Lorsque le graphiste et affichiste Michel Bouvet, commissaire de l'exposition Pop Music 1967-2017 à la Cité Internationale des Arts avec Blanche Alméras, était adolescent, en France nous appelions pop music ce que l'on nomme aujourd'hui le rock. Étymologiquement, pop signifie populaire, et pour un Américain, la pop music c'est plutôt les variétés. Les traductions sont souvent des trahisons, mais c'est ainsi. Ici nous étions pop.
Comme le jazz après la Première Guerre Mondiale, le rock'n roll allait envahir le monde après la seconde, et la pop s'installerait définitivement comme le courant populaire majeur du XXe siècle avec l'engouement pour les britanniques Beatles et Rolling Stones, puis outre-Atlantique avec le Summer of Love de 1967 sur la côte ouest des États Unis, le long du Pacifique. Peace and Love allaient devenir nos nouveaux mots d'ordre après ceux, plus mordants, du mois de mai à Paris. L'été ensoleillé était donc au Flower Power, et les graines que j'avais rapportées de San Francisco donnèrent naissance sur mon balcon à des plantes qui font rire. J'ai raconté ce voyage initiatique dans mon roman augmenté USA 1968 deux enfants. J'avais 15 ans et ma petite sœur 13, et pendant trois mois nous avons fait seuls le tour des États Unis, une aventure incroyable. J'avais ainsi assisté aux concerts du Grateful Dead, Kaleidoscope et It's A Beautiful Day au Fillmore West, et les affiches collectées sur place avaient longtemps orné les murs de ma chambre, éclairées la nuit à la lumière noire.


Mon cousin Michel (nos grand-pères étaient frères) a gardé ses cheveux longs alors que j'ai coupé les miens en 1981. Jusqu'à cette année-là je n'avais rencontré pratiquement personne à Paris qui portait comme moi le catogan touffu. Je suis passé par les mocassins indiens, les bottes de cow-boy, les sabots et les sandales, les pattes d'ef et les tuniques à fleurs, les colliers avec signe de la paix ou le A d'anarchie, des pantalons de clown et des sarouels, et parfumé au santal mystique (santal+citron). Mes experiences suivaient l'adage de Henri Michaux "Nous ne sommes pas un siècle à paradis, mais un siècle à savoir" et je n'ai jamais renié mes idées libertaires et collectivistes. Michel est passé de la musique au graphisme et moi du cinéma à la musique. Je me suis toujours intéressé au rôle de la musique face aux images tandis que mon cousin s'interrogeait sans cesse sur le pouvoir des images sur la musique. Destin croisé de deux outsiders dans une famille de littéraires qui se retrouvèrent aux Rencontres d'Arles de la Photographie, lui en charge de toute l'identité visuelle et moi comme directeur musical des Soirées ! Je suis allé à son exposition, produite par le Centre du graphisme d'Échirolles, vêtu de mille couleurs ; il était tout en blanc, tranchant avec le noir de rigueur des graphistes et des architectes. Autour de lui étaient accrochées 1300 pochettes de disques, quantité de photographies et d'affiches plus pop les unes que les autres.


Chacun, chacune ne peut s'empêcher de reconnaître sa discothèque, et découvrir les disques qui nous avaient échappé. J'admire celles du Dead de Gary Houston et au dernier étage j'écoute la version inédite de vingt minutes de Light My Fire par les Doors qu'Elliott Landy a accompagnée d'improvisations vidéo filées sur les toiles du Musée d'Orsay. Son portrait de Bob Dylan orne la couverture du célèbre album Nashville Skyline de 1969. Dans le catalogue de l'exposition publié par les Éditions du Limonaire on retrouve les textes des cartels qui rappellent l'historique de chaque artiste, comme un petit dictionnaire de 50 ans de musique plutôt électrique. Petit dictionnaire de tout de même 400 pages, un pavé où sont reproduites également les photographies de Renaud Montfourny et Mathieu Foucher ainsi que les travaux graphiques de Form Studio, Jean-Paul Goude, LSD STU DI O Laurence Stevens, Malcolm Garrett, StormStudios, Stylorouge, Vaughan Oliver, Big Active, INTRO Julian House, Laurent Fétis, M/M (Paris), Andersen M Studio, Matthew Cooper, The DESIGNERS REPUBLIC, Hingston Studio, Zip Design... N'allez pas croire non plus que la pop s'est arrêtée aux USA, à la Grande-Bretagne et à la France ; l'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Australie, la Belgique, le Canada, la Colombie, le Danemark, la Grèce, l'Irlande, l'Islande, la Suède, la Turquie sont représentés. Rien d'étonnant dans cette Cité Internationale des Arts qui rassemble une centaine de nationalités parmi ses 288 résidents... L'exposition se termine d'ailleurs en s'ouvrant aux travaux des étudiants de Penninghen où Michel Bouvet enseigne, variations sur le titre "Pop Music".


Il est évident que certaines des pochettes exposées sont de véritables œuvres d'art, fussent-elles devenues objets manufacturés par la magie de la reproduction mécanique. Les artistes n'ont pas toujours conscience de l'importance de l'image qui accompagne leur musique, mais nombreux ont cherché l'adéquation ou du moins l'accroche graphique qui donne envie d'écouter ce que l'on ne connaît pas encore. Je me souviens avoir acheté à leur sortie le premier Silver Apples, In-A-Gadda-Da-Vida d'Iron Butterfly, Strictly Personal de Captain Beefheart, Electric Storm de White Noise, le Moondog chez CBS, The Academy In Peril de John Cale, uniquement sur leur pochette. Comme souvent lorsque les expositions sont très denses j'y replonge par le biais du catalogue, confortablement allongé sur mon divan...

Pop Music, 1967-2017, Graphisme et musique, exposition à la Cité Internationale des Arts, 18 rue de l'Hôtel-de-Ville, 75004 Paris, du mardi au dimanche (14h-19h) jusqu'au 13 juillet 2018, entrée gratuite
→ catalogue de l'exposition, Ed. du Limonaire, 29€