70 Humeurs & opinions - mars 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 31 mars 2008

Le goût d'avant, le goût d'après


C'est le printemps. Les primevères ont envahi le jardin d'Antoine et Chloé. Samedi, il ne pleuvait plus. On était trop contents d'aller les voir. Et sur le chemin on ne pouvait pas faire autrement que de retourner à la ferme de Mauperthuis faire nos courses de produits frais. Tous les fromages sont à tomber par terre : c'est la région du Brie et du Coulommiers... Si nous habitions plus près, nous prendrions un abonnement, mais c'est tout de même à 50 km de Paris. Vrai poulet, vrai lapin, vrai jus de pomme... Comme s'il pouvait y avoir de faux fruits, de faux légumes, de fausses bêtes ! Il est de plus en plus difficile de trouver du lait cru. Ici ça sent l'étable. Tout y est. L'endroit est presque trop bien tenu, on se croirait en Suède tant le moindre détail est à sa place, visite de la ferme, échantillons dégustation, parking, possibilité de réceptions, etc. C'est évidemment plus cher qu'à l'hyper du coin, comme le dimanche au marché des Lilas. On a l'impression de vivre dans deux mondes, un pied dans l'industrie normative, l'autre dans une flaque de bouse qui sent bon la nature. Le sous-vide a quelque chose de faussement hygiénique, c'est une poudre aux yeux, la lyophilisation du vivant, une usine de mort, celle du goût certainement et, par extension, celle de tous les sens.
Françoise tente depuis deux ans de s'inscrire au panier de l'AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), mais il faut s'y prendre des mois à l'avance, c'est un peu dissuasif lorsque l'on a envie d'essayer... Pourtant, cela semble vraiment sympa et intelligent. Chaque semaine, un agriculteur bio de votre région vous fournit un panier de légumes. Comme vous payez à l'avance en début de saison, l'agriculteur s'assure un revenu stable et, de votre côté, vous bénéficiez d'un beau panier de légumes de saison à un tarif plus intéressant qu'en grande distribution puisque l'achat se fait directement entre le producteur et le consommateur. C'est tentant. Il y en a dans toute la France, dans les grandes villes, dans les campagnes, tout un réseau s'organise pour lutter contre l'absurdité de la consommation en général. Comme pour le reste, on revient au particulier, à la proximité, pour pouvoir ensuite s'étendre à nouveau. Il faut se grouper, se rencontrer, multiplier les fronts de résistance... Ici pour le ventre, ailleurs pour l'esprit !

jeudi 27 mars 2008

La femme est le prolétaire de l'homme


En jetant un coup d'œil en arrière aux images qui illustrent les billets récents qui s'affichent lorsque je déroule l'écran, je note que beaucoup traitent de femmes lorsqu'elles n'en sont pas les incitatrices. Je ne m'en étais pas aperçu. Le Journal des Allumés est mis en pages par Daphné Postacioglu, Lucie Cadoux m'indique des films d'animation, Anne Montaron nous enregistre en concert avec Ève Risser et Yuko Oshima tandis qu'Agnès Varda nous filme, le blog de Fani croque toute cette jeunesse à belles dents, la voix de Channy Moon Casselle flotte dans le salon, Françoise est partout, Marie-Dominique Robin enquête sur Monsanto, les dessins érotiques de Melinda Gebbie sont magnifiques, Maïwenn signe un film bouleversant, enfin Louise Bourgeois coiffait hier le tout de sa sensibilité et de son intelligence... J'aurais pu remonter jusqu'aux premiers jours du mois, Sonia Cruchon dirigeant l'équipe pour les Ptits Repères, Karine Lebrun, Christine Lapostolle et Danièle Yvergniaux aux Beaux-Arts de Quimper comme Barbara Dennys aux Arts Décos d'Amiens, Marjane Satrapi avec Persepolis, Danièle Huillet laissant seul son Straub, etc.
Le statut des femmes a bigrement changé depuis un demi-siècle. Nous n'entendrons heureusement bientôt plus qu'il y a peu de compositrices ou de grandes peintresses dans l'histoire de l'art. Dans le passé, les femmes devaient arrêter leurs activités créatrices dès lors qu'elles enfantaient. Pour les plus résistantes, leur mari signait à leur place ou elles prenaient un pseudonyme masculin. Les écrivaines ont donné le ton, telle Colette se dégageant de la tutelle de Willy. Combien d'Alma Mahler durent se taire et de Gertrude Kolisch s'effacer devant son Schönberg ? Edward et Nancy Kienholz signent désormais ensemble, comme Christo avec Jeanne-Claude...
Si les femmes prennent le pouvoir en art, elles singent brutalement les hommes en politique ou dans l'entreprise. Là où règne la violence, il n'est pas facile de développer sa spécificité féminine et de s'imposer. La parité passe par l'indépendance. Dans le monde du travail (comme si l'art n'en était pas !), le féminisme a encore de beaux jours devant elles. Dans l'esprit des mâles, tout reste encore à faire, et leurs "compagnes" en sont hélas imprégnées. Les jeunes gens ne peuvent imaginer à quel point le statut des femmes a changé. Elles n'eurent le droit de voter en France qu'à partir de 1944 et d'ouvrir un compte en banque sans l'accord de leur mari qu'en 1965 ! Les combats menés tout au long du siècle dernier portent lentement leurs fruits. Je me faisais régulièrement engueuler lorsque je soutenais que les femmes artistes n'expriment pas la même sensibilité que les hommes. En 1981, lorsque nous engageâmes un tiers de filles dans le grand orchestre du Drame, l'esprit du groupe respira la santé ! Mais chaque fois que nous bouclons un nouveau numéro du Journal, nous nous rendons compte que la gente féminine est encore bien peu représentée. Françoise note tout de suite que tel festival a un jury 100% masculin ou que parmi les films présentés il y a encore si peu de réalisatrices. En 1975, alors que j'étais assistant sur le disque produit par le Parti Communiste célébrant l'année de la femme, le Comité Central refusa la phrase d'Engels qui donne son titre à cet article. Elles sont là, mais on ne leur laisse encore que des strapontins. À suivre.

vendredi 21 mars 2008

Monsanto, l'invasion des profanateurs de nos cultures


Arte, qui a diffusé le film de Marie-Monique Robin la semaine dernière, publie en dvd Le monde selon Monsanto, disponible en exclusivité sur arteboutique et dans les magasins Nature et Découverte. Un livre est également paru aux Éditions de la Découverte.
Au même moment, mercredi, le Conseil d'État a heureusement rejeté les recours de producteurs qui réclamaient la suspension de l'arrêté interdisant la culture du maïs OGM en 2008, ce qui confirme la décision du gouvernement prise en janvier dernier. Le Conseil d'Etat a décidé de rejeter les recours déposés le 20 février dernier par des producteurs français de maïs et des semenciers. Cependant, la décision du Conseil n'est pas définitive, puisque l'institution devra encore se prononcer sur le "fond" du dossier, à une date qui reste à fixer. Le groupe américain Monsanto, qui commercialise le maïs OGM MON810, s'est dit "déçu" de la décision du Conseil d'État, mais est "convaincu" de pouvoir l'emporter par la suite. De leur côté, les ONG, la fédération France Nature Environnement (FNE, 3000 associations) et Greenpeace, se sont "réjouies" de la décision.
Il est absolument nécessaire de comprendre la bataille acharnée que se livrent les industriels des biotechnologies et les militants anti-OGM. Rappelons donc certains faits. Monsanto, après avoir fabriqué l'agent orange utilisé pendant la guerre du Vietnam, les PCB qui contiennent de la dioxine, produit un insecticide, le Roundup, qui tue toutes les semences exceptées celles qu'elle produit. Ses graines ne sont pas replantables d'une année sur l'autre, obligeant les paysans à racheter chaque année ces semences brevetées et les ruinant, après avoir ruiné leurs terres. Les contrevenants se voient infliger de lourds procès ! En Inde, près de 700 paysans ont ainsi été poussés jusqu'au suicide. Là où cela se corse, c'est que les semences génétiquement modifiées pour résister à l'insecticide maison et à toutes les agressions (sauf celles des faucheurs !), polluent les cultures traditionnelles. On ne peut empêcher le vent de les faire voyager pas plus qu'on ne peut empêcher les nappes phréatiques de courir et les sols de communiquer. Les paysans se laissent abuser par la publicité sur les qualités mensongères des produits Monsanto ou Pioneer et se retrouvent ensuite acculés à ne plus pouvoir utiliser d'autres semences. Il suffirait ensuite à cet industriel qui détient les brevets de plus de 90% des OGM cultivés sur la planète de ne plus livrer ses commandes pour affamer des populations entières pour faire pression sur tel ou tel pays rétif à la politique américaine ! Les OGM ne sont donc pas seulement dangereux écologiquement, criminels, mais probablement l'arme de guerre la plus puissante et la plus simple à utiliser par les États Unis.

jeudi 20 mars 2008

La marche bègue ou le progrès par bonds


En discutant au téléphone avec Bernard du concert du Triton, je me rends compte à quel point la fragilité de nos expériences scéniques est inévitable et la démarche incontournable. Lorsque nous travaillons en studio ou sur le papier, nous pouvons essayer ci ou ça, et corriger nos errances au fur et à mesure. Nous affinons le travail jusqu'à ce que nous obtenions ce dont nous rêvons. Lorsque nous expérimentons des rencontres inédites en spectacle vivant, puisqu'il est ainsi coutume d'appeler les représentations publiques, nous ne pouvons éviter les tâtonnements, les à peu près, certaines provocations maladroites ou gauches tendresses. Il est indispensable d'en passer par là pour préciser les rôles et savoir où cela peut aller, jusqu'où peut-on "aller trop loin". C'est le jeu de la découverte qui donne son sel à l'expérience. Les collaborations durables s'inventent ainsi au jour le jour, les "premières" se révélant plus déterminantes que nulle part ailleurs. Comme dans la vie quotidienne, c'est en marchant, en se heurtant, en découvrant nos complicités que nous fabriquons l'œuvre en devenir. Généralement le public s'en fiche, il assiste à un mouvement plutôt qu'à un aboutissement, et sa présence est nécessaire, car tout ce qui se produit là, en scène, lui est directement ou indirectement adressé. Lorsque la rencontre a eu lieu, c'est-à-dire qu'elle s'est bien passée, que la passe a eu lieu, que l'échange de passes a été fructueux artistiquement et riche d'enseignement, il ne nous reste plus qu'à recommencer (sans pour autant reproduire !) pour mettre à profit ce que l'évènement a suscité de réflexions et de désirs.