Ils étaient quinze à venir au studio, quinze élèves de 3e en SEGPA (Section d'enseignement général et professionnel adapté) avec leur prof principal et trois autres adultes dont deux de Zebrock. L'espace s'est avéré plus grand que je ne l'imaginais. Pourtant vingt personnes qui déboulent à la porte du jardin sous la neige c'est impressionnant, avec leurs anoraks bouffants et leur taille d'ados du XXIe siècle. Nous avons écouté ensemble ce qu'ils avaient réalisé avec FluxTune. C'était sympa, mais pour eux, sans paroles ce n'est pas vraiment de la musique. Le format chanson est la règle. Et puis il manque des instruments. J'ai fait trois accords au clavier pour leur montrer, mais il eut fallu que je pousse la chansonnette pour les convaincre complètement. J'en ai remis une couche sur la passion de faire un métier qui vous plaît avant de se demander comment "gagner de la thune". Travailler sept jours sur sept, quinze heures par jour, leur fait peur et les déstabilise. Leur prof tente de leur expliquer ce que signifie gagner sa vie avec un métier qu'on a choisi, sans autre patron que soi-même. Ce n'est pas si simple, il y a tout de même les clients, les partenaires culturels, Pôle-Emploi...

Dans mes interventions j'ai l'impression que mes leçons de morale civique furent plus déterminantes que l'expérience musicale. J'avais appelé cela "Jouer de la musique est une activité ludique". Le texte d'accompagnement expliquait : On dit jouer de la musique, comme on dit jouer la comédie. Les autres artistes travaillent, on ne joue ni un tableau, ni un roman. Les musiciens n'abandonnent jamais la part d'enfance qui les a initiés. Cherchant à partager l'excitation et la magie du jeu qui est celle de tous les interprètes, j'ai imaginé des instruments qui puissent être utilisés sans aucun apprentissage, entendre qu'ils ne nécessitent pas des années d'étude avant de pouvoir en jouir. Avec Frédéric Durieu nous avons ainsi inventé les machines virtuelles La Pâte à son (commande la Cité de la Musique) et FluxTune (déclinaison inédite beaucoup plus complexe). Entre le Lego et le Meccano, ces programmes permettent à chacune et chacun de composer des œuvres inouïes selon de nouveaux principes. D'un autre côté, Edgard Varèse a posé que la musique est l'organisation des sons. On peut en faire avec toutes sortes d'objets sans que ce soient nécessairement des instruments répertoriés. De même que l'on ne peint pas avec ses mains mais avec ses yeux, tout commence par l'écoute du monde qui nous entoure.
Trois axes me guidaient : l'écoute du monde ordinaire comme une partition des plus extraordinaires, la composition musicale grâce à des programmes informatiques ludiques ne nécessitant aucun apprentissage préalable, la découverte d'objets sonores les plus incongrus ouvrant l'imagination vers l'inouï.