70 Cinéma & DVD - juin 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 13 juin 2023

Johnnie To


Tourné en 1993, Heroic Trio n'est pas seulement un feu d'artifices chorégraphiques de Johnnie To, c'est une comédie noire totalement loufoque, mêlant le genre super-héros caricatural hollywoodien avec le wu-xia acrobatique typique du cinéma hongkongais. Il surfe sur la vague des deux premiers Batman de Tim Burton tout en faisant des allusions au retour prochain de Hong-Kong dans la république populaire de Chine. La cruauté est poussée à un tel paroxysme que cela en devient drôle, comme lorsque Samuel Fuller s'empare des paysages d'Épinal pour situer ses scènes de crime. Heroic Trio est aussi un film, d'une certaine manière, féministe. Les trois héroïnes interprétées par les trois étoiles Michelle Yeoh (Everything Everywhere All at Once), Maggie Cheung (In the Mood for Love) et Anita Mui (Rouge), sont des "girls with guns". Elles n'en sont pas moins épouse ou mère. Les rôles tenus par des acteurs masculins sont pitoyables, eunuque paranoïaque, brute décervelée, victimes fragiles ! Le trio unira ses forces pour libérer les 18 bébés enlevés par un dément qui veut redonner son empereur à la Chine. Cette ambition délirante rappelle le fantasme de la Grande Russie tsariste véhiculée par exemple par Poutine...
Executioners, présenté comme la suite, n'a en fait rien à voir si ce n'est les retrouvailles des trois héroïnes et le désir de puissance et de contrôle d'un dictateur fou. Dans un univers apocalyptique post-nucléaire, l'eau est le nerf de la répression et de la révolte. Là où le précédent était un film comique, celui-ci ressemble à un drame politique, même si les scènes d'action justifient ces deux réalisations. Executioners est cosigné par le chorégraphe Ching Siu-tung qui doit faire voler les acteurs au bout de câbles sans qu'on les voit, puisqu'ils n'ont pas alors les moyens de les effacer en post-prod. En bonus avec des conversations entre Fabien Mauro et Marvin Montes, l'entretien avec le chef opérateur Poon Hang-sang est passionnant. J'avoue avoir bien rigolé et passé une excellente soirée en m'enquillant les deux films coup sur coup !

→ Johnnie To, Heroic Trio / Executioners, 2 Blu-Ray ou 4K Carlotta, 35€, sortie le 20 juin 2023

mardi 6 juin 2023

Taking Off de Milos Forman


Je n'avais qu'un vague souvenir de Taking Off sorti en 1971 à une époque où je portais les cheveux longs, un pantalon pattes d'eph et un collier au-dessus de ma tunique indienne. En septembre de cette année-là j'entrai à l'Idhec en racontant au jury que mes films préférés étaient Easy Rider de Dennis Hopper et Solo de Jean-Pierre Mocky, Peace and Love d'un côté, mai 68 de l'autre ! Ma scolarité élargit heureusement mon champ de vision.
Le costard que Milos Forman taille aux parents coincés qui rêvent de ce dont sont capables leurs enfants fugueurs était évident. Mais ai-je alors perçu le regard tendre et acide que le réalisateur portait aux jeunes hippies ? Filmés frontalement lors d'une audition ravageuse et livrés aux contradictions rendues inévitables lors du passage à l'âge adulte, ils sont l'objet d'une critique sociale qui ne quittera jamais le cinéaste. Il abordera un sujet proche avec Hair, plus grinçant que la comédie musicale dont le film est tiré. Dans Taking Off la scène de leçon de fumette entre adultes est un morceau d'anthologie et le clin d'œil au Black Power montre que Forman était conscient du contexte politique, ayant été lui-même témoin, avec son co-scénariste Jean-Claude Carrière, tant des émeutes anti-guerre du Vietnam que des évènements de mai et du Printemps de Prague. Les trouvailles, souvent drôles, inspirées par la nouvelle vague ou propres au cinéma tchécoslovaque, comme son goût pour l'hystérie, ne disparaîtront jamais de sa filmographie, véritable vol au-dessus d'un nid de coucou.


Taking Off était son premier film sur le sol américain et une de ses meilleures comédies. Les suppléments du DVD avec Carrière et lui sont, comme toujours chez l'éditeur Carlotta [épuisé depuis cet article du 14 mars 2011, aujourd'hui réédité par ESC Editions], passionnants.

jeudi 1 juin 2023

Yobi le renard à 5 queues


Face au conformisme généralisé du cinéma contemporain, l'imagination des cinéastes d'animation nous offre une bouffée de fantaisie salvatrice. Le réalisateur sud-coréen Lee Sung-Gang fait partie de ces équilibristes allumés tels le Japonais Hayaho Miyazaki qui ravissent tant les grands que les petits. Yobi le renard à 5 queues s'inspire d'une légende coréenne où se croisent une bande d'aliens poilus qui portent des couches métalliques, un jeune garçon romantique, une ombre mystérieuse, un chasseur féroce, et surtout un petit animal capable de se transformer en n'importe quelle autre créature, y compris une petite fille ou sa maman.

Agnostique, la réincarnation ou le shapeshifting me sont étrangers, mais comme rien ne se perd rien ne se crée, j'imagine qu'à ma mort mes atomes se recomposeront sous d'autres formes vivantes, végétales, minérales, voire animales ! Cette pensée me permet de discuter avec les camarades qui sont persuadé/e/s d'avoir plusieurs vies ;-)


Le scénario merveilleusement abracadabrant laisse la place à l'imagination des spectateurs tout en défendant, à la fois, le droit à la différence et la nécessité d'être soi. Le thème de la tolérance est un classique de ce genre de cinéma, du Géant de fer au Voyage de Chihiro, la ville mettant ici en péril la forêt et ses hôtes. Les inventions graphiques découlent naturellement des nombreux rebondissements scénaristiques et l'on retrouve le rêve, composante indispensable à l'appréhension de la réalité. Dans un style très différent, Lee Sung-Gang avait reçu le Premier Prix du Festival d'Annecy en 2002 pour Mari Iyagi, également publié en DVD par les Éditions Montparnasse à l'époque de cet article du 2 mars 2011.