70 Humeurs & opinions - juillet 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 13 juillet 2010

Marie des Lilas comme si c'était une gloire


Station Jourdain j'ai pensé aux parents seuls avec poussette lorsqu'il n'y a ni ascenseur ni escalator. Qu'est-ce qu'on attend pour soulager le fardeau des vieux, des handicapés, des mômes, des porteurs de valises et des râleurs ? Le train s'est arrêté au milieu du tunnel. Le conducteur pensait-il à un miracle lorsqu'il a prononcé Marie des Lilas comme si c'était une gloire ? Au terminus, je me suis ému d'une petite blonde, une canette de bière à la main, retenant ses larmes face à son punk à crête qui ne cédait pas au chantage affectif. Elle a fini par lui emboîter le pas. Combien de temps faut-il pour apprendre à ne pas se faire soi-même du mal quand on est contrarié ?
Un Africain en salopette bleue balayait consciencieusement en bas des marches. En haut, les habitants avaient ouvert leurs portes pour laisser le vent s'engouffrer. Parfois, le rideau de fer à moitié baissé ne laissait entrevoir que leurs jambes. Au premier étage des Arabes regardaient la télé au milieu des lits superposés. J'avais totalement échappé au Mondial. Moi qui suis toujours en colère sans n'être plus énervé, j'arborais mon regard attendri des soirs d'été lorsque l'on est amoureux. On dit bonsoir à des inconnus, on leur sourit. Combien de temps faut-il pour apprendre que la bienveillance est inutile si nos interlocuteurs ne sont pas réceptifs ? On donne à qui peut prendre. On parle à qui veut l'entendre. La moindre insistance braque celles ou ceux que les miroirs désespèrent. On a beau leur dire qu'on est comme eux, leur porte est cadenassée. Un chauffard dévale la rue à fond la caisse, toutes vitres fermées. J'ai d'abord cru que c'était pour faire de l'air. Plutôt une illusion de puissance.
Nous essayons de vivre ensemble, mais le passé dicte nos pas avec la brutalité des inconscients multipliés. On fait payer à ses proches le déficit des années antérieures. Et cela ne date pas d'hier ! Jusqu'à combien de générations faut-il remonter pour comprendre ce qui nous torture ? Si nous étions capables de marcher autrement qu'à reculons vers le futur, atteindrions-nous la sagesse ? Impossible, tel le bonheur on peut y tendre ou y prétendre, ce ne peut être un but, tout juste un vecteur. La paix intérieure permet de relever la tête et de se battre contre les démons, les siens, ceux des autres, l'humanité tout entière. Le concept de B.A., la bonne action des scouts, n'est pas si débile, pas que l'on s'y adonne mécaniquement pour se donner bonne conscience, mais parce qu'elle oblige à s'interroger sur notre vie pétrie de conventions et d'habitudes.

mardi 6 juillet 2010

Encouragements et félicitations


Dans le film de 1936 de Robert Siodmak, "Le chemin de Rio", dont on entend des bribes dans le premier disque d'Un Drame Musical Instantané, "Trop d'adrénaline nuit", enregistré en 1977, Marcel Dalio fait ses "compliments !" à Jules Berry qui lui répond "Vous me décorez...". Dialogue cynique de part et d'autre puisqu'il s'agit, si je me souviens, de traite des blanches !
J'entends que les artistes apprécient les compliments, or ce n'est pas la question. La plupart vivent dans le doute et font mine d'être forts pour arriver à continuer, avec le besoin d'être rassurés. Un de mes amis clame haut et fort qu'il est génial avant d'éclater d'un rire rabelaisien. Si un admirateur lui déclare qu'il est génial, mon camarade risque tout bonnement la larme à l'œil. Hypersensible camouflé en frimeur, il préfère rigoler que pleurer. Le compliment est un terme trop flou pour que l'on sache s'il est feint ou réel. Les artistes n'ont pas besoin de félicitations pour travailler, car elles arrivent en fin de parcours lorsque tout est terminé. Par contre les encouragements sont indispensables à la bonne marche des affaires. Si l'encours est délicat, la félicité n'existe pas pour l'artiste dont l'insatisfaction perpétuelle est garante de sa créativité.

Photo : Pierre Oscar Lévy