70 Humeurs & opinions - avril 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

lundi 23 avril 2012

Nous étions seuls, nous sommes cinq millions

...
On pourrait dire qu'on est déçus, que nous espérions faire un meilleur score, c'est vrai. Plus dur à avaler, celui du Front National. Car du côté de la Gauche (je ne parle pas du PS) nous avons avons fait une percée déterminante. Depuis des années nous étions seuls, isolés, déprimés, cyniques, démobilisés, exténués... Cela dépend des caractères. Nous ne représentions plus rien si ce n'est dans un travail de proximité. C'est ainsi que nous avions fini par appeler notre combat quotidien, car nous n'avions pas désarmé pour autant. Peu importe le pourcentage du candidat qui porta nos couleurs jusqu'à ce premier tour. Il en a d'autres dans son sac. 11 %, c'est tout bonus. Nous ne sommes plus seuls, nous sommes quatre millions (cinq avec les écologistes et le reste de l'extrême-gauche) à nous donner la main et à lever le poing. Et parmi nous, combien de jeunes et de moins jeunes ont compris les enjeux à l'occasion de cette mascarade médiatique ! En un rien de temps combien de prises de conscience ont germé ! S'il a fallu trois mois pour grimper aussi vite, combien serons-nous avant la fin de l'année ? Il faut continuer à expliquer à celles et ceux qui se sentent laissés pour compte, qui pensent que toutes les politiques se valent, qui n'ont tout simplement pas écouté, étouffés par les travestissements de la télévision et des grands quotidiens, il faut leur expliquer que l'on peut et doit lutter activement pour que ça change, mais surtout pas dans la haine, une haine fratricide.

La guerre est pourtant ouverte, mais contre le pouvoir de l'argent et contre une extrême-droite plus dangereuse qu'ils ne le croient. Il faut rappeler que cette dernière collabora avec les Nazis, que le Front National s'est appelé Occident et Ordre Nouveau, et que leurs méthodes sont celles qui accouchèrent des pires dictatures. Ces haineux commencent par se repaître du mécontentement des plus pauvres en stigmatisant "l'autre" qui n'est pourtant qu'un autre que chacun porte en soi. Le racisme pousse sur ce terreau. Si l'on ne les arrête pas, leur discours et leurs actes se radicalisent au fur et à mesure de leur progression. Ils sont le bras armé de l'oppression, jusqu'à prendre le visage du monstre dès lors qu'ils accèdent au pouvoir. Il faut raconter comment les fachistes s'y sont pris pour détruire sous prétexte d'un ordre nouveau. Un électeur sur cinq, c'est beaucoup trop, ça fait froid dans le dos. C'est la nouvelle accablante qu'annonce le premier tour. Une raison de plus pour remettre en question le système même des élections présidentielles, la cinquième république, le show médiatique, le piège à cons diront les opposants farouches au vote prétendument démocratique.

Ce n'est qu'un début, continuons le combat, avions-nous coutume de scander en nous tenant bras dessus bras dessous et au pas de charge. Le 1er mai sera un jour mémorable. Les législatives marqueront une nouvelle étape. Les sociaux-démocrates ont du souci à se faire s'ils pensent pouvoir servir la soupe aux riches en maintenant la paix sociale à coups de mesurettes. N'oublions pas que nombreux électeurs ont voté pour François Hollande par peur de voir Le Pen au second tour. Le vote utile s'éteindra la 6 mai avec la chute de Sarkozy et le peuple de gauche se reconstituera lors des prochaines luttes anticapitalistes, car la crise n'est pas une mince affaire.

Nous avons du pain sur la planche si nous voulons vraiment que ça change. Retroussons nos manches, imaginons de nouvelles alternatives, donnons-nous les moyens de les communiquer au reste de la population qui est pour sa majorité (réelle, à savoir abstentionnistes inclus) à bout de souffle et sera heureuse d'apprendre qu'il est possible de respirer à pleins poumons dans ce pays pour peu que nous nous prenions en mains. Internet a joué un rôle déterminant dans la communication des idées du Front de Gauche, mais ce medium est encore peu utilisé par les couches défavorisées. Dans d'autres pays européens la résistance va s'organiser à notre suite. Une solidarité internationale anticapitaliste est nécessaire pour sauver la planète de sa destruction systématique si nous voulons éviter la sixième extinction, la nôtre et tant d'espèces entraînées dans le processus mortifère. Être vivant ne devrait pas seulement consister à avoir de quoi manger, encore que ce soit la préoccupation majeure de plus de la moitié du globe, car nous devons imaginer et créer un monde meilleur où la solidarité s'exerce pour et par tous et toutes. Sinon nous sommes fichus, et les connards de profiteurs et leurs enfants ne s'en tireront pas mieux que les autres.

vendredi 20 avril 2012

Pierre Marcelle, reviens !


Quelle honte ! Libération fait sa une d'hier sur Marine Le Pen en annonçant qu'elle pourrait créer la (mauvaise) surprise du premier tour des élections en faisant un score supérieur à celui attendu. Sa photo pleine page, contreplongée à la Mussolini, m'agresse dès potron-minet, cette livraison matinale par porteur devenant l'unique raison de rester abonné au quotidien que je feuillette aussitôt dans mon bain. Comment analyser la publicité faite à l'extrême-droite et l'entreprise systématique de dénigrement contre le candidat du Front de Gauche qui doit vraiment en avoir marre de devoir répondre sans cesse à des mesquineries de comptoir quand les candidats principaux ont des casseroles ressemblant plutôt à des cocottes-minute ?
Placarder Le Pen en pleine une, c'est faire sa pub, tous les journalistes le savent. Ils le font donc en connaissance de cause. Sarkozy en chute libre, la finance s'inquiète. Et si Hollande était mis en danger par Mélenchon ? L'idée fait frémir les actionnaires dont Édouard de Rothschild‎ représente à lui seul 38,87% des parts du journal. Alors on pilonne. En bas de page 3 nous avons même droit au sondage bidon publié par le Monde et dénoncé depuis par la Commission des sondages sur l'intention des jeunes à voter Le Pen. À croire que les journalistes de Libé ne lisent pas leurs confrères pour reproduire ce bobard. Le quotidien social-démocrate ne fait pas de politique, mais jongle avec les pourcentages supposés et la peur qu'ils inspirent pour vendre leur camelote. Quand je pense que l'on n'arrête pas de lire qu'il faut se méfier des informations sur Internet, je me marre en voyant comment se vautrent les professionnels de la presse papier. Que les dangers de la droite soient exprimés est juste, que Libération en fasse sa une glorieuse est une autre histoire. Elle s'explique pourtant très bien en abordant la lecture des pages suivantes.
Sur toute la page 9 François Hollande "craint une démobilisation des électeurs de gauche". Les 10 et 11 sont consacrées aux mensonges de Sarkozy prêt à tout "pour discréditer un adversaire". En 12 l'entretien avec Nathalie Arthaud de Lutte Ouvrière s'intitule "Je n'ai aucune confiance en Jean-Luc Mélenchon", comme si c'était son cheval de bataille ; dans quel panneau est-elle tombée ? En 13 une autre demi-page cette fois sur Eva Joly et son "Sarko Tour", un entrefilet sur Bayrou refusant catégoriquement d'envisager Matignon si Sarkozy repassait, il n'est pas assez fou pour aller se suicider contre rien du tout, et tout en bas l'évocation des manipulations "dénoncées" par "le candidat du Front de Gauche", ramassis d'attaques minables trouvées au fond des poubelles auxquelles Mélenchon doit perdre son temps à répondre face à tous les nervis du pouvoir qui officient à la télé et à la radio au lieu d'exposer son programme. Les journalistes qui se prêtent à cette mascarade ressemblent plus à des paparazzi qu'à des professionnels de l'investigation. Je croyais que leur rôle était d'information, suis-je naïf ! Depuis le début de la campagne électorale, Jean-Luc Mélenchon est le plus attaqué des candidats, certes avec Eva July pourtant déjà assassinée par les camarades de son propre parti. Même à Médiapart, et malgré les justifications d'Edwy Plenel, les journalistes ménagèrent François Hollande comme s'il était déjà élu alors qu'ils furent beaucoup plus opiniâtres et agressifs avec les deux autres. Oui, Mélenchon fait peur. Il leur fait peur parce que le programme du Front de Gauche pourrait réellement changer le profil du monde en commençant par celui de la France, sachant que bien des pays européens pourraient lui emboîter le pas. Médiapart ménage ses e/lecteurs dont les opinions représentent évidemment l'éventail de ce qu'il est coutume d'appeler la gauche. Mais Libération sert ostensiblement les intérêts du candidat du Parti Socialiste en photocopiant sa stratégie consistant à miser sur la crainte d'un duel Sarko-Le Pen pourtant plus du tout envisageable aujourd'hui. J'ignore si Mélenchon pourrait se retrouver au second tour, mais il est certain que le Front de Gauche influera sur la politique future quel que soit le prochain gouvernement et que l'enthousiasme qu'il a engendré ne retombera pas de sitôt.
Et Pierre Marcelle dans tout cela ? Est-il parti de lui-même en vacances pendant la semaine qui précède le premier tour ou lui a-t-on conseillé ? En tout cas sa plume nous manque, il est l'une des rares raisons de poursuivre mon abonnement. Où qu'il soit, il doit fulminer en lisant le torchon que je viens de tremper dans la baignoire tant les bras m'en tombent devant tant de stupidité et de magouille électorales.

lundi 16 avril 2012

Le grand réinventaire, mercredi au Triton


Les mots choisis dans l'abécédaire vidéo du Grand Réinventaire ont inspiré une passionnante assemblée de contributeurs qui s'expriment sur la version en ligne ou seront présents à son lancement ce mercredi 18 avril au Triton (Les Lilas) à 20h. Chaque fois que l'on clique sur le titre de la série, de nouveaux concepts s'inscrivent sur l'écran tissant un réseau de sens dans le mot à mot généré aléatoirement. À quel point faudrait-il être intoxiqué par la télé pour ne pas voir des militants du Front de Gauche derrière cette initiative fort productive ? Remarque faite après notre test télévisuel annuel, une chaîne publique où le temps de parole est minuté pour les candidats, mais pas pour les commentateurs à la botte du futur ex-président...
Se succèdent ou se répondent ainsi au hasard du tirage : Clémentine Autain*, Corinne Morel-Darleux, Marie-George Buffet, Henri Peña-Ruiz, Gérard Mordillat, Kazem Shahryari*, Alain Foix*, Robyn Orlin, Moclès Chateigne, Pascal Colrat, Elisabeth Tambwé, Mylène Stambouli*, Air Scrool*, Monique Pinçon Charlot & Michel Pinçon, Nicolas Frize*, Marie-Laure Brival, Henri Lelièvre, Roland Gori, Bernard Stiegler, Jacques Rebotier*, Eric Alt, Délou Bouvier*, Paul Jorion, Guilhem Brouillet, Élise Caron*, Hervé Kempf, Sidi Mohammed Barkat, Dominique Plihon, David Flacher, Denis Vicherat, Gilles Perret, Henri Morandini, David Lescot, Patrick Viveret, Sébastien Marchal*, etc. (* présents à la soirée)


Les réalisateurs Alain Siciliano* et Raymond Macherel* m'ayant proposé d'accompagner musicalement la soirée au Triton, je converserai instrumentalement avec mes camarades Antonin-Tri Hoang* (sax alto, clarinette, clarinette basse) et Ève Risser* (piano, flûte, tourne-disques). Pour répondre du tac au tac j'apporterai un drôle d'instrument électronique, le Tenori-on, et quelques objets acoustiques (trompette à anche, guimbardes, harmonica, sanza). Les interventions musicales constitueront des ponctuations, sérieuses ou humoristiques, pertinentes et impertinentes, qui permettront aux participants et au public de se détendre et, parfois, de plonger au cœur même des concepts qu'évoquent les mots déclinés par les personnalités interrogées. Des ponctuations minuscules à des intermèdes ne dépassant jamais trois minutes permettront de se concentrer sur les idées développées tout en donnant à la soirée une forme inédite et inventive.
Les citoyens passionnés par les idées du Front de Gauche sont en droit d'attendre autre chose qu'une soirée plan-plan. Il faut les surprendre sur tous les tableaux. La révolution doit aussi se faire dans les formes. C'est à cette condition que nous changerons véritablement nos manières de vivre et de penser.

vendredi 6 avril 2012

La culture, point faible du Front de Gauche


Alors que depuis le début de l'année nous avons été impressionnés par la quasi totalité des meetings et entretiens avec Jean-Luc Mélenchon, son intervention sur la culture nous a déçus. Au Bataclan, le candidat du Front de Gauche récita maladroitement les propos du programme rédigé par un collectif sans que l'on retrouve sa faconde ni son esprit d'à propos. Il n'était là, de son propre aveu, que leur porte-parole. Si le mot d'ordre "L'humain d'abord" ou les projets pédagogiques et sociaux sont des propositions justes et importantes, il manque un aspect déterminant de la culture, l'imagination.
Alors que les vendredis à l'Usine, son quartier général de campagne aux Lilas, voit défiler des genres musicaux très différents, les artistes choisis par son équipe de communication pour ses meetings sont, par exemple, presque tous issus des variétés. Si l'on désire un véritable changement, il faudra bien arrêter de coller à une programmation ressemblant fortement à ce qui passe à la télé et sur la majorité des chaînes radiophoniques, même si les paroles sont ici "de gauche" ! Et quelques opportunistes de se faufiler sur les podiums pour incarner la culture dite populaire, cela en devient carrément écœurant. Regardez quelle major les produit, c'est tout dire.
Le fond est pourtant intimement lié à la forme. Il est absolument indispensable de revaloriser les avant-gardes pour transformer le ron-ron ambiant imposé par les marchands en pleine déconfiture. L'invention existe dans tous les domaines artistiques, au théâtre, au cinéma, dans la littérature, les arts plastiques, la musique, les nouvelles technologies, les arts de la rue, etc. Or elle est cruellement absente du programme du Front de Gauche. En musique, c'est ce que je connais le mieux, il existe actuellement en France dans tous les domaines un creuset d'artistes qui explosent le cadre plan-plan qu'impose les multinationales : rap, rock, jazz, musiques improvisées, musiques du monde, contemporain, et combien d'innommables... À convoquer les figures du passé on est loin du temps où Thomas Sankara demandait à Jean-Luc Godard d'imaginer la télévision burkinabè ! Comme l'exprimait justement JLG, "la culture c'est la règle, l'art c'est l'exception." Hors des rails vibre l'exceptionnel. Le programme culturel du Front de Gauche n'est que de culture et néglige l'aspect artistique, chaos bouillonnant sur lequel se construit une société.
Nous attendions plus de chambardement dans ce domaine que notre candidat préféré situe au centre-même de son programme. En cela il ne se trompe pas. La culture porte bien son nom, racines des civilisations, qui lorsqu'elles les arrachent, accouchent des pires barbaries. Il serait temps de profiter de l'élan extraordinaire insufflé par Mélenchon pour faire aussi la révolution dans le monde de l'imagination. Le rêve est indispensable, il est vital. Si tout le monde doit avoir accès à la culture, il faut sortir de la marge les artistes les plus pointus, leur donner les moyens de promouvoir leurs recherches, créer partout des laboratoires en liaison avec le plus grand public possible. Il faut arrêter de flatter l'industrie aux mains des multinationales, échapper aux modèles esthétiques anglo-saxons. Il faut intégrer toutes les communautés sans les parquer ni perdre leurs spécificités. Il faut que repoussent en France et en Europe cent fleurs, car art et culture exigent aussi une révolution si nous voulons créer un monde nouveau qui nous sorte des sempiternelles répétitions, revivals, commémorations, alors que dans l'ombre brillent tant de lumières.