Pour l'exposition Le Mur, où Antoine de Galbert exposait plus de 1000 œuvres de sa collection sur 278 mètres linéaires de cimaises, La Maison Rouge a eu l'idée d'un catalogue de 250 pages qui se déploie en accordéon sur 20 mètres de papier. Le choix des œuvres étant dicté par la possibilité de les accrocher au mur, le leporello respecte plus ou moins leur format et leur organisation aléatoire. En effet leur répartition optimale fut calculée par un algorithme mathématique dit "méthode de Monte-Carlo". Préoccupation majeure des collectionneurs boulimiques ou même des artistes, comment montrer ses tableaux lorsqu'on en possède des centaines ou des milliers. L'empilement ou le chevauchement empêchent matériellement de les voir.
Ma tante, artiste peintre qui vivait dans un petit appartement rue Rosa Bonheur, stockait une partie de ses tableaux sur les murs de mes parents. Ce fut mon premier contact avec la peinture abstraite. Et en 1968 je suis entré pour la première de fois de ma vie chez des gens très riches qui possédaient des Renoir, Monet, Toulouse-Lautrec, Picasso et tant d'autres. Il y en avait sur les quatre murs du petit salon du sol au plafond. Chez moi ce sont plutôt les livres, les disques et les films qui occupent l'intégralité des étagères. J'ai décidé de ne plus de construire de rangement. Je dois en donner ou vendre un chaque fois que j'en acquiers un nouveau.


Comme lors de l'exposition de La Maison Rouge les photographies du catalogue (Ed. Fage) offrent autant de fenêtres sur l'art, ouvertures inattendues tant le collectionneur a l'esprit ouvert sur le monde. Depuis Les magiciens de la terre en 1989, le conservateur Jean-Hubert Martin a fait des émules qui se moquent aujourd'hui des frontières géographiques et jouent à saute-mouton avec les époques. La modernité de l'art contemporain est une vue de l'esprit. On peut toujours retrouver un ancien qui avait en son temps imaginer le futur. Les images s'affranchissent des cartels en offrant un parcours sensible où chacun dessine son chemin, attiré par les œuvres comme par un aimant. Puisque la peinture ne se fait pas avec les mains, mais avec les yeux, le visiteur à son tour compose et interprète selon des critères personnels que la scénographie libère avec élégance. Le Mur rappelle les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard : de l'accumulation émergent des objets connus qui font pour soi référence, alors le fil d'Ariane se déroule comme dans un rêve où nous plongeons vers l'inconnu. Dans ce jeu de l'oie chaque œuvre est une case qui vous mène à une autre.
En jouant avec le leporello du Mur, rapidement devenu un collector, je me demande pourquoi les catalogues obéissent pour la plupart à la même logique pédagogique, aussi poussive et élitiste, que les expositions ? Les plus beaux livres d'art ne sont-ils pas eux-mêmes des créations ? Existe-t-il plus belle porte que celle de la sensibilité, mélange de culture et de subjectivité, interprétation psychanalytique propre à chaque individu, loin des poncifs du discours sur l'art ? Si les catalogues devraient être à l'image des plus belles expositions, les applications pour smartphones, aujourd'hui incontournables, ne devraient-elles pas aussi jouer sur le sensible ? Ludiques, elles n'auraient que plus de force pour nous faire entrer dans ces mondes incroyables que les hommes et les femmes de l'art ont créés à force de réfléchir les leur(re)s, apprivoisant, repoussant, adorant, traduisant, détruisant, recréant, répétant, et ce tant bien que mal, avec souvent la gaucherie propre aux chefs d'œuvre...