70 Humeurs & opinions - mars 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 20 mars 2012

Décimés


En photographiant le cosmonaute emporter les abeilles décimées je ne peux m'empêcher de regarder les humains qui l'accompagnent comme les prochains cobayes ou les prochaines victimes de leurs inconséquences. Deux des quatre ruches sont mortes sans que l'on n'en comprenne les raisons. Ce n'est ni le varois ni le froid. Il n'y a pas de pesticide en ville où ces ruches sont situées. On sait le danger que représente l'affaiblissement de la pollinisation. Nous sommes simplement tristes de cette disparition, comme nous avons pleuré la mort de Pipie, la pie qui nous avait apprivoisés. Un voisin idiot lui a coupé les plumes d'une aile pour qu'elle ne s'enfuit pas ; plus capable de s'envoler, elle a succombé aux griffes d'un chat ou aux coups d'autres oiseaux qui auront senti sur elle l'odeur humaine.

J'avais déjà écrit ce premier paragraphe quand j'ai appris l'horrible nouvelle dont toute la France s'émeut. Titrer "À qui le tour ?" n'était certainement pas du meilleur goût au lendemain de la tuerie de Toulouse. De même que la minute de silence dans les écoles risque de traumatiser les mômes qu'il eut été préférable d'épargner de cette histoire sordide. Sur FaceBook, j'ai choisi de publier "Solidarité avec les enfants juifs et les soldats d'origine maghrébine assassinés (le soldat blessé est noir !) par le même tueur raciste..." pour tempérer la paranoïa planétaire qui fustige l'antisémitisme en omettant les origines des soldats de Montauban et Toulouse. Que le tueur soit commandité ou illuminé n'y change rien, c'est un fou, un malade social contaminé par les discours racistes dont la droite et l'extrême-droite se sont toujours faits les hérauts. Je me souviens des Thechtniks qui tiraient sur les habitants de Sarajevo pendant le siège. Ils étaient froids, calculateurs, cyniques, aux ordres... Il n'empêche que c'était des fous qu'aucun des Sarajéviens ne pouvait comprendre. Génocides organisés, destruction absurde des espèces, crimes individuels prémédités, notre responsabilité est engagée pour proposer d'autres modèles que celui de l'ultralibéralisme qui privilégie la puissance et la réussite individuelle sur le dos de tous les autres. Seule la solidarité et le partage pourraient nous permettre d'éviter ces désastres qui font honte à notre humanité.

lundi 19 mars 2012

Débordement


Malgré le bitumage absurde autour du tronc, le palmier continue de pousser. Je ne sais pas comment c'est possible, mais ses feuilles ne sont pas plus fanées que les autres arbres. Sur tout le bord de mer ils continuent de grandir et d'épaissir.

Pas question de se disperser ce matin après la prise de la Bastille par le Front de Gauche hier dimanche. En déplacement dans le sud, nous n'avons pu y être, mais j'ai apprécié les avantages de Twitter pour la première fois. Me souvenant de la révolution arabe, j'y ai tapé #Bastille et suivi l'après-midi en direct jusqu'au discours de Mélenchon en fin de parcours. Les messages courts tapés par les manifestants ont laissé la place à un lien vers la vidéo en temps réel sur BFMTV/DailyMotion.

La majorité des journalistes ne pourra pas continuer à ignorer l'intérêt grandissant pour le candidat du Front de Gauche. Dernier tour de passe-passe de la presse aux ordres : il y aurait eu beaucoup de curieux Place de la Bastille. Question : pourquoi les meetings Sarkozy et Hollande n'ont-ils pas suscité la même curiosité ?! Autour de nous, presque tous nos amis adhèrent à l'élan révolutionnaire, nous redonnant espoir à l'orée du printemps. La seule chance que nous ayons est de faire entendre sa voix. Beaucoup d'électeurs potentiels, abstentionnistes ou apeurés par un duel improbable Sarko-Le Pen, ignorent encore ses propositions. Depuis quarante ans la stratégie n'a apporté que déception et appauvrissement au détriment du débat idéologique.


Si j'étais d'origine maghrébine, si j'étais un travailleur gagnant moins de 20 000 euros par mois (ça laisse une marge !), si j'étais une femme voulant disposer de son corps, si j'étais homosexuel, si je voulais sauver ma planète, si je défendais la liberté d'Internet, si je fumais des pétards, si j'étais enseignant, si je désirais rendre à mon gouvernement son pouvoir, si je pensais que l'on peut donner l'exemple d'un monde plus juste et entraîner avec nous le reste de l'Europe, si je souhaitais prendre en main mon avenir, je n'hésiterais pas une seconde et je regarderais avec délectation les racines de l'arbre faire éclater le trottoir autour des allées Lumière ou avaler les panneaux absurdes de l'autre côté de la grille...

samedi 17 mars 2012

Toute révolution est née d'un rêve


La presse, dans sa grande majorité, pratique l'omerta sur le candidat Mélenchon, la petite bête qui monte, qui monte, qui monte... Et nous chatouille. La télévision déverse ses lieux communs avec une régularité et un aplomb concertés pour nous faire oublier que l'impossible n'est pas français. Car en cas de surprise, toute l'Europe serait entraînée par un effet domino capable de renverser ce que les financiers veulent nous faire avaler comme inéluctable.
Taxant Jean-Luc Mélenchon de populisme, les journalistes insinuent que les extrêmes se rejoignent. Comme si communisme et nazisme partageaient les mêmes valeurs. D'un côté un projet généreux et solidaire sombrant dans la paranoïa, de l'autre un crime programmé et revendiqué. S'adresser aux classes populaires n'a rien de condamnable. Tant de déshérités votent pour leurs bourreaux. Mais le populisme est associé à la démagogie. S'il est le fond de commerce du Front National, il est honteux d'en taxer la Gauche qui a toujours défendu tous les citoyens, sans exception, sauf évidemment les quelques nantis qui les exploitent et les saignent. Le populisme est fondé sur la critique du système et de ses représentants, fustigeant les élites. Or partout, dans les milieux intellectuels et cultivés, on constate une sympathie grandissante pour le candidat du Front de Gauche, dynamique aussi encourageante que la participation ouvrière à ses meetings bondés.
Comme l'attaque devient louche et la manipulation trop évidente, on entend maintenant que Jean-Luc Mélenchon défend son programme parce qu'il sait qu'il n'aura pas à l'appliquer. Comme si l'on ne pouvait pas croire à nos aspirations, comme si nos convictions n'étaient que du vent, comme si l'on ne pouvait pas avoir le courage de ses opinions, comme si le changement était impensable par ceux-là-mêmes qui le souhaitent. Si le peuple de gauche profère ce genre d'ineptie il se dénie lui-même.
Préfère-t-il le discours d'un Hollande qui, le 13 février dernier, répondait au Guardian : "La gauche a gouverné pendant 15 ans (...) elle a libéralisé l'économie et ouvert les marchés à la finance et à la privatisation. Il n'y a pas à avoir peur." Comment peut-on encore croire que le Parti Socialiste présente un programme de gauche ? Ce n'est qu'une politique droitière avec un espoir de paix sociale. L'espoir seulement, car imaginons ce qui se passera dans cinq ans après la politique catastrophique du PS, quand la rigueur, "le sens à la rigueur", aura appauvri un peu plus la classe moyenne et les plus démunis. Ce n'est pas pour autant "blanc bonnet, bonnet blanc". Nous avons d'un côté une droite aux allures souples pour ne pas dire molle, de l'autre une bande de gangsters qui se sont repus allègrement sur notre dos. Ils n'étaient pas si nombreux au Fouquet's, ceux qui en ont croqué pendant cinq ans. Si j'étais un nanti, je n'hésiterais pas une seconde, je voterai Hollande !
À gauche, le NPA n'a pas l'envergure nécessaire et il est étrange qu'il ne rejoigne pas le Front de Gauche. De même la candidate Eva Joly est trop mal entourée, on la verrait bien ministre de la Justice sous un gouvernement Mélenchon ! Voilà qui dépoterait et sortirait notre pays de ses mauvaises manies... Je pense autant aux affaires Karachi, Takieddine, Woerth qu'aux Guérini, Kucheida et aux implications de certains avec Dexia, le chantre des emprunts toxiques. On ne pourra pas changer notre pays sans mesures radicales. Si tous les citoyens votaient pour leurs idées et leurs propres intérêts au lieu de céder à la peur qui leur est servie sur un plateau télé fabriqué en 2002, s'ils évitaient de voter la mort dans l'âme pour Hollande qu'ils jugent seulement le moins pire des possibles, ce serait là voter utile, et Mélenchon serait au deuxième tour. On peut toujours rêver, c'est même un devoir. Toute révolution est née d'un rêve. Qu'elle sorte des urnes serait une victoire pour celles et ceux qui croient encore à ce qu'est devenue la démocratie. Voyez où le vote stratégique nous a conduit depuis quarante ans !

Fourmis rouges filmées vendredi à La Ciotat.

samedi 3 mars 2012

Le réveil a sonné


Quelque chose d'incroyable est en train de se passer. La presse en parle peu. Il n'y a rien de secret, et pourtant la nouvelle se propage discrètement, sans vague, mais à la surprise de tous et de toutes. La morosité cède doucement et inexorablement devant l'espoir retrouvé. Car on n'y croyait plus. Les idées n'étaient pas mortes, mais leur réalisation semblait devenue inaccessible, comme une fatalité. Comme si le formatage systématique des consciences nous avait laissés orphelins. Certains disaient que l'on avait les chantres qu'on mérite. Quelle faute payions-nous pour avoir laissé le monde partir à vau-l'eau ? Le prix de nos désillusions nous reléguait à un défaitisme éclairé, optant pour le moins pire. La catastrophe annoncée nous laissait impuissants devant la crise orchestrée qui se profile et dont on sent bien qu'elle n'en serait encore hélas qu'à ses premières manifestations. Aucune personnalité politique ne répondait à nos aspirations de changement. Au mieux, leurs débats étaient velléitaires. Je citais régulièrement le philosophe Slavoj Žižek qui se demandait pourquoi chacun imagine sans peine la fin du monde, mais pas celle du capitalisme. La démocratie, dévoyée, montrait ses limites. Comment prétendre à cette liberté lorsque la manipulation médiatique empêche de penser par soi-même ? Certains refusaient cette mascarade en décidant de ne plus voter. D'autres, dont je suis, avaient toujours opté pour le moindre mal. Quarante ans de vote utile sans manquer un seul scrutin, est-ce de l'abdication ou de l'hibernation ? Je me demandais si je n'allais pas m'abstenir pour la première fois, ou voter blanc. Et puis, tout s'est passé très vite. Et pour chacun. Et pour chacune. Et cela ne fait que commencer. Nous sommes à moins de deux mois de l'élection présidentielle et quelque chose d'incroyable est en train de se passer.
Tous les jours, pendant une semaine, Françoise a insisté pour que je regarde Jean-Luc Mélenchon à l'émission Des paroles et des actes sur France 2. J'ai cédé un dimanche matin pour lui faire plaisir. Je me suis dit : "je regarde dix minutes et puis ça va...". Deux heures et vingt minutes plus tard je suis excité comme un pou. Pas un point de désaccord. En plus, le candidat du Front de Gauche a la hargne et de l'humour, ce qui ne gâte rien. Depuis, j'ai une pêche d'enfer. J'ai regardé sur Internet toutes ses interventions. Il se répète rarement, répond du tac au tac, sa sincérité est évidente. Aux Lilas où chaque vendredi est organisé un concert, nous avons joué au Q.G. de campagne du Front de gauche. L'écoute attentive du public m'a surpris. Les militants sont investis. Je ne développe ici aucun argument. Il faut l'écouter, lui. Sans culte de la personnalité. Toutes nos idées sont là, dans la bouche d'un tribun hors pair. Quelque chose d'incroyable est en train de se passer.
C'est exponentiel. Il n'y a pas un jour sans que chacun/e convainc une personne de son entourage. Il suffit d'insister à ce que nos interlocuteurs ou interlocutrices s'attardent sur ses interventions (en ligne) pour qu'ils ou elles soient conquis. Mes amis connaissent mon indéfectible implication politique, mais c'est la première fois de ma vie que je m'investis pour un candidat. Et l'étonnant, c'est que nous ne sommes pas seuls. Tout autour de nous - mais vivons-nous dans un petit milieu ? - les conversions nous épatent. On craignait de se retrouver seuls et nous croisons chaque jour de nouveaux adeptes. Tel ami, petit patron et socialiste convaincu, nous raconte qu'il a acheté L'Huma Dimanche par compassion à un pauvre militant devant le marché et se rend compte que le journal exprime tout ce qu'il pense. Des citoyens qui avaient peur de voir Le Pen se retrouver au second tour sont conquis. Des jeunes qui n'ont jamais voté sont enthousiastes. Je n'en reviens pas, même le coiffeur qui avait voté Le Pen comprend l'enjeu. Les masques tombent. Les tendances s'inversent. Les sondages, pourtant armes de la manipulation, sont passés de 5% à plus de 10% en moins d'un mois. Le spectre de 2002 est entretenu pour nous empêcher d'exprimer un changement radical. Pourquoi disperser les voix de gauche vers la droite travestie du PS ? Le vote utile aujourd'hui a changé de camp. Le 13 février, François Hollande lui-même avouait au Guardian "La gauche a gouverné pendant 15 ans (...) elle a libéralisé l'économie et ouvert les marchés à la finance et à la privatisation. Il n'y a pas à avoir peur." Devant de tels propos, c'est à nous de frémir.
Si vous pensez que je me fourvoie, prenez quelques minutes et regardez l'émission Des paroles et des actes du 12 janvier dernier. Quelque chose d'incroyable est en train de se passer.