70 Humeurs & opinions - août 2006 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 31 août 2006

La fin du moi(s)


Le 31 août marque la fin des vacances. Les années sont étonnamment restées scolaires. En septembre, l'intermittent se tient prêt à découvrir son nouveau métier comme l'élève guette la tronche de ses profs au détour du couloir. Que signifie la rentrée pour le blogueur insatiable ? 15 heures par jour, 7 jours sur 7, 365 jours par an, l'artiste muse et bosse sans faillir, remettant cent fois le travail sur la table, les sens en éveil, les yeux brûlés par l'impossible point, à l'écoute d'un mistral qui s'est tu dans la nuit, enfin. L'homme le sait trop bien, tout cela recommencera. Il n'y a que le vide pour l'aspirer, le vertige de l'inconnu fait le reste. La spirale ascendante ouvre sur une petite porte. Sans trucage. Comme par magie. Le lapin blanc scande pourtant "en retard, en retard...". Ses rêves s'évaporent au fur et à mesure qu'il s'en approche. Cette course vaine, enivrante et terrible, occupe à jamais ses nuits sans sommeil, et le jour venu, il ne sera plus là pour entendre ces derniers mots : "Ici repose..."

dimanche 20 août 2006

Le goût de défaire


357. Voix off. À détruire, le goût de la destruction vous vient pour la seule destruction. Avant même qu'on soit ivre de vin, car il n'y a pas que cette ivresse.
358. Ils couchent le tonneau sur une table,
ils vont tirer le vin au robinet.
359. Mais ça ne va pas assez vite ;
ils mettent le tonneau debout,
ils le défoncent.
360. Ils puisent dedans.
Voix off. On voit qu'il y a un plaisir plus grand que de boire.
361 à 367. Les tableaux qui sont aux murs,
le vaisselier garni de verres,
les chopines alignées,
les bouteilles de liqueurs,
la machine à tirer la bière,
les vitres,
les chaises,
les bancs,
tout y passe.
Voix off. Et il y a de même un travail plus beau que de faire, une plus belle espèce de travail : c'est de défaire. Ils n'étaient plus fatigués.
368/369. L'aubergiste, qui avait été attaché, puis poussé dans un coin,
se trouve s'être débarrassé de ses cordes.
Il se jette sur ceux qui sont le plus près de lui (P.L.)
Une bouteille se brise sur son crâne (G.P.)
Voix off. Alors aussi on a connu qu'il y a encore plus de plaisir dans une autre espèce de destruction : quand ils virent couler le sang.

Hier à la plage, je repensais à cet extrait de L'Astre, scénario d'un long-métrage que j'ai écrit il y a dix ans d'après C.F.Ramuz. Un père à casquette faisait des pâtés avec le sable pour que son fils de deux ans puisse shooter dedans jusqu'à destruction totale. Et le père de refaire deux pâtés et de rappeler son fils à l'entraînement. Au delà du geste, ce qui me fit frissonner c'est le regard du père. Il ressemblait à celui que j'avais pu croiser aux check-points serbes en 1993.

samedi 5 août 2006

Où fait-il bon vivre ?


C'est étrange. Il me semble qu'être juif à Paris ou à New York est beaucoup moins dangereux que de vivre en Israël. Or, c'est sur cette paranoïa sécuritaire qu'est né l'état hébreu. La diaspora ressemble à un concept républicain plutôt sympathique où toutes les communautés s'interpénètrent, où les protectionnismes racistes se dissolvent dans la masse. Les mariages interraciaux ou interconfessionaux me semblent indiquer le degré d'évolution d'une société. Les nazis cherchaient à fabriquer une race pure, mais quel modèle ségrégationniste jalousaient-ils ? On comprendra que la religion est une de mes bêtes noires, quelle qu'elle soit.

La politique étatsunienne ressemble à un western. L'Amérique apporte civilisation et démocratie aux vilains sauvages avec force massacres et parquages dans des camps. Les enjeux sont évidemment économiques, appropriation des terres ou des minerais qu'elles recèlent. Cette politique, explicite depuis le canal de Panama il y a un siècle, s'est construite sur le génocide indien et ne pourra jamais changer sans que le colonialisme nord-américain ne reconnaisse ses crimes fondateurs.

L'image, kidnappée sur le site de Jerusalemonline, ne correspond pas à son interprétation en français, mais je n'ai pu résister à l'envie de la publier telle quelle ! Sur ce site, le discours d'Olmert montre cruellement la folie (auto)destructrice qui s'est emparée d'Israël.

mardi 1 août 2006

En Israël, le communautarisme a enseveli la réflexion politique


La Shoah ne peut éternellement excuser la politique d'Israël. Même si les Israéliens ne descendent pas tous des innombrables familles décimées par la barbarie nazie, rien ne justifie que les victimes deviennent bourreaux. Le passé des Juifs d'Afrique du Nord, par exemple, ne suffirait pas non plus à expliquer une politique colonialiste qui dure depuis près de soixante ans. L'holocauste est, sans aucun doute, le plus sinistre prétexte pour se livrer aux pires exactions contre un autre peuple sémite, les Palestiniens. Pendant des siècles, l'antisémitisme a fait les choux gras d'une Chrétienté dans la nécessité de s'affranchir de ses origines juives. La culpabilité de l'Occident le muselle : il s'est débarrassé de la question juive en fondant un état colonialiste et religieux sur les ruines d'un passé mythique. De quoi donner naissance à une sérieuse paranoïa ! Toute critique de la politique israélienne risque d'être taxée d'antisémitisme. C'est donc aux Juifs du monde entier de réagir et de condamner un état capitaliste et colonialiste, aussi suicidaire que meurtrier.
Le pouvoir, assumant sa paranoïa, galvanisant son peuple, n'a plus aucun recul sur les crimes qu'il commet. L'escalade semble interminable. Qu'est-il arrivé aux Juifs pour qu'ils oublient d'où ils viennent ? J'écris "d'où ils viennent" et non "par où ils sont passés". L'histoire nous appartient, pas la géographie. C'est bien de culture qu'il s'agit, et de morale... On ne naît pas juste, ce n'est pas inné, on ne le reste pas à vie, c'est un travail, un combat sur soi, contre l'horreur, et la honte qu'à terme elle ne manquera pas de générer.
Les juifs de la diaspora doivent s'interroger : est-il juste de chasser de leurs terres ceux qui y vivent depuis des siècles ? Est-il juste de ne pas respecter les ordonnances des Nations Unies sous prétexte que le pays le plus puissant de la planète vous soutient ? D'affamer des populations ? D'attaquer un pays qui n'est pas en guerre (comme l'histoire se répète !) ? Est-il juste d'ériger un mur pour parquer des innocents (cela rappelle d'autres ghettos) ? D'assassiner des centaines de civils sous le prétexte de deux enlèvements (cette fois, cela ressemble à des otages civils fusillés) ? Ma tristesse et ma colère sont si grandes que la liste pourrait ne jamais s'épuiser. Est-ce une déviance freudienne de conjurer le martyre que l'on a subi, à l'image de ces violeurs d'enfants qui se révèlent avoir été eux-mêmes abusés lorsqu'ils étaient petits ? Il doit bien y avoir une explication à tant d'obscurantisme et de cruauté...
Les Israéliens répondent que les "terroristes" se font sauter en assassinant des enfants, qu'avoir un cousin mort dans ces conditions est inacceptable... Mais les Palestiniens rétorquent que leurs enfants meurent sous les bombes et qu'avoir un cousin mort dans ces conditions est inacceptable... Et les Chrétiens libanais surenchérissent qu'avoir un cousin mort etc. Tous les crimes trouveront leur justification, parce que chacun est meurtri dans sa chair. On pourra s'entretuer jusqu'au dernier. Les guerres ont pourtant une fin : combien faudra-t-il de morts encore cette fois pour apaiser leurs dieux ? Jusqu'à quelle catastrophe devra-t-on courir pour que la machine de mort s'enraye enfin ?
Nous pourrions nous en tenir à la morale, invoquer la tolérance, rappeler que les Juifs ont traversé l'histoire sans jamais manier le bâton, cela devrait suffire à stopper la folie paranoïaque d'un peuple qui a perdu tous ses repères philosophiques et culturels. Mais ce qui doit être, avant tout, condamné, c'est une politique. Sur le modèle des États Unis, Israël pratique impunément un colonialisme des plus abjects, inique et suicidaire, et ses guerres sont simplement et cyniquement impérialistes. Il ne faut pas non plus confondre la longue et vénérable histoire des Juifs et la courte et monstrueuse histoire d'Israël. Ne soyons pas complices ! Tant d'iniquité ne peut que donner naissance à des générations d'opprimés, élevés sous l'occupation et les brimades quotidiennes, ne pouvant retrouver leur dignité que dans la révolte. Même si tout a commencé avec la création de l'état sioniste, on ne peut revenir en arrière. Alors, il ne suffira pas aux Israéliens de négocier, ils devront s'affranchir de la tutelle américaine qui les pousse au massacre. Certes, leur économie n'y résistera pas, aussi devront-ils trouver un nouvel équilibre avec tous les peuples qui les entourent. Ils devront probablement constituer un état laïque. Et les pays arabes ne pourront être en reste. C'est à ce seul prix que le Proche Orient peut envisager une paix durable, un avenir.
Répétons-le, les intérêts d'Israël ne sont pas les mêmes que ceux des USA. Le gouvernement américain manipule les Israéliens comme les autres peuples de la planète. Les Juifs du monde entier leur embraient le pas, parce que le communautarisme a enseveli la réflexion politique. Nombreux Israéliens résistent à la barbarie de leur gouvernement. C'est donc aux Juifs "de gauche" que je m'adresse, ils sont nombreux, car de partout affluent leurs appels à la paix, condamnant sans répit la politique d'Israël.

Cet article est directement lié à celui du 14 juillet dernier, intitulé Autodestruction.

P.S.: Excellent article de l'écrivain Mohamed Kacimi ce matin dans les colonnes Rebonds de Libération.