70 Humeurs & opinions - mars 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 22 mars 2013

Assez d'hics !


Je suis intermittent du spectacle depuis 1974, date d'entrée en vigueur de l'aide telle qu'elle existe plus ou moins encore aujourd'hui. En quarante ans les conditions d'accès sont devenues plus difficiles tandis que les taux ont considérablement baissé. Comme pour les salaires leur dégringolade est inversement proportionnelle au coût de la vie. En quelques années l'euro a rejoint le franc. En dix ans la baguette de pain a donc vu son prix multiplié par six pendant que nos salaires, au mieux, stagnaient. Dans le milieu du spectacle, 2013 marque une chute vertigineuse. D'une période douloureuse nous basculons vers un épisode criminel. Qu'attendons-nous pour nous révolter ?
Réclamer notre dû a toujours été une épreuve, que ce soit pour percevoir nos salaires ou pour recevoir l'aide à laquelle nous avons droit et pour laquelle nos aînés se sont battus. Ainsi, à mes débuts, l'Assedic refusa de me verser mes allocations chômage et, après scandales tonitruants et envol de cendrier, je reçus enfin deux ans et demi d'arriérés. Les brimades y sont monnaie courante, mais mon boulanger préfère les espèces sonores et trébuchantes. Aller à l'ANPE se fait toujours à reculons. La manière dont on est le plus souvent reçu est plus humiliante que de devoir défendre son gagne-pain face à un patron indélicat.
J'écris au moment où mon dossier va être débloqué après quatre mois d'échanges aussi absurdes qu'inhumains. Est-ce la faute de la machine ? Aujourd'hui les salariés des organismes sociaux ne font que réparer les erreurs de l'ordinateur. C'est du moins ce que l'on nous raconte, comme si les machines n'avaient pas été programmées par des personnes et que leur usage disculpait celles et ceux qui s'en servent en suivant à la lettre les directives qui leur sont imposées. Hier matin, après trois réclamations non suivies d'effet, malgré qu'il m'ait été garanti chaque fois qu'une réclamation générait "automatiquement" une réponse sous quarante-huit heures, je me suis rendu à mon antenne Pôle-Emploi dans une ville lointaine de mon département, voyage que je conseille vivement à quiconque voit son dossier bizarrement en panne. La veille, l'attente d'au moins deux heures avait été dissuasive. Je m'y pointe donc à la première heure. Le préposé fait une photocopie de mon relevé de carrière que j'avais pourtant posté deux fois et il me fait remplir un dossier de demande déjà envoyé et évidemment en leur possession. Chaque fois que j'essaye de saisir pourquoi il m'interrompt, il me fait comprendre qu'obtempérer sans poser de questions est la seule voie vers le déblocage de mes indemnités de chômage. Il me fait même remarquer que la somme que je vais recevoir dans une semaine figure un joli pécule ! À quoi ça rime ?! Comme si c'était un cadeau de l'État, une gratification supplémentaire, une cagnote… J'en reste bouche bée. Je signe tout ce que l'on me demande de signer, espère que le paiement sera paraphé le lendemain par le chef de l'agence et file sans demander mon reste. Le préposé nia jusqu'au bout qu'il puisse s'agir d'un blocage, que le système soit faillible, que ses collègues aient pu omettre de cocher une case, qu'ils soient débordés après les compressions de personnel dont ils ont eux-mêmes été victimes.
Même si le taux risque de marquer une chute libre dans mes revenus j'attends impatiemment la retraite où je n'aurai pas à passer cette épreuve humiliante et déstabilisante, mélange d'incompétence et de mauvaise foi, qui pousse certaines personnes particulièrement fragiles à des actes désespérés et suicidaires, ou Akhenaton de chanter... Mâtin, quelle époque !

mardi 19 mars 2013

Faute d'inattention


Comme l'amour, l'amitié se cultive. À s'endormir sur ses acquis on risque la rupture. Le passé ne peut être un gage du présent, encore moins de l'avenir. Une révision s'impose, sommaire ou complète, tous les 5000 ou les 10000, et pour les plus téméraires chaque matin, à l'heure où tant d'autres se rasent les antennes.
Les doléances peuvent parfois sauver une relation si elles sont entendues, assimilées. Si l'on ne change personne qui ne le souhaite, chacun peut rectifier sa propre position et entamer un nouveau cycle. On n'échappe pas à sa névrose, que l'on suppose d'origine familiale, mais il est toujours possible de l'aménager, soutenu par une assistance professionnelle ou with a little help from my friends.
Plusieurs fois dans ma vie j'eus ainsi la chance d'avoir des amis bien intentionnés qui eurent le courage de me remonter les bretelles en me renvoyant mes critiques façon boomerang dans certaines périodes de doute quelque peu désespérées. Si la révélation n'avait été brutale j'aurais fait ceinture jusqu'à la saint-glinglin. Leur réponse était toujours courte, une phrase indépendante, affirmative ou interrogative, mais sans échappatoire. Je leur sais gré de m'avoir sauver la vie dans ces instants fragiles comme à d'autres de m'avoir accompagné sur la durée.
M'ouvrant à des amis sur une récente déception ils évoquèrent l'ego surdimensionné de ce camarade. Or, dans la sphère artistique où j'évolue, nous avons tous un ego aussi démesuré. Le danger vient du manque d'attention que nous aurions envers celles et ceux qui nous entourent. L'égocentrisme a bon dos de justifier l'égoïsme. Le premier est souvent nécessaire au créateur, le second est la garantie de faillir jusqu'à la rupture, ultime ressource de l'autre, dans le cadre d'un couple, d'une relation amicale ou professionnelle.
Privilégier le mode affectif dans les rapports humains m'expose aux déconvenues, mais je ne peux imaginer vivre autrement que dans le partage. Pas seulement des biens, des idées ou des valeurs morales, mais aussi avec la certitude absolue que personne ne peut réussir seul. La position sociale ne pesant pas lourd face à la composante humaine, le collectif me semble l'unique chance de nous sortir du bourbier. Il m'est de plus indispensable de transmettre à mon tour ce qui me fut légué, de protéger celles et ceux que j'aime, d'apprendre à les écouter au delà de nos divergences, de ménager leur susceptibilité, de reconnaître à chacun son apport dans le puzzle inextricable dont nous composons tous ensemble les pièces.
M'entendant lui répéter les mêmes mots prononcés il y a quelques années face à des amis indélicats et perdus depuis, et que mon camarade connaissait par cœur pour en avoir été lui-même la victime, j'en eus la bouche pâteuse et la nuit insomniaque. Confronté à son incompréhension devant ce qui n'est qu'une position de principes le bilan s'est imposé, amer et dépressif. Ma responsabilité est entière, car dans tous ces cas je jouai le rôle de passeur, de père ou de moteur. Le sentiment d'échec que je ne peux m'éviter de ressentir, à l'image du monde que nous rêvions de léguer, ne m'empêche pas de continuer à construire des alternatives au calcul égoïste que le Capital impose comme modèle.

vendredi 1 mars 2013

Overdose d'incompétence


Je passe des journées entières à essayer de me faire payer ce qu'on me doit. Comment travailler dans ces conditions ? Telle grande école perd mon dossier, trouve mon RIB incomplet, m'envoie un règlement qui ne correspond même pas au cinquième de mon salaire, tel employeur ne m'envoie rien du tout alors que je dois pointer à Pôle-Emploi en début de mois, cet organisme social réputé pour ses brimades à répétition a également perdu mon dossier, me redemande des originaux déjà envoyés bloquant mes allocations depuis trois mois, de son côté la Sacem m'aurait envoyé des lettres qui ne me sont jamais parvenues bloquant à son tour le paiement de mes droits d'auteur, tel client n'y a jamais déposé les déclarations communes que j'ai signées et pour lesquelles il a exigé d'être éditeur, etc. Je me demande chaque fois si les comptables salariés qui nous paient, ou plus exactement qui retardent systématiquement nos paiements, sont rétribués en temps et en heure.
Combien de temps passons-nous à l'écoute de répondeurs qui diffusent en boucle les mêmes messages imbéciles ? Lorsque l'on arrive enfin à joindre leur bureau, les responsables de ce gâchis sont malades ou en congé, leurs fonctions n'étant pas assumées par leurs assistants. Le gouvernement rend les intermittents du spectacle responsables d'un déficit mensonger. Tout est du même tonneau. Imagine-t-on la perte financière colossale pour le pays, imputable à tant d'incompétence voire de mauvaise foi et de malhonnêteté ? Car au lieu de produire, nous passons notre temps à chercher à percevoir les salaires qui nous sont dus. Cette activité stérile à laquelle s'ajoutent la réunionite, les contre-ordres et les bâtons dans les roues de ceux qui sont payés pour donner leur avis et critiquent sans proposition constructive, nous faisant refaire ce qui est mitonné aux petits oignons... À ce propos je pense sans cesse à la phrase terrible d'Étienne Auger : "Au début on donne le meilleur de soi-même, à l'arrivée on obtient le pire des autres !"
Tout cela occupe bien le tiers de nos journées et ce temps perdu a un coût phénoménal qui plombe notre économie. Heureusement que nous ne sommes pas en plus champions de la corruption, elle existe, mais elle ne s'exerce encore qu'au plus haut niveau de l'État et du capital. Qui osera prendre ce problème d'ampleur nationale à bras le corps ? On nous répète qu'il faut faire preuve d'austérité (du moins les pauvres), de solidarité (avec les banques de préférence), etc. Le déficit ne réside-t-il pas dans le choix de nos sacrifices ? De temps en temps un employé zélé débloque la situation en un tour de main, car le plus souvent bloquer la machine prend un instant, un instant d'inattention, une lassitude face à son travail d'esclave, un jemenfoutisme symptomatique d'une époque où la solidarité est devenue un slogan publicitaire ou un argument de campagne électorale, mais au quotidien, dans les rapports de proximité, comment s'exprime-t-elle entre travailleurs, entre voisins, entre amis, entre nous ?