70 Cinéma & DVD - novembre 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 18 novembre 2021

La Commune par Peter Watkins


J'insiste sur l'importance de Peter Watkins, cinéaste britannique qui a pulvérisé la frontière entre documentaire et fiction, inventant une manière personnelle et attrayante pour faire passer ses idées auprès du plus grand nombre. Il s'est évertué à dénoncer les mass média qui pratiquent ce qu'il appelle la monoforme et a dû plusieurs fois s'exiler devant le refus des télévisions du monde entier de diffuser ses films explosifs. À 86 ans Peter Watkins vit aujourd'hui dans la Creuse. C'est à Montreuil qu'il avait tourné La Commune...
Depuis mon article du 13 janvier 2009 sur ce film exceptionnel, Doriane a édité plusieurs coffrets :
Coffret de 5 DVD avec La bombe, Culloden, La commune, Punishment Park, The Gladiators + les courts métrages The Diary Of An Unknown Soldier, Forgotten Faces et interview, 30€
Coffret de 5 DVD avec Edvard Munch, Privilège, Evening Land, Le libre penseur, 30€
Coffret de 5 DVD pour Le voyage en 19 épisodes soit 14h30, réquisitoire contre l'arme nucléaire, 30€


Il faut bien commencer par le début, la suite est un combat. J'ai eu du mal à choisir parmi les nombreux extraits sur YouTube de La Commune, le film que Peter Watkins a tourné en 2000 sur la révolution du printemps 1871 à Paris. Ce film exceptionnel par la manière de concevoir le cinéma, sur un évènement exceptionnel scandaleusement peu traité (La Nouvelle Babylone de Kosintsev et Trauberg également vivement conseillé, surtout avec la partition originale de Chostakovitch, une de ses plus belles, que j'ai eu la chance de voir avec l'ensemble Ars Nova) et escamoté par l'Éducation Nationale, dure plus de 6 heures sans que l'on s'ennuie une minute. Watkins nous plonge dans l'époque en tournant comme si l'action se passait aujourd'hui : caméra à l'épaule, une équipe de télévision filme et interviewe les protagonistes, communards, versaillais, parisiens en proie à leurs contradictions, les 200 acteurs ont presque tous choisi le rôle qu'ils souhaitaient incarner, des journaux télévisés de la chaîne versaillaise déversent la propagande du criminel Thiers, les conversations débordent sur des préoccupations contemporaines, le jeu des acteurs qui ne se privent d'aucun regard vers la caméra donne un ton d'actualité vécue à une reconstitution brechtienne des deux mois d'effervescence, espoir et horreur, qu'ont connu les Parisiens et dont l'analyse révèlera Karl Marx au grand public.


Si vous voulez apprendre ce que fut La Commune de Paris, si vous voulez comprendre les enjeux politiques et sociaux de notre vie aujourd'hui, si vous voulez découvrir un cinéma radicalement différent de tout ce que vous avez jamais vu (hormis les autres films tout aussi remarquables de Watkins, tels La bombe ou Punishment Park), achetez le double DVD édité par Doriane chez qui on trouvera également les autres films de Peter Watkins comme Edvard Munch ou Le libre penseur sur August Strindberg. Absolument indispensable à quiconque s'intéresse au cinéma et surtout à quiconque rêve encore de changer le monde...

jeudi 4 novembre 2021

Ambivalence d'André Malraux


Le mystère Malraux [était paru en DVD en janvier 2009] aux éditions Montparnasse, accompagné d'un extrait télévisé de quatre minutes du discours à Jean Moulin, modèle du genre, en complément de programme. Le film réalisé par René-Jean Bouyer est le récit d'un aventurier qui a su garder secrète sa vie personnelle pour se fabriquer une légende. Ses intimes ont du mal à soulever le voile tant le mystère leur est toujours resté opaque. L'histoire est aussi excitante et mystérieuse, toutes proportions gardées, que celles d'un Henry de Monfreid ou d'un Jacques Vergès. Orgueilleux, mythomane, exalté, remarquablement intelligent, son ambition répond à ses origines modestes et à son absence de diplômes. S'il s'invente un rôle de commissaire politique en Chine ou se proclame colonel dans la Résistance, André Malraux n'en aura pas moins été écrivain, pilleur d'œuvres d'art à Angkor, journaliste anticolonialiste, chef de l'escadrille España pour la République espagnole, cinéaste, résistant et combattant, Ministre des Affaires Culturelles gaulliste (on lui doit les Maisons de la Culture) après avoir été trotskyste dans ses jeunes années. Admirateur fervent du général de Gaulle et héros de la politique spectacle, son ambition eut raison de ses convictions... Les manuscrits exposés laissent entrevoir sa manière de composer ses livres, montés comme au cinéma. Il se passionne pour l'art, probablement afin de conjurer la mort qui l'entoure. Ses deux frères disparaissent pendant la guerre, l'un fusillé, l'autre torturé et déporté, deux de ses fils se tuent en automobile, leur mère est broyée par un train, Louise de Vilmorin meurt alors qu'il vient de la retrouver... Si les femmes tiennent une place importante dans sa vie, il dit ne jamais avoir connu l'amour. C'est un être analytique et calculateur, mal dans sa peau, trop préoccupé par son image. Le film, narré sobrement par Edouard Baer, mêle habilement les documents d'archives, les reconstitutions rappelant Errol Morris (gros plans, vues de dos ou lointaines) et les témoignages. Pour la première fois, s'expriment sa veuve Madeleine Malraux, son fils Alain Malraux, Sophie de Vilmorin, son psychiatre le Dr Bertagna, la famille de Josette Clotis, son grand amour disparu dans un accident ferroviaire... Atteint du syndrome de La Tourette, il sombrera dans l'alcoolisme et la dépression, alors qu'on lui attribuait une dépendance à l'opium. Si le film ne s'attarde pas sur son retournement de veste, il n'a rien d'une hagiographie et son aventure fait partie des grands mythes du XXème siècle. On aurait pourtant apprécié un peu plus de psychologie, car entre les lignes se devine l'histoire d'une traîtrise, celle de ses origines sociales pour commencer.

Article du 12 décembre 2008

mercredi 3 novembre 2021

Le relief de l'invisible


Avant ou après cet article du 10 décembre 2008, rien n'a changé. Avant, l'Histoire, la préhistoire, le cryptozoïque, le phanérozoïque, le paléozïque, le mésozoïque, le cénozoïque, le tertiaire, la protohistoire, l'Antiquité, le Moyen Âge, etc. jusqu'à l'anthropocène. Mais c'est toujours la même histoire. Une crotte de nez au milieu de l'univers, et nous, les Hommes, poussières d'étoiles, si petits qu'on ne peut nous voir d'ailleurs, si éphémères que la vie s'éteint à peine a-t-elle commencé. Construire, détruire. Au delà, la matière. Un trou noir. L'arrogance. Un bras de fer avec la nature. Il suffirait d'une comète, gros caillou mal placé. Au lieu de cela, on fait monter la température. La planète a la fièvre. Ça va cramer. L'absurde règne en maîtres. On n'avait rien trouvé de pire que le capitalisme. Violence. Toujours. Pour quoi ? Comme si le bonheur pouvait s'acheter... La souffrance se moque des systèmes de repères. Déjà enfant, j'avais mal à l'homme. Partagé entre bon débarras et préservation de l'espèce. Les enfants continueront de jouer comme si de rien. Un temps. Un temps pour tout. Plus de temps du tout. Le cosmos est si minuscule au milieu de l'univers. Lignes dérisoires. Qui n'y changeront rien. Parce que c'est toujours la même histoire. Et pourtant. Pourtant nous rêvons, nous aimons, nous espérons, nous nous agitons, surprenons, ébahissons devant ce qui est grand parce que rien de petit n'existe. C'est loin ou proche. C'est tout.

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[Je me souviens] de la série réalisée par Pierre Oscar Lévy, Gabriel Turkieh et Jean-Michel Sanchez. Chaque film est construit de la même manière, longue plongée avant depuis l'objet à distance de l'œil jusqu'à pénétrer au plus profond de la matière et whiiiiiit ! On revient en arrière vitesse grand V en repassant par toutes les étapes du grossissement. Une aile de papillon, la peau de notre main, la carapace d'un crabe, un engrenage en acier, un cheveu, une dent, une fleur, un pou, un champignon, une mouche, du béton, de l'alu, du plastique, du maïs, etc., l'inventaire tient du poème lorsque se découvrent des paysages à couper le souffle. Cela me rappelle un court métrage qui fonctionnait aussi dans l'autre sens, nous faisant reculer dans les étoiles. Nous prendrions-nous pour Stephen Hawking à tenter d'unifier relativité générale et théorie des quanta ? L'exercice est séduisant. Ici la danse des atomes à portée de vue, en passant par tous les intermédiaires, toutes les échelles de grossissement, dans un mouvement fluide et ininterrompu, sans interpolation. Le rêve devient vérité, puisque c'est ce qu'on voit ! On voit tout. Du moins tout ce que caméras à haute définition et microscopes électroniques nous permettent de regarder en l'état. La "réalité" plonge dans l'inimaginable. Les 22 films, réunis en DVD sous le titre Le relief de l'invisible (Idéale Audience), montrent l'unicité et la diversité de la matière, à nous en donner le vertige. Quoi de mieux ?