70 Humeurs & opinions - septembre 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 10 septembre 2009

La burqa contre la grippe A


Puisque le gouvernement espère nous faire passer lois et décrets aussi débiles que monstrueux en veux-tu en voilà à grands coups d'enfumage médiatique sur des problèmes qui n'en sont pas, suggérons une façon de se débarrasser une fois pour toutes des deux pipeaux les mieux cotés : en rendant la burqa obligatoire pour tous on résoudra le problème de l'exclusion des minorités sans offusquer les "amis" à qui nous vendons des armes et, par la même occasion, nous serons tous couverts contre la grippe A sans avoir besoin de nous inoculer des vaccins vaseux dont on ignore les effets secondaires à terme. Ouf ! Tout d'un coup on se sent mieux, d'autant que la burqa a le mérite de tenir chaud en hiver en évitant les courants d'air. Chacun sait que les moufles sont plus chaudes que les gants. De même les juste-au-corps occidentaux ne valent pas une bonne robe de bure où le corps peut s'ébattre en toute solitude. La cape intersidérale, imaginée par l'archéozoologue Fred Vargas "anti-H5N1" applicable à H1N1, est une burqa transparente qui plaira aux nudistes n'acceptant pas de se cacher sous les draps. Les plus grands couturiers vont pouvoir renouveler leur inspiration, échappant ainsi à la monotonie du grand n'importe quoi pour se consacrer à une variation de matières, de coloris et de motifs. Rien de plus excitant qu'un cadre pour laisser son imagination s'épancher en toute liberté dans ses limites imposées. Quant au virus, on ne donnera pas cher de sa peau de porc et nous pourrons nous consacrer à l'étude des textes qu'on essaie de nous faire avaler. Les laboratoires au dispendieux vaccin anticritique en seront pour leurs frais tandis que nous gambaderons au chaud en jouant aux devinettes pour reconnaître qui ou quoi lors de nos sorties en société. Quant à moi qui ait toujours trouvé géniale la djellaba, je n'ai plus qu'à coudre un petit bout de tissu à la capuche et je suis paré pour l'hiver.

Illustration extraite de derrière les barreaux d'Odilon Redon (1875).

mercredi 2 septembre 2009

La mémoire ne fonctionne pas à sens unique


Les souvenirs s'accumulent sur les étagères. Le tri éjecte les bibelots inutiles, mais préserve les amours. Les signes dramatiques côtoient les clins d'œil amusés, les livres que l'on ne relira plus étouffent ceux que l'on s'est juré de déguster un jour. Plus la mort s'approche, moins les anciens sont accessibles. Nous avons tous la fâcheuse tendance à remplir le vide. Chaque année nous ajoutons un nouveau chapitre, accumulant sans cesse jusqu'à saturation. Il faudra bien que ça pète !
La mémoire nous joue plus d'un tour. En discutant avec l'un de mes amis de ses goûts musicaux, je m'aperçois qu'il existe une différence majeure entre mes rejets et les siens. Ne s'est pas écoulée une minute que la musique française du XXème siècle le hérisse, idem avec n'importe quelle chanson ou tout air d'opéra quelle qu'en soit l'origine. Comme je justifie ma programmation par ce qui a donné naissance à ce qu'il affectionne, mon camarade me rétorque que l'on n'a pas besoin d'apprécier les origines pour aimer ce qui nous fait vibrer là maintenant. Certes, mais si aujourd'hui je me passe de Mozart ou Bellini, ce n'est pas faute de ne pas les avoir écoutés. Sans faillir ni défaillir j'ai suivi les livrets de centaines d'opéra, fait hurler les guitares électriques de toutes les intégrales, dansé à tous les jazz et rêvé sous toutes les latitudes pour être certain de mon chemin. Il n'est aucune sorte de musique dont je ne me sois pas repu aussi loin que je m'en souvienne et si une tribu était découverte sur quelque île du Pacifique j'y traînerais mes oreilles de gré ou de force. De quelle nécessité est née telle œuvre ? De quelle Histoire procède-t-elle ? Qu'en reste-t-il ? Ne pas connaître les joies du voyage dans le temps rend dangereux le périple. Il sera d'autant plus difficile de faire ses propres choix en connaissance de cause. Petit Poucet sans cailloux, la mémoire du monde s'éteindrait si l'on n'y prenait garde. Plus la vitesse et le produit Kleenex nous sont inoculés par l'industrie de la culture, plus nous perdons nos repères. Penser par soi-même exige que nous apprenions à nous servir de la boussole et du dictionnaire.
J'ai toujours pensé que le dégoût pour tel ou tel genre musical ne pouvait qu'être le fruit empoisonné de l'héritage familial. Il suffit que maman ou papa adore le musette pour vous en écœurer et tutti quanti... Tutti fruti met mieux l'eau à la bouche. Les goûts seraient alors affaire sociale tant qu'on n'y a pas goûté. Ainsi commande-t-on à l'enfant qui chigne qu'il n'aime pas ça sans ne jamais l'avoir porté à ses lèvres... Les œuvres exigent par contre souvent que l'on aille au bout, jusqu'à leur résolution. Sans cet effort la mémoire fait défaut et les dés sont pipés. Le plaisir se réduira avec le temps à une peau de chagrin. Nous ressasserons alors éternellement les ritournelles de notre adolescence sans entendre qu'autour le monde ne sonne plus pareil.