70 Humeurs & opinions - février 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 19 février 2009

D'outre-mer, le Manifeste de la révolte sociale

Texte incontournable, le Manifeste pour les “produits” de haute nécessité, signé par neuf artistes et intellectuels antillais dont les écrivains Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, mais je cite aussi les sept autres pour rendre hommage à tous, Ernest Breleur, Serge Domi, Gérard Delver, Guillaume Pigeard de Gurbert, Olivier Portecop, Olivier Pulvar, Jean-Claude William, est publié ici (en ligne) ou (en pdf), un peu partout sur le Net. À lire absolument. C'est un texte magnifique, à la fois littéraire et politique, qui, comme ce qui se passe en Guadeloupe, pourrait faire germer d'autres révoltes, d'autres réalités jusqu'ici cantonnées aux rêves...

mercredi 18 février 2009

Égoïsme et lâcheté gagnent la sphère privée


Comment jeter l'opprobre sur les camarades dont les comportements dérivent gravement lorsque le pouvoir montre le pire exemple ? Lâcheté, égoïsme, cynisme sont assumés sans honte par le patronat et les gouvernements. Doués d'un orgueil démesuré, d'un désir d'enrichissement personnel, d'un mépris profond pour les "inutiles" ou d'une amnésie caractéristique, nombreux individus montrent sans fard des comportements absurdes, stupides et ingrats, criminels ou suicidaires. Ça passe ou ça casse ! Là ça passe, ici ça casse.
L'affaire n'est pas nouvelle, mais en période de crise elle s'étend dangereusement et devient remarquable. Lorsque j'avais vingt ans, vivant en communauté, une quinzaine de personnes passaient quotidiennement à la maison nous rendre visite ; comme je soupçonnais la raison d'un tel engouement, du jour au lendemain j'annonçai ne plus rien avoir à fumer ; du coup je conservai peu d'amis, mais ils le sont encore. Chaque fois que nous changeons de milieu ou de position sociale, la question ne manque pas de se rappeler à notre bon souvenir. Tel camarade journaliste licencié perd tant de faux amis qu'il ne lui en reste plus que deux ou trois, fidèles au delà de sa fonction et de son utilité. Tel responsable de label discographique, également licencié, ne reçoit qu'un seul témoignage de solidarité sur la masse des gens rencontrés au cours de projets des plus admirables où sa correction fut légendaire. Tel jeune retraité voit son environnement soudainement transformé en désert. J'en ai moi-même fait l'expérience douloureuse lors d'une récente démission du milieu associatif ; rares sont les camarades à continuer de me donner des nouvelles ou à m'en demander (voire simplement répondre à mes courriels), réciprocité des plus rares dans les sphères artistiques où chacun a l'habitude de parler de soi sans s'intéresser aucunement aux activités de ses interlocuteurs. Rien de vraiment anormal, pensez-vous, c'est ainsi que l'on apprend à identifier ses amis.
Il y a pire et c'est là que je voudrais en venir. Le succès, fût-il dérisoire au regard de la réalité, pousse certains énergumènes à se comporter comme si les amis d'hier n'avaient jamais existé. Le comble est le refus d'entendre toute critique en pratiquant la politique de l'autruche. La méthode est simple, il suffit de ne plus répondre à aucune sollicitation et d'éviter la rencontre, pour ne pas se retrouver acculé à rendre des comptes sur des agissements plus que douteux. La lâcheté vient au secours de l'oubli, le révisionnisme pouvant ainsi s'exercer librement. Si de tels comportements nous attristent, ils ont le mérite de faire le tri entre vrais et faux amis. La fête peut reprendre, les cris de joie partagée perdurer au-delà des épreuves. Mais il est dommage qu'en période de disette et de crise grave, la solidarité ne soit pas le maître d'œuvre. La vie n'est pas juste et nul n'est à l'abri d'un revers de fortune. En ces temps incertains, la solidarité est une qualité infaillible qui permettra à chacun de s'en sortir quand tout semble s'effondrer.
J'ai déjà évoqué la dette qui empêche les bénéficiaires de s'en acquitter lorsque la note est trop lourde. Ne donnez jamais sans laisser vos amis vous rendre la pareille, du moins qu'ils puissent faire un geste à leur tour envers vous. Ils vous en voudraient d'avoir été trop généreux. Laissez les renégats et les traîtres s'enferrer si bon leur semble, ils seront un jour ou l'autre confrontés au désert qu'ils auront créé et celui-ci sera sans limites. Regardez autour de vous, rappelez-vous, il est des millions de bienveillants qui ne demandent qu'à partager au lieu d'adopter, de manière stupide et immature, l'égoïsme et la lâcheté de ceux qui nous gouvernent et nous exploitent.
Anticipant les questions de mes camarades, je répondrai que oui, bien évidemment, ce billet m'a été soufflé par des expériences récentes malheureuses, mais que si l'une d'elles m'a particulièrement choqué de la part d'un musicien que j'ai souvent accueilli, recommandé et défendu, il s'agit essentiellement de plusieurs histoires qui m'ont été rapportées récemment par des amis qui, passé la déconvenue, ont su retrouver le sourire en partageant leur désir de se comporter surtout autrement.
En ces temps de débâcle et de "struggle for life" resserrons les rangs et dansons la Carmagnole ! Les tambours du gwo ka donnent l'exemple.

lundi 16 février 2009

Wikipédia : les passionnés se confrontent aux miliciens


Une amie m'a conté plusieurs démêlés qu'elle a eus avec de prétendus "contributeurs" de l'encyclopédie en ligne Wikipédia. Si chacun peut y écrire n'importe quoi sur n'importe qui, d'autres s'improvisent police du Net en prétextant rechercher la vérité. Le problème, c'est que les premiers doivent prouver leurs dires aux seconds qui ne s'embarrassent pas plus pour écrire n'importe quoi. L'anonymat des uns ou des autres n'arrange rien à l'affaire. Peut-être est-ce là que le bât blesse ! Si chacun devait assumer ses écrits l'encyclopédie ne serait-elle pas plus rigoureuse ? Pour autant cela ne résoudrait en rien la qualité des articles ni les tendances flicardes d'une partie de la population.
Les artistes ont toujours eu maille à partir avec de nombreux journalistes qui bâclent leur travail et donnent des notes comme à l'école. Je me suis souvent dit que si je faisais mon boulot de compositeur de la manière qu'il était chroniqué je n'aurais pas fait de vieux os dans la profession. Il existe heureusement des plumes scrupuleuses et talentueuses, mais ce n'est hélas pas monnaie courante. Les soupçons que font peser les flics de Wikipédia sont souvent insultants pour les contributeurs zélés qui se sont donnés du mal pour rédiger bénévolement tel ou tel article. Les auteurs qui planchent sur leurs sujets de prédilection laissent transparaître leur étonnante érudition ou leur manque cruel. J'ai été ainsi estomaqué par celui sur Jean Cocteau qui ressemble plus à Gala ou Paris Match qu'à La Quinzaine Littéraire. Mais les "discussions", que mon amie m'a fait lire, entre certains auteurs d'articles et les analphabètes qui prétendent les corriger dépassent mon entendement. S'en dégage une nauséeuse impression délatrice et diffamatoire digne de la pire milice. Lorsque de telles vocations se révèlent j'en ai froid dans le dos.
Internet n'est pas différent des autres espaces d'information, à la fois incontrôlable et en but à toutes les manipulations. L'Encyclopedia Universalis n'est pas plus fiable, passionnante quand on ignore tout d'un sujet, effroyablement tendancieuse et erronée lorsqu'on le connaît, jetant fatalement un discrédit sur l'ensemble. Ce n'est pas cela qui me choque, on apprend à se faire sa petite idée, mais le médium révèle les pulsions cachées des anonymes, s'étendant comme une pieuvre à tous les éléments de notre vie, multipliant les faux "amis", nous offrant en pâture aux annonceurs... Pour rester dans les allégories animales et cannibales, constitutives du www, le World Wide Web, l'araignée a tissé sa Toile, aujourd'hui les proies s'y engluent comme de pauvres insectes.
J'ai beau trouvé pratiques les résumés biographiques, je me rends compte que laisser le monopole de l'information, ici comme ailleurs, à une entreprise qui au départ semblait utopique et collectiviste peut s'avérer dangereuse et pernicieuse. Cela me demandera un peu plus de travail, mais je renverrai désormais mes liens en priorité vers des sites persos plutôt que vers Wikipédia, comme je le faisais d'ailleurs au début de ce blog...

jeudi 12 février 2009

Où fait-on pipi ?


Les municipalités de l'Est parisien sont de plus en plus prisées par une nouvelle génération de propriétaires qui souhaitent jouir d'un confort auquel la capitale ne leur permettrait pas de rêver même au prix d'un endettement carabiné. Les villes limitrophes de la couronne sont devenus inaccessibles et la plupart des "bonnes affaires" se réalisent déjà plus loin, à Romainville ou Noisy-le-Sec. Comme je m'étonnais du coût du mètre carré des lofts en face de chez nous, le conducteur de travaux me répondit offusqué : "Mais tout de même, c'est Bagnolet !" comme si nous habitions Neuilly. Voilà qui tranche avec le commentaire monstrueux de l'employée des Assedic de mon quartier qui, au moment de mon changement d'adresse (j'étais jusque là domicilié à Boulogne-Billancourt) me demanda si la déchéance n'était pas trop pénible ? Comme je ne comprenais pas ce qu'elle sous-entendait (mon inscription aux Assedic remontant à ma sortie de l'Ecole en 1974 !), elle s'expliqua : "Tout de même, passer du 92 au 93 !" Je restai bouche bée devant tant d'imbécilité et de mépris.
Je continue à regarder avec amusement les annonces qui tombent dans notre boîte aux lettres, avis de recherche de particuliers ou prospectus des agences immobilières cherchant à vendre ou à acheter. Cette fois le quatre pages en luxueuse quadrichromie vante les mérites d'une résidence proche du Parc du Château de l'Etang, l'endroit ayant été évacué des dizaines de Roms-Bulgares qui le squattaient depuis deux ans et demi, cousins de ceux qui campaient sur les talus qui longent le Périphérique. On voit que la Mairie communiste connaît les mêmes ambiguïtés, prise entre ses projets rénovateurs et "culturels" et la crise qu'elle vit dans ses limites territoriales. Amusé par l'argumentation et les somptueuses images du fascicule, j'admirais le plan des studios (on comprendra déjà la psychologie et la rentabilité du projet immobilier en constatant la taille des logements en construction, rien que des studios !) quand un détail de la simulation d'ameublement attira mon attention : les deux studios en haut de l'écran ne possèdent pas de WC ! Je suis sérieux, regardez bien, les toilettes sont figurées sur les autres appartements par un rectangle allongé dont un des petits côtés est arrondi. Ce ne peut tout de même pas être le rond dans un carré que l'on retrouve dans les kitchenettes ! Il ne s'agit pas de mobilier, mais des commodités faisant partie de la construction. Or deux des cinq lots n'ont pas prévu qu'on y fasse ses besoins. Les deux studios possédant un balcon, l'architecte et le promoteur ont-ils prévu que l'on se soulage dans le jardin ? Enfant, lors d'une coupure d'eau, mon père m'apprit à pisser par-dessus la balustrade du grand ensemble où nous habitions, mais la défécation aurait exigé de prendre des risques impensables. L'évacuation par la baignoire ou le lavabo impliquerait des consommations d'eau inadaptées avec les campagnes de réduction du gâchis et une insalubrité incompatible avec la qualité des autres prestations de la Résidence des Acacias. Le mystère reste entier. J'ai très envie d'appeler le promoteur pour savoir quel secret technologique abrite son projet.

mardi 3 février 2009

Nous sommes faits


Ma mère disait que nous devenons ce dont on nous accuse. Quel souci de conformité au regard de l'autre nous pousserait à adopter les défauts dont on nous affuble ? J'évoque les traits de caractère péjoratifs, mais il en est de même avec les qualités. Répétez à quelqu'un qu'il est bon, il aura plus de mal à vous décevoir. Répétez-lui qu'il est mauvais, il s'évertuera à vous donner raison plus souvent qu'à vous prouver le contraire. Notre crédulité est-elle en jeu ou est-ce une façon de supporter l'injustice en devenant fidèle à l'image que nous donnons ? Les enfants sont particulièrement touchés par le phénomène. Nos facultés de résistance sociales sont limitées. Il est plus facile de conforter l'impression que nous donnons que de changer ou de tenter de transformer les a priori extérieurs dont nous souffrons. Cela tient à la fois de la méthode Coué et du bourrage de crâne. Le caractère se forge avec le temps pour répondre aux sollicitations sociales ou à l'héritage familial. La névrose n'a rien d'inné. Elle permet de se positionner dès le plus jeune âge face aux émotions dont nous sommes les enjeux, qu'elles soient de l'ordre de la tendresse, de l'agression ou du désordre.