70 Humeurs & opinions - octobre 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 octobre 2010

Loué fut Ben Laden™


Combien nous aura coûté la rédaction du message de Oussama Ben Laden™ adressé à la France ? Propriété exclusive de la CIA, le rôle du méchant se sera-t-il négocié un prix raisonnable pour permettre à notre gouvernement ce ridicule effet de masque ? Arrivera-t-il à occulter la loi sur les retraites votée au mépris de l'opinion publique, ou les rebondissements de plus en plus embourbés de l'affaire Bettancourt ? On aimerait connaître le nom du studio responsable de la photo haute définition de la une de Libération hier matin, son vieillissement informatique étant courageusement signé par la CIA en page 3 du quotidien. Libé publie-t-il ces informations après avoir vérifié ses sources ou se limite-t-il aux officielles délivrées par le quai d'Orsay et son organe de communication, l'AFP ? Je pose insidieusement la question pour avoir trop souvent lu les professionnels de la profession fustiger les blogueurs et leur manque de sérieux.


Le 23 septembre 2006, sous le titre "Ben Laden, mort né" j'écrivais sur mon blog :
"Les agences de presse racontent que Ben Laden serait mort depuis quelque temps. Comment en douter ? Peu importe qu'il soit mort l'année dernière ou la semaine prochaine, Ben Laden ne pouvait (ré)apparaître sans mettre à mal l'intoxication de masse fomentée par le gouvernement américain. Dix ans agent de la CIA lorsque les USA soutenaient les Talibans contre les Soviétiques, il aurait retourné sa veste pour diriger la Jihad contre les mécréants de l'occident chrétien. On ne connaît de lui que des cassettes dont la mise en scène rappelle les plus mauvaises séries américaines, décor de carton pâte, texte récité, caricature pleine de contradictions s'il était censé suivre les préceptes que son interprétation de l'Islam lui ordonne. Quelle que soit l'efficacité de la plus puissante armée du monde (cough ! cough !), il ne pouvait apparaître au grand jour sans risquer de faire chuter le bel édifice de mensonges que l'on tente de nous faire avaler depuis cinq ans. Sa mort arrange tout le monde, les Américains comme les Arabes. Le diable ne parlera pas et le héros devient un mythe. Dans ce scénario catastrophe du plus mauvais goût, le terroriste Ben Laden était condamné à mort, depuis le premier épisode, par ses concepteurs-mêmes.
P.S.: Ben Laden ne sera officiellement mort que lorsque ceux qui l'ont nommé se seront trouvé un nouveau méchant."

Il aurait fallu que je change le turban pour un bleu-blanc-rouge cette fois (j'ai failli titrer "L'ami américain"). Les services secrets occidentaux voudraient nous faire avaler ce serpent de mer, soit. Mais est-ce seulement une manœuvre de diversion ou avons-nous quelque chose à nous reprocher ? Quelque dette impayée comme à l'époque de l'attentat chez Tati rue de Rennes en 1986 ou celui de Karachi en 2002 ? Ces deux hypothèses sont certainement plus probables que l'interdiction du voile générant la décapitation des otages, tel que le figurant Ben Laden™ l'annonce dans son dernier message. J'avais tort il y a quatre ans. Ben Laden™ est plus utile vivant que mort. S'il pouvait être éternel, il éviterait même un nouveau casting. Les politiques nous prennent pour des idiots et la presse s'en fait complice en diffusant l'information sans aucune des précautions qu'exige son énormité.

mardi 26 octobre 2010

Inventer de nouvelles formes de résistance


Il y a tant de professionnels zélés et compétents et suffisamment de commentateurs pour que j'évite de gloser sur les sujets qui font la une. Ce n'est pas que je vive dans un autre monde ou que l'actualité ne m'intéresse pas, encore que je préfère le recul de l'histoire et de la philosophie, mais ma voix n'ajouterait rien à ce qui se clame déjà. Je préfère donc chroniquer films, musiques, livres, expositions, spectacles dont la presse parle peu, privilégiant les compte-rendus bienveillants aux règlements de comptes. Mes billets d'humeur prennent parfois le contrepied lorsque l'unanimité s'exprime sur un point qui me hérisse. Par exemple les manifestations anti-Guerlain me semblent disproportionnées quand le racisme suinte de partout. Le vieux gâteux s'est excusé de son dérapage verbal alors qu'en France les descendants de ses anciennes colonies, noirs et nord-africains, souffrent toujours d'une ségrégation qui les pénalise à chaque pas. De même il est difficile d'attaquer telle ou telle enseigne délocalisatrice quand toutes ont recours à une main d'œuvre bon marché, mieux exploitable ailleurs qu'ici. Plus-value quand tu nous tiens ! Comment remplir son caddy ou son panier sans en être complice ? Les seuls qui y échappent crèvent la dalle.
Dimanche je discutais avec une enseignante non-gréviste, une jaune comme il est coutume de les nommer. Cette jeune amie, dévouée à ses élèves dans une banlieue tendue, aurait l'impression de les abandonner si elle se joignait au mouvement de protestation. Elle a beau être contre le gouvernement et en colère contre les conditions de travail qui lui sont imposées, les grèves ne la convainquent pas quant à leur efficacité. Elle se sent elle-même fétu de paille et ne saisit pas que l'union fait la force, la somme des unités faisant nombre. Je lui rappelle évidemment que sans les grèves de 1936 elle ne pourrait partir en vacances ce matin et que sans 1968 son mode de vie serait moins coloré. Son origine de classe ne favorise pas sa prise de conscience, mais tant d'individus agissent contre leurs intérêts, votant même pour leurs bourreaux quand l'illusion démocratique les pousse à mettre un bulletin dans l'urne funéraire.
Au fur et à mesure de la discussion, nous abordons les modes de résistance qui s'offrent à nous pour constater que les grèves ne sont peut-être pas le meilleur moyen de faire aboutir nos revendications, surtout lorsqu'elles sont impopulaires. Si l'imagination doit reprendre le pouvoir, n'est-il pas nécessaire de faire preuve d'invention aussi dans ce domaine ? Puisqu'on ne convainc personne qui ne veuille être convaincu, ne faut-il pas trouver des astuces pour rallier à nos côtés les sceptiques, les démobilisés, les frileux, les amers, enfin celles et ceux qui vibrent en sympathie avec le mouvement sans y participer, et même celles et ceux qui ne peuvent y adhérer parce que le vacarme et le chaos dérangent leurs habitudes et leur petit confort pourtant souvent modeste ? Il ne suffit pas de communier en allant se promener sur les grandes artères balisées avec quelques banderoles. L'enjeu est vital, la manifestation doit devenir virale.
Lorsque l'on envisage de faire fonctionner les transports publics gratuitement plutôt que de les bloquer on nous répond que la loi s'y oppose. Depuis quand devons-nous obéir à la loi si elle est inique et absurde ? Au lieu de tarir les pompes à essence, prenons-les d'assaut et servons-nous librement au self ! Si l'on veut attaquer le Capital au porte-feuilles puisque c'est sa seule "morale", refusons de nous faire plumer comme des poulets. Si je ne vois pas débarquer des cagoulés un de ces quatre à l'aube j'aurais de la chance ! Que les enseignants ouvrent les portes des collèges et accueillent les professionnels de leur discipline pour raconter l'Histoire de France au quotidien. La grève du zèle peut être joyeuse si ces nouveaux grévistes prennent le temps de faire correctement leur travail au lieu d'obéir aux cadences infernales. Qu'ils fabriquent du lien humain, de la convivialité, de la cordialité, de la solidarité, des notions que le Capital tente de broyer pour produire un rendement toujours plus juteux. Que les employés de banque et les comptables dévoilent les chiffres, que les guichetiers de la Préfecture de Bobigny accélèrent les cadences pour délivrer les autorisations de séjour et régulariser les sans-papiers, que les consignes iniques et destructives ne soient plus honorées ! Alors la grève deviendra un processus insurrectionnel permanent. On ne saura plus vivre autrement ni jouir de son travail qu'avec le sourire. Que voulez-vous ? On peut toujours rêver. Fut une époque où prendre ses rêves pour des réalités étaient les seuls mots d'ordre que tous et toutes pouvaient entendre.

English translation, thanks to Jonathan Buchsbaum.

samedi 23 octobre 2010

Lunatique


Allez savoir où vont se nicher les superstitions et les savoirs oubliées, les contrées inexplorées de la science et les fruits de l'inconscient collectif ! Il ne naît pas plus d'enfants les jours de pleine lune, mais ma fille nous a piégés en se pointant tout de même cette nuit-là ! Nous n'avons pour autant rencontré aucun loup-garou sur le chemin de Saint Vincent de Paul. Chaque fois que je constate un nombre élevé de déments sur la voie publique, à pieds, à bicyclette ou en voiture, je ne peux m'empêcher de regarder en l'air. Et paf ! La lune est là, énorme, lumineuse. Par un habile coup de volant j'évite heureusement l'obstacle. On ne fait évidemment jamais attention à l'absence de coïncidences. C'est le succès de l'astrologie. Seules les vérifications positives valident l'oracle. Kepler aurait tout de même écrit « on ne devrait pas rejeter comme incroyable la possibilité qu’une recherche suffisamment longue puisse révéler un grain de vérité dans la superstition astrologique.» Sur combien de siècles le protocole doit-il s'étendre pour que l'on y accorde un peu de crédit ? L'attraction de la lune fait bien bouger des quantités gigantesques d'eau salée ! Nous ne sommes quant à nous que de minuscules masses, négligeables comparées aux marées. Si, avant que l'entropie ne nous emporte, nous obéissons à des lois cycliques, tant en termes intimes qu'historiques ou scientifiques, ne pourrait-il y avoir une corrélation entre les révolutions elliptiques de la lune et nos humeurs ? Nous y conformons-nous hystériquement ou sommes-nous réellement influencés comme de nombreuses autres espèces animales par les phases de la lune ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais je sais qu'il m'aura fallu slalomer parmi les fous pour rentrer ce soir au bercail en une seule pièce. Arrivé, j'ai regardé le jardin éclairé naturellement. Il y régnait une lumière inhumaine. Je ne risquais pas de moins bien dormir que les nuits précédentes. Depuis quinze jours, je ferme à peine l'œil, me réveillant avec des idées bizarres, ni plausibles, ni totalement absurdes. Alors, si j'ai pris un coup de lune, ce ne pouvait être que le mois dernier.

jeudi 14 octobre 2010

Titubation


La tubeuse est parfaite pour les futurs tubards qui ne veulent pas se faire trop entuber par la Régie des tabacs. Comment ai-je pu passer à côté de cette invention qui existerait depuis des décennies ? Quand j'ai vu Simon sortir sa machine à tuber des cigarettes à bout filtre j'ai cru qu'il agrafait un papier dans un pot en carton. De plus en plus de monde roule soi-même ses cigarettes, surtout les jeunes, par souci d'économie ou pour s'occuper les doigts, mais je ne connaissais pas ce machin qui existe même dans des versions électriques. En sortent de jolies cylindres effilés, droits comme des i, quand les roulées à la main ressemblent à des petits joints un peu tordus. Je n'ai jamais appris à rouler, probablement pour me prendre toujours pour un amateur, préférant avoir recours à la boîte à rouler que j'ai utilisée dès mes débuts de fumeur acrobatique ou laisser à mes camarades experts le soin de cette tâche minutieuse. J'en sortais des bazookas à fort tirage, parfaitement adaptés à ma cheminée. La fumée inhalée, retenue consciencieusement, ne ressortait jamais qu'en images pieuses, pas de gâchis ! Je parle à l'imparfait, d'une part parce que je n'ai jamais aimé le tabac, d'autre part parce que les autres substances ont fini par me fatiguer avec les années. Adolescent j'achetai un paquet tous les trimestres pour pouvoir aborder les filles, mais ce n'était pas très efficace à constater mon maigre budget clopes d'alors. Si je n'ai jamais interdit à ma propre fille de fumer, je lui ai tout de même fait remarquer que c'était dommage de risquer d'abréger sa vie pour calmer son impatience ou sa nervosité. En plus, comme pour moi sur mon divan, ce n'est pas indiqué lorsque l'on évolue sur un trapèze. Sans évoquer les immenses profits réalisés par ses marchands de mort sur nos poumons, avec la complicité de l'État... On n'arrête pas le progrès, surtout lorsqu'il date de Mathusalem, mais à découvrir des petits jouets comme la tubeuse, vertubleu, c'est vraiment dommage que je ne fume plus ni pas.

mardi 5 octobre 2010

À fleur de peau


Se regarder dans la glace est un exercice de gymnastique qui peut s'avérer pénible si l'on possède plusieurs visages. On préférera alors un miroir à trois faces permettant de choisir son meilleur profil. Dans cette perspective jeter un coup d'œil aux deux autres rendra plus douloureux encore leurs regards critiques et réprobateurs. Faire front est la seule attitude offrant la certitude du confort sur le long terme, quels que soient les assauts rencontrés. S'il arrive que l'on se sente morveux, on se mouchera. Les entorses à la conduite que l'on se sera fixée dessinent des rides seyantes si l'on sait les soigner avec le temps, tandis que les cicatrices s'effaceront d'autant plus difficilement que l'on refusera d'admettre ses responsabilités. La culpabilité est toujours tournée vers le passé et ne présente aucun avantage. La responsabilité permet d'envisager l'avenir avec des yeux neufs. Le choix semble évident, mais il effraie. On sait ce qu'on a, rien de ce que l'on inventera. Je veux pouvoir me regarder dans une glace sans regret. L'armoire à pharmacie est située à hauteur d'homme, d'homme debout. Ne jamais plier l'échine devant l'adversité. Les déménagements sont propices au ménage de printemps. Le vide crée l'appel d'air. L'indépendance est seul garante des vraies rencontres. Parmi celles et ceux qui ont choisi de refuser l'exploitation de l'homme par l'homme, l'injustice des lois, le mensonge des pleutres, les pis aller, je ne connais que des gens heureux. Il m'est arrivé d'aller trop vite, de ruer dans les brancards, de ne pas savoir attendre, d'oublier de lâcher du mou avant de tirer d'un coup sec, de manquer d'humilité, mais je veux résister toujours face à l'absurdité du pouvoir et des systèmes formateurs, au gâchis qu'ils engendrent, fut-ce au prix d'abréger mon passage. La résistance est un devoir, sa récompense est un sourire que l'on apprendra à partager. Je n'ai jamais avancé seul, même quand il n'y avait personne ou que je l'ai cru dans un moment de faiblesse. Le travail consiste à accepter les travers de celles et ceux que nous aimons. On ne change personne d'autre que soi-même. Sur ce, je vais me donner un coup de rasoir.