La visite de l'extraordinaire rétrospective de Jean-Michel Basquiat au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (jusqu'au 30 janvier 2011) m'a donné envie d'en savoir plus sur ce génie précoce, foudroyé à 27 ans, qui laissa 1000 tableaux et 1000 dessins derrière lui. Ξ Le somptueux catalogue me permet d'abord de revenir sur ce que je viens de voir, déambulation chronologique d'une ampleur exceptionnelle où chaque œuvre exprime la rage de vivre d'un adolescent qui brûla la chandelle par les deux bouts. Le conte de fées dura huit ans, autant que la carrière discographique des Beatles, mais deux fois plus longtemps que celle de Jimi Hendrix ! Tout est allé très vite := le speedball est un mélange d'héroïne et de cocaïne. Le succès a grillé le peintre, lui donnant les moyens de se détruire alors qu'il construisait son propre mythe. Overdose. Dans la vie d'un artiste les deux plus grands dangers sont l'échec et le succès. Le premier rend amer, le second fige le modèle et peut être fatal s'il arrive trop tôt. Ω L'évidence saute aux yeux, du moindre graffiti des débuts de celui qui signait SAMO© (SAMe Old Shit) avec son ami Al Diaz jusqu'aux toiles composées avec un autre ami nommé Andy Warhol dont la mort en 1987 l'affligea, un an et demi avant la sienne. Où qu'il peigne, quel que soit le matériau, les signes poussent comme des champignons magiques. Tout ce qu'il touche se transforme en or à l'image de la couronne qu'il s'est rêvée enfant.


J'ai commencé par Basquiat, le biopic de 1996 de Julian Schnabel. Ce genre produit souvent le pire, mais le réalisateur intègre des séquences expérimentales qui recadrent le sujet dans son époque. Jeffrey Wright y incarne l'éternel gamin presque mieux que l'original et David Bowie fait très bien son Warhol ΘΘ Le caractère du peintre déborde sur ses créations.
J'ai enchaîné avec Jean-Michel Basquiat: The Radiant Child, un documentaire récent de Tamra Davis qui vient d'exhumer l'interview de 1986 qu'elle avait filmée et qui a rencontré nombreux de ceux et celles qui l'ont côtoyé. Les témoignages sont passionnants. Tout tient évidemment au fait que les tableaux explosent à la figure comme une bombe de farces et attrapes, sans que l'on sache d'abord ce qu'elle contient et qui reste, malgré tout, hermétique après s'être consumée. Les chefs d'œuvre ont la caractéristique de produire autant d'interprétations qu'il y a de spectateurs. Ҩ Les couleurs jaillissent, les revendications sont sibyllines, les signes se répètent et se multiplient, les références swinguent... Le jazz est partout, be-bop de Charlie Parker à l'heure où le rock est sur scène et dans les caves.
Justement, le troisième film est une plongée dans la musique qui se joue à Manhattan alors que Jean-Michel Basquiat, 19 ans, incarne son propre rôle à travers une suite de galères qu'il prend toujours à la légère, poète funambule dont le sourire irradie l'œuvre. La distribution musicale du mythique Downtown 81 signé Edo Bertoglio (qui ne sortira qu'en 2000 à l'occasion du Festival de Cannes) est exemplaire : Tuxedomoon, DNA avec Arto Lindsay et Ikue Mori, The Lounge Lizards avec John Lurie, Melle Mel avec Blondie, Chris Stein, The Felons, The Plastics, Kid Creole and The Coconuts, James White and The Blacks, Walter Steding & The Dragon People, Kenny Burrell, Lydia Lunch, Dillinger, The Specials, Suicide, Andy "Coati Mundi" Hernandez et Rammellzee (en collaboration avec Basquiat), Saul Williams (le narrateur) et Gray, le propre groupe de Vincent Gallo et Basquiat qui y joue de la clarinette.
L'ensemble dessine à la fois un portrait du jeune prodige, le plus célèbre des peintres noirs américains (d'origine haïtienne et portoricaine), et celui d'un New York bouillonnant des divers courants qui l'alimentent. Ӂ La peinture de Basquiat reflète ce foisonnement de cultures et d'influences recyclées au travers de la vision d'un jeune prophète en quête de (re)pères.