier, Rupert Bear, 52 épisodes de dix minutes (2005-2007) comme ses contributions à Mars Attacks! ou King Kong. Barry Purves est également metteur en scène de pièces de théâtre et acteur...

Article du 1er octobre 2008

vendredi 10 septembre 2021

Si "Les bourreaux meurent aussi", "Verboten!" recadre la chute de l'Allemagne


À voir les jaquettes de ces DVD, il est prudent de s'y prendre à deux fois avant de tourner à l'angle d'une rue ! La vermine n'est jamais très loin. Les hors-champs sont dans le cadre, deux plans dans la même image, avec le son comme si on y était, perspective menaçante.
Carlotta édite le film de Fritz Lang en version intégrale tel qu'il fut présenté aux USA en avril 1943. La version française, tronquée de vingt minutes, est également présente sur le double dvd comprenant une introduction et une analyse passionnantes de Bernard Eisenschitz abordant la collaboration du metteur en scène avec le dramaturge Bertolt Brecht, co-auteur du scénario. Les bourreaux meurent aussi (Hangmen also die) raconte la résistance du peuple tchèque contre les Nazis avec l'assassinat du Bourreau Heydrich, la solidarité des uns et la lâcheté des autres. Les récits parallèles entretiennent un suspense palpitant tout en rappelant les qualités sémantiques de Lang et la distanciation malicieuse de Brecht. Notons que Hanns Eisler composa la musique de cet excellent Fritz Lang, un avertissement contre l'organisation des forces du mal comme le réalisateur les multiplia tout au long de son œuvre.
En 1959, Samuel Fuller réalise un film sur la chute du 3ème Reich où il mêle images d'archives exceptionnelles (villes totalement détruites par les bombardements alliés, procès de Nuremberg...) à l'intrigue mettant en scène un soldat américain rencontrant une Allemande et brisant ainsi la loi anti-fraternisation du Plan Marshall.
Verboten!, signifiant "interdit" et bizarrement traduit en français par Ordres secrets aux espions nazis, insiste sur la différence entre Allemands et Nazis, une distinction rarement évoquée, mais que j'ai souvent entendue dans ma famille, que ce soit du côté maternel où mon grand-père, Roland Bloch, combattant des deux guerres, fait prisonnier et libéré, résistant devenu responsable du ravitaillement pour le Cantal, militait dans les années 50-60 au sein de la Protection Civile aux côtés de collègues allemands, ou du côté paternel malgré la déportation de mon autre grand-père, Gaston Birgé, à Auschwitz et les sévices endurés par mon père, dont le meilleur ami, fils d'un commissaire de police d'une ville de province allemande, Bielefeld, et militant anti-Nazi, périt hélas dans le torpillage de son sous-marin. Fuller insiste aussi sur la connaissance de l'existence des camps de concentration qu'il avait contribué à libérer lorsqu'il était soldat au sein de son régiment, The Big Red One. Mes parents, qui ne mélangeaient pas nationalités et choix politiques, me firent apprendre l'allemand en seconde langue, et, lorsque je souhaite faire la part des choses, me viennent souvent les mots de Manouchian dans sa dernière lettre à sa femme Mélinée, repris par Aragon dans son poème L'affiche rouge, mis en musique par Léo Ferré : " je meurs sans haine pour le peuple allemand ".


Depuis 45 ans j'ai gardé le souvenir indélébile de la première scène de Verboten! citée dans le Cinéastes de notre temps (réalisation d'André S. Labarthe non rééditée) consacré à Samuel Fuller. Son incroyable bande-son ponctue le premier mouvement de la Vème symphonie de Beethoven par le bruit des combats au milieu des ruines. Le rythme du montage et la chorégraphie s'appuient sur le thème universellement célèbre du compositeur allemand, paradoxalement utilisé par Radio Londres pour symboliser la victoire : ti-ti-ti-taaa = V en morse..._ Beethoven avait dédié sa 3ème (l'Héroïque) à Bonaparte pour se rétracter lorsque celui-ci s'autoproclama empereur : «N'est-il donc, lui aussi, rien de plus qu'un homme ordinaire ? Maintenant, il va, lui aussi, fouler aux pieds tous les droits de l'homme pour n'obéir qu'à ses ambitions. Il s'élèvera au-dessus de tous les autres et deviendra un tyran.» Bien que ce soit le seul film de Fuller que je n'avais jusqu'ici jamais vu en entier, dans mes conférences j'ai souvent pris en exemple la partition, qui passe sans transition de percussions contemporaines aux accords de Richard Wagner et au thème de Ludvig van, pour évoquer l'utilisation de la musique préexistante au cinéma et l'intégration des bruitages à la partition sonore. J'ai toujours été un grand fan de Fuller pour son style direct et entier, jouant des images pieuses et des tartes à la crème en les retournant comme des gants, manipulant les McGuffins hitchcockiens et les poncifs de manière outrancière pour révéler les intentions cachées de l'inconscient collectif.
Avec le triple Criterion présentant ses trois premiers films, I shot Jesse James, The Baron of Arizona et The Steel Helmet (J'ai vécu l'enfer de Corée), ce dvd édité par Warner enrichit la cinémathèque fullerienne déjà riche de Fixed Bayonets, Pick Up on South Street (Le port de la drogue), House of Bambooo, Run of the Arrow, Forty Guns, Merrill's Marauders, Shock Corridor, The Naked Kiss, The Big Red One (Au-delà de la gloire), etc. Je suis toujours à la recherche des éditions dvd de Park Row, The Crimson Kimono, Underworld U.S.A., Dead Pidgeon in Beethovenstrasse et de ses réalisations pour la télévision... Il existe aussi un film sur lui d'Adam Simon intitulé The Typewriter, the Riffle & the Movie Camera.
Quant à Lang, je suis à l'affût de son dernier film, Die tausend Augen des Doctor Mabuse (Le Diabolique docteur Mabuse), qui reprend une fois de plus le thème du complot mafieux et de la manipulation de masse de façon visionnaire.
[J'ai trouvé tous ces films depuis la rédaction de cet article].


Article du 24 septembre 2008

jeudi 9 septembre 2021

The King of New York


Par quel bout prendre ce film et sa présentation ? Après un échec à sa sortie en 1990, The King of New York est devenu un film culte. Est-ce parce qu'il signe en beauté la fin d'un genre, film de gangsters dans la saleté du New York de l'époque ? Pour sa fameuse distribution à commencer par Christopher Walken, exceptionnel comme toujours, ses yeux et son corps capables d'exprimer ou susciter des émotions contradictoires, mais aussi David Caruso, Laurence Fishburne, Victor Argo, Wesley Snipes, qui n'étaient pas encore des acteurs confirmés ? Est-ce parce qu'il représente une métaphore de la Grosse Pomme (The Big Apple est un des surnoms de NYC) livrée à la corruption ? La justification philanthropique du chef de gang est-elle troublante à ce point ? Quelle différence Abel Ferrara fait-il entre les gendarmes et les voleurs, tous des assassins. Il se rapproche de Pasolini sur la question de la lutte des classes, les flics sont des prolos, les bandits roulent sur l'or en grands "saigneurs". C'est aussi un des films les plus accessibles de son réalisateur, avec Bad Lieutenant tourné deux ans plus tard. Ferrara connaît son sujet, c'est sa ville, son quartier. La lumière et le cadre y sont magnifiques, toujours justifiés par l'action ou les intentions de son auteur ; la musique épouse parfaitement les poncifs attendus ; bon, ça canarde dans tous les sens dans ce monde de machos, mais il faudra attendre quelques années pour rectifier ce tir, et encore ! L'entretien récent de Ferrara avec Nicole Brenez est passionnant, tout comme celui du producteur Augusto Caminito, The King of New York étant un film 100% italien. La liberté dont a joui le cinéaste y est certainement pour quelque chose dans la réussite de l'entreprise. L'édition Carlotta offre enfin plusieurs versions selon les manies de collectionneur de chacun. Et puis j'y reviens, mais voir danser Christopher Walken comme, dix ans plus tard, dans Weapon Of Choice de Fatboy Slim ft. Bootsy Collins est un régal !



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