70 Cinéma & DVD - juin 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 23 juin 2022

Skidoo, quand Preminger s'initie au LSD


Otto Preminger n'est pourtant pas un rigolo. Ses origines juives, ukrainiennes à l'époque de l'Empire austro-hongrois, ne lui ont pas donné un humour à la Lubitsch ou Billy Wilder. Ancien élève de Max Reinhardt, après avoir émigré aux États-Unis il acquerra la célébrité avec le mythique Laura et continuera avec Carmen Jones, L'homme au bras d'or, Sainte Jeanne, Bonjour Tristesse, Porgy and Bess, Autopsie d'un meurtre, Exodus, Tempête sur Washington, Le cardinal... des films de virtuose avec des sujets comme le viol, l'homosexualité ou la drogue qui lui valent souvent des ennuis avec la censure. En 1968, le trip de LSD qu'Otto Preminger s'avale à 64 ans en présence de Timothy Leary lui donne l'idée de Skidoo, une comédie complètement déjantée anticipant les élucubrations de John Waters. Le film ne ressemble en fait à rien de connu, ovni absolu qui fera un flop total tant auprès des "adultes" qui ne connaissent rien à la drogue que des "hippies" gentiment caricaturés. Deux mondes se rencontrent sans se comprendre.


L'humour et la vision très personnelle de Preminger sont le fruit de son indépendance. Avec ses outrances burlesques et ses provocations tous azimuts, le film réfléchit pourtant remarquablement l'époque. C'est même probablement la meilleure représentation d'un trip d'acide qu'il m'ait été donné de consommer, aussi loin que ma mémoire puisse remonter. On raconte que Groucho Marx goûta également un buvard pour savoir comment jouer son rôle, le dernier de sa carrière, Dieu, patron de la mafia ! Mickey Rooney et Jackie Gleason sont parfaits, Carol Channing rappelle Mae West ou Delphine Seyrig dans Mister Freedom réalisé par William Klein l'année suivante. Les effets vidéo anticipent de trois ans 200 Motels, le chef d'œuvre de Frank Zappa. La question fondamentale à se poser avec Skidoo est celle de la nécessité ou pas de se mettre au diapason du film avec quelque expédient pour en apprécier au mieux son comique d'absurde.
Lors de la publication de cet article, le 12 janvier 2010, j'avais remplacé la scène du trip au LSD effacée de YouTube par l'étonnante bande-annonce présentée par Timothy Leary, Sammy Davis Jr, Groucho Marx... avec tout le générique chanté, et non des moindres ! J'avais retrouvée la scène en juin 2022, mais un nouveau délateur l'a encore fait supprimer...
On trouve pourtant le film intégral (avant effacement certainement)...

lundi 13 juin 2022

Les enquêtes du département V


Découvrant L'effet papillon (Marco effekten), cinquième opus cinématographique des enquêtes du département V, adaptations des polars du Danois Jussi Adler-Olsen, j'ai vu ou revu les quatre précédents. Si Miséricorde (Kvinden i buret, 2015), Profanation (Fasandræberne, 2015), Délivrance (Flaskepost fra P, 2016) et Dossier 64 (Journal 64, 2019) ont été scénarisés par Nikolaj Arcel, scénariste du premier Millenium, le cinquième bénéficie d'une toute nouvelle équipe, y compris les rôles principaux de l'inspecteur Carl Mørck (Nikolaj Lie Kaas remplacé par Ulrich Thomsen), de ses assistants Assad (Fares Fares par Zaki Youssef) et Rose. Les réalisateurs étaient déjà différents, Mikkel Nørgaard signant les deux premiers, puis Hans Petter Moland, Christoffer Boe et Martin Zandvliet.
L'atmosphère glauque de ces thrillers rappelle la série télévisée Bron. La société sécrète évidemment des tordus violents, pervers très méchants, eux-mêmes souvent victimes reproduisant la violence qu'ils ont subie pour arriver à la supporter. Si les cinq films bénéficient d'un beau travail plastique (lumière et cadre), d'un rythme haletant, d'un suspense prenant, les deux derniers ont l'avantage d'être plus politiques. Dossier 64 eut un succès considérable au Danemark, se référant directement à la stérilisation contrainte de 11 000 femmes et à l'île de Sprogø où nombreuses furent internées et maltraitées de 1922 à 1961. Il s'agissait évidemment de femmes issues de milieux sociaux défavorisés, considérées comme débiles ou asociales, l'eugénisme ciblant les femmes enceintes sans être mariées et/ou transgressant "les bonnes mœurs".
Je ne peux m'empêcher de faire un rapprochement avec le documentaire Our Father de Lucie Jourdan sorti récemment, l'histoire d'un autre médecin fou qui a inséminé secrètement une centaine de femmes avec son propre sperme à Indianapolis, des blonds et blondes aux yeux bleus comme lui, un autre délire raciste.


L'effet papillon s'intéresse aux migrants sans abris et, comme souvent dans les livres d'Adler-Olsen, à la maltraitance des enfants, cibles de tueurs diaboliques. Que ce soit pour les huit romans (de nouveaux films en perspective !) ou les films, on comprend que les traducteurs français n'aient pas conservé le titre original danois Afdeling Q !
Le Danemark, pays aux idées plutôt larges, n'échappe pas au racisme et à la politique anti-migratoire. C'est d'ailleurs là que furent publiées à l'origine les caricatures de Mahomet. C'est pourtant la mixité ethnique qui fait la richesse culturelle d'un pays, même si dans un premier temps les nouveaux arrivants lui fournissent chaque fois une main d'œuvre à bon marché, exploitable à merci. Dans un avenir proche, le dérèglement climatique risque d'accélérer les tensions et les exactions des protectionnistes qui préfèrent oublier leur propre histoire.

L'effet papillon, Wild Side Video, DVD 14,99€ / Blu-ray 19,99€
→ Coffret les 5 Enquêtes du Dpt V, Wild Side Video, 5 DVD 34,99€ / 4 Blu-ray – 39,99€
→ Lucie Jourdan, Our Father, sur Netflix