70 Humeurs & opinions - janvier 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 24 janvier 2013

Cris et chuchotements (reprise)


"Il neige à Paris. C'est tout blanc. Il neige, il neige. Ma fille me raconte que le chèque à l'EDF s'étant perdu, un employé zélé leur a coupé le courant sans même sonner à leur porte. Il a glissé un mot dans la boîte aux lettres. Il n'a pas coupé tout le courant, il a fait passer le courant en service minimum. Ça veut dire que l'électricité fonctionne par intermittence, ça va, ça vient. Dehors, il fait 0°. Il y a de braves gens qui font leur travail. Il y a aussi des salopards. Tout est devenu automatique, ceux qui appliquent le règlement à la lettre seront bientôt remplacés par de nouvelles machines. Ne devrait-on pas considérer la main d'œuvre comme un contre-pouvoir sur les machines ? Machines au service du capital toujours plus avide de bénéfices, machines au service d'un pouvoir à la poursuite du contrôle, machines esclavagistes qui nous mettent des fils à la patte, qui nous tracent en nous vendant l'illusion de la liberté. Pour résister, il va bien falloir avoir recours à de nouvelles méthodes. N'empêche que ça se dégrade de jour en jour, il ne faudrait pas attendre qu'il n'y ait plus d'électricité. Il n'est plus question là d'EDF et de ses nervis, mais de la crise de l'énergie qui se pointe et qui finira par faire des étincelles, des grosses. C'est même à souhaiter, si on veut que ça bouge. Tout est bien cadenassé, les compteurs, la lutte des classes, les pensées... Demain je vais réfléchir."

J'avais écrit ce commentaire le 23 mars 2005. Le monde est-il devenu plus clément ? Non. Ça continue à empirer. 2012 a été difficile, 2013 risque d'être meurtrier. Dans le domaine de la culture il n'est pas un jour sans que l'on m'annonce un projet raccourci, la plupart du temps jusqu'à sa plus simple expression, l'annulation. Ceux qui ont un toit et le ventre plein n'ont pas à se plaindre, du moins pour eux-mêmes. Mais il va bien falloir qu'on se bouge pour les autres... Qu'attendons-nous ?

mardi 22 janvier 2013

Portnawak


Les employés de la Mairie de Bagnolet m'ont demandé l'autorisation de photocopier l'acte de mon premier mariage pour pouvoir l'encadrer. J'avais besoin qu'y soit stipulé mon divorce pour prouver que je ne serai pas polygame. Nous apprîmes ainsi que Michèle et moi fumes mariés dès notre naissance, ce qui n'a rien d'étonnant puisque nous étions déjà capables de parler, déclarant alors l'un et l'autre notre désir, l'acte en fait foi.
Ces derniers mois il ne fut pas une seule démarche auprès d'un organisme social sans que l'information délivrée soit exacte. On m'envoya à Pétaouchnok pour réclamer mon relevé de carrière, de là on me suggéra d'aller me présenter à une autre CNAV qui avait déménagé, puis à des jours et horaires de fermeture, enfin à m'y déplacer quand un simple envoi postal suffisait. L'association qui m'emploie eut les mêmes déboires avec l'intégralité des organismes gérant les charges sociales, il fallut chaque fois s'y reprendre de deux à quatre fois pour avoir la bonne information. Nous avons pris l'habitude de ne jamais nous fier à ce qui nous est affirmé, en particulier lorsque la réponse est contrariante. Hier Pôle-Emploi m'envoyait un dossier à remplir avec les dates de celui de l'an passé. Allez savoir ensuite ce que je devais renvoyer. J'ai mis un ruban autour de la totalité des papiers en ma possession et zou, à la poste !
Comme ce portnawak est devenu systématique j'ai tendance à généraliser en me posant la question des raisons de ce laisser aller. Est-ce le fait d'une déqualification, d'une surcharge de travail due aux compressions de personnel suite aux licenciements forcément abusifs, d'une consigne pour retarder les paiements ou engendrer des amendes suite à nos déclarations erronées, d'une déprime globale face à la crise fabriquée de toutes pièces par le Capital, d'un ras-le-bol annonciateur de lendemains qui chantent ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais je sais maintenant qu'il faut poser trois fois la même question pour être certain d'avoir trois réponses divergentes !

vendredi 18 janvier 2013

Exercice de style sur le Tram 3b


L'air glacial gelait mon visage comme si le moindre choc pouvait le pulvériser. J'ai parqué le Vélib' et entrepris mon premier voyage en tramway depuis sa mise en service. Il passe enfin à proximité de chez moi. Le voyage aller s'est fait sans encombre, mais pas sans encombrement, des automobilistes énervés roulant sur les rails Porte de la Villette.
Le design sonore des annonces des stations me déçoit, je m'attendais à des jingles plus en rapport avec le nom des stations, d'autant que nombreuses des nouvelles portent des noms de femmes et non des moindres, la féministe libertaire Séverine, la résistante à l'apartheid américain (et en autobus) Rosa Parks, et surtout des voix inoubliables, emblématiques, comme celles de Delphine Seyrig et Ella Fitzgerald... C'est bizarre, j'avais lu que Rodolphe Burger avait fait comme déjà à Strasbourg, en utilisant des voix et accents réfléchissant la variété ethnique de la population parisienne. Je n'ai rien entendu de cela.


Au retour je vois une vieille femme qui tente désespérément d'ouvrir la porte à l'avant pour grimper. L'autocollant Hors Service a été intelligemment placé trop haut pour qu'on puisse le lire. J'ai beau lui faire de grands signes le soleil l'empêche de me voir. Le chauffeur la regarde impassiblement dans le rétroviseur et il la plante là, seule, dans le froid assassin. Peut-être se dit-il qu'elle n'aura qu'à prendre le prochain, dans un petit quart d'heure. Je suis estomaqué. À l'arrêt suivant du 3b un grand type en casquette se fiche en colère contre le chauffeur qu'il a vu jouer avec son portable au volant sans se préoccuper des usagers qui font le pied de grue enfermés dehors. Deux minutes plus tard il engueule le cuistre en lui hurlant qu'il ne faut pas s'étonner qu'il y ait ensuite des agressions si des employés de la RATP se comportent de manière aussi goujate. Le grand type est tenté d'appuyer sur le bouton de la porte qui nous sépare du muffle, d'autant que travaillant aussi pour la Régie il tient à la main un passe lui permettant d'extraire le salopard de sa cabine de verre. Il m'explique qu'au terminus les chauffeurs doivent sortir de leur habitat protégé pour gagner la cabine opposée et repartir dans l'autre sens. Je lui réponds que les salariés ne devront pas s'étonner d'être remplacés par des machines s'ils sont incapables de la plus simple humanité. Je descends à Adrienne Bolland, une aviatrice qui traversa la Cordillère des Andes en 1921 et réchappa à maints sabotages et accidents provoqués par ses positions féministes et politiques.

mardi 8 janvier 2013

Le chaînon manquant


C'est une histoire que j'aime bien rappeler, même si vous la connaissez probablement déjà. Il y a très longtemps j'ai entendu Yves Coppens la raconter à la radio. Avec son ami Jean-Jacques Petter, directeur du zoo de Vincennes, le paléoanthropologue avait eu l'idée de tester l'intelligence d'un chimpanzé. À l'époque ils ne disposaient ni de caméra de surveillance ni d'autre moyen sophistiqué que de surveiller l'animal par un trou de serrure. Dans une salle du Museum d’Histoire Naturelle ils pendent donc un régime de bananes au plafond et disposent une table et une chaise à l'autre bout de la pièce. Le singe serait-il capable de se servir de ces outils ? Déplacerait-il les meubles et les empilerait-il pour atteindre le fruit convoité ? Les deux savants attendent patiemment derrière la porte. Pas un bruit ne se fait entendre. Plus étrange, Coppens collant son œil pour voir ce qui se passe ne voit absolument rien alors qu'il fait jour et que les fenêtres n'ont pas de volets. Ils ouvrent la porte pour vérifier que la serrure n'est pas bouchée. Non, tout est normal. Le chimpanzé est tranquille dans son coin. Ils referment la porte et Petter s'y colle à son tour. Et là, il voit. Devinez quoi ? L'œil du chimpanzé ! Les deux amis ont terminé la journée dans la plus grande euphorie. Coppens a décroché les bananes pour les offrir à leur sujet d'expérience, habitué qu'on le serve. J'adore cette histoire qui me rappelle la découverte du chaînon manquant entre le singe et l'homme : et bien, c'est nous, tout simplement...

Illustration : détail du tableau de Rémy Cogghe, Madame reçoit (1908) exposé à La Piscine, Roubaix.

vendredi 4 janvier 2013

Acouphènes Parade, blues papier


Le dernier disque d'Étienne Brunet est en papier. Acouphènes Parade est un blues aussi déchirant que déchiré. Comme toutes ses réussites passées dans le domaine de la musique, il adopte un ton unique en s'appropriant un style qui n'était pas le sien. Pour franciser le blues il passe à la littérature. Rien d'usurpé : il a bu la coupe jusqu'à la lie, lie-de-vin, devin au passé, au crible et au laminoir du métier. Ça coule des sources. Brunet transcende l'aventure vécue en y mettant les formes. Écrit comme un polar, il tient en haleine, chargée et reprise plus d'une fois avant de sombrer. La perte de son oreille gauche est le résultat d'un long processus, trop de décibels, pas assez d'amour. Le cul n'arrange rien à l'affaire. Comment le blues pourrait-il être autrement que brutal ? En 64 pages il dresse un bilan, désespéré et courageux, isolé et communicatif, qui ne peut être que provisoire. Il annonce ce nouveau disque comme son dernier. Ne dit-on pas toujours que c'est le dernier avant d'entamer le suivant ? Le récit, en effet, ne s'arrête pas là. Brunet a réalisé parallèlement un projet vidéo accessible en ligne, version clipée de son blues inconsolable. Il y a un an je le présentais ici-même et annonçais la publication prochaine de son roman. C'est chose faite, édité à compte d'auditeur aux Éditions Longue Traîne Roll. Il a étoffé son projet transmédia avec de nouvelles vidéos, la musique seule au format mp3, un making of et un blog qui porte le nom de tinnitus-mojo. Tinnitus, perception sonore en l'absence de son extérieur. Mojo, pouvoir magique. Ou comment transformer une catastrophe réelle en création de l'imaginaire.

jeudi 3 janvier 2013

Drôles d'idées


En revenant de la presqu'île de Malmousque nous retrouvons le Vallon des Auffes sous un angle très différent de celui que nous avions eu à l'aller. Comment la hauteur de plusieurs dizaines de mètres qui sépare les deux points de vue pourrait-elle attirer le plus dément des casse-cou ? Est-ce la provocation morbide d'un fonctionnaire facétieux ? Au contraire, une dissuasion au suicide ? La crainte que ne se reproduise un drame ancien ? L'ordonnance absurde d'un service de sécurité ? La profondeur de l'eau dans le port n'a rien d'encourageant. On est plus sûrement attiré par la merveilleuse lumière hivernale et l'air vivifiant du large ! Superbe promenade marseillaise dans les calanques ce 1er janvier. Réveillon à rallonge avec les amis. Une manière délicieuse de commencer l'année que je vous souhaite meilleure.