J'ai raté Grand Bazar au Château d'Oiron. Le dernier jour de l'exposition était dimanche. Je ne savais pas que Jean-Hubert Martin, mon commissaire de prédilection, avait choisi les œuvres dans la collection Antoine de Galbert. J'avais eu la joie de composer la musique de Carambolages au Grand Palais à sa demande. Quant au collectionneur et mécène Antoine de Galbert, c'est un grand vide à Paris depuis qu'il a fermé La Maison Rouge pour retourner à Grenoble. Oiron est une ancienne commune du centre-ouest de la France située dans le département des Deux-Sèvres en région Nouvelle-Aquitaine. J'aurais dû l'inscrire dans mon périple estival, mais j'ignorais que cela avait commencé fin juin, et c'est déjà fini. Jean-Hubert Martin avait d'ailleurs marqué le lieu en réalisant Curios & Mirabilia en 1993, la collection permanente d'œuvres contemporaines dialoguant avec le style XVIe siècle du château en s'inspirant des cabinets de curiosités. Celle-ci, on pourra toujours la voir. J'ai commandé le catalogue du Grand Bazar, il ne me restait plus que cela à faire. J'avais évidemment celui du Château d'Oiron et de son cabinet de curiosités publié en 2000. C'est allongé sur mon divan que je fais ou refais les visites. Chacun peut ainsi se faire son cinéma. Je repense aussi à la clôture de La Maison Rouge à laquelle nous avions participé avec le violoncelliste Vincent Segal et le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang sur des images de l'artiste mexicaine Daniela Franco pour Face B, ou à la visite en musique de Vinyl, disques et pochettes d'artistes avec Vincent... Grand Bazar, c'est Istambul, mais c'est aussi le duo d'Antonin avec Ève Risser que j'avais filmé en 2012 !


Le catalogue de ce Grand Bazar présente donc plus de 170 œuvres de la collection Antoine de Galbert installées pour dialoguer avec la collection permanente d'art contemporain Curios & Mirabilia rassemblée en 1993 par Jean-Hubert Martin qui elle-même dialoguait avec la fabuleuse collection de Claude Gouffier, grand écuyer d’Henri II, et la galerie de peintures murales Renaissance dans le style de l’École de Fontainebleau, boiseries peintes et sculptées du XVIIe siècle. L'histoire n'est jamais terminée. Jean-Hubert Martin adore plus que tout faire du montage, confronter les œuvres les unes aux autres, parce qu'elles se parlent à travers les siècles et les continents. La notion de plaisir dans les expositions muséographiques est trop souvent négligée au profit de la pédagogie et de la chronologie. J.-H. Martin est un homme de spectacle, un provocateur facétieux, un chercheur sensible, une sorte de nouveau baroque. Ainsi La petite danseuse de Gilles Barbier ne quitte pas des yeux Le Solitaire de Théo Mercier. Des reliquaires du XVIIe et XVIIIe siècles côtoient Dr Faustus Table and Chair de Bob Wilson dans la salle des Faïences tandis qu'ailleurs Teddy II de Bertrand Lavier et Le nounours crucifié d'Annette Messager ont l'impertinence de Hammer & Sickle with Fur de Léonid Sokov ou Triptychos Post Historicus ou La Dernière Bataille de Paolo Ucello de Braco Dimitrijevic dans la salle des Jacqueries. Kruis, le crucifix d'insectes de Jan Fabre, n'a rien à envier à celui en os du début du XXe siècle, à celui en têtes de mort d'Asie du Sud-est du XIXe ou au calvaire du marinier de la fin du XVIIe. Quelle chance eurent les visiteurs de découvrir ou revoir les petits diamants mandarins de Céleste Boursier-Mougenot dans From here to ear jouer de la guitare électrique ou des cymbales lorsqu'ils picorent leur grain ! Sur la photo (les deux pages en haut de l'article) on aperçoit également Silhouette et Si/No de Markus Raetz. Dans la salle or et bleue du Roi (photo ci-dessus) un pavé écrase un lingot d'or (Rencontre de Stéphane Thidet) et une liasse de billets traverse en boucle un sac Vuitton (Pickpocket's Trainer de Javier Téllez). Des trophées de Christophe Touzot (Crash Test), Benoit Huot (Tête de taureau, Shaman à tête de cerf, Nativité) et Nicolas Darrot (C3P0, un de mes artistes favoris dont étaient également exposés Méduses, Faim de tigre, Injonction 1) ornent la salle d'Armes parmi les Corps en morceaux de Daniel Spoerri. Ce ne sont que quelques exemples.


Jean-Hubert Martin aime les listes dont il joue comme des rimes. Il a choisi de regrouper certaines œuvres par thèmes : L'œil, Le visage théâtre d'expression, Monstres, Victimes et blessures, Les petits monstres, Lilliput, Nature morte. Les images sont souvent brutales, parfois comiques, toujours évocatrices de notre monde, de ses lumières, de ses ombres, de ses illusions. L'art lève la peau, exhume les squelettes, dévoile les secrets. Dans l'escalier Father Ape Squatting d'Enrique Marty rit sournoisement de celles et ceux qui grimpent vers l'inconnu. Au fur et à mesure que je feuillète, revenant en arrière, comparant moi-même certaines reproductions au fil des pages, je perds la tête. J'aime le vertige que procurent ces vues de l'esprit matérialisées par la geste humaine.