70 Humeurs & opinions - mai 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

vendredi 31 mai 2013

Rebelote à Pôle-Emploi


Depuis la veille j'avais les boyaux façon scoubidou. L'idée d'aller faire la queue à huit heures du matin à Pôle-Emploi pour faire valoir mes droits m'était absolument insupportable. Devant le rideau de fer les chômeurs sont en colère contre l'inorganisation systématique de l'agence qui se livre à toutes sortes d'humiliations scandaleuses et totalement improductives. Si certains comprennent les enjeux financiers dont tous les citoyens sont victimes, la plupart s'insurge contre la publicité faite au mariage pour tous qu'ils jugent camoufler les véritables problèmes. Une jeune Polonaise regrette les promesses de Sarkozy sur la retraite. Un titi parisien se demande comment il va nourrir sa famille si ses indemnités sont encore retardées. Pendant ce temps-là l'argent travaille, il ne chôme pas, les termes sont impropres, il copule et fait des petits. Françoise me reprochera de ne pas avoir mis sur le tapis le revenu de base pour tous pour lequel les Suisses vont bientôt voter par référendum. Comme il n'y a pas de distributeur de numéros à l'entrée on est obligés de faire le pied de grue debout les uns derrière les autres. La grille s'ouvre. Une femme demande à aller aux toilettes. Un employé qui a déjà enfilé les sandales et T-shirt de ses vacances lui répond agressivement qu'il n'y en a pas alors que la pancarte est devant nous. Comme elle insiste, l'abruti lui répond que c'est fermé pour cause de plan Vigipirate et qu'il n'a pas le code ! Le ton monte. C'est pourtant un endroit public et certains attendront là plus de deux heures. On essaie de calmer le jeu en expliquant que si les préposés sont si odieux c'est que leur hiérarchie ne doit pas les ménager.
Cette fois j'ai affaire à un employé bienveillant. Aucun de mes courriers ne leur parvient depuis huit mois. Ses collègues toujours charmants qui répondent au 3949 n'ont aucun autre moyen de communication avec les agences locales que le mail. Leur seul latitude est la consultation de mon dossier et la constatation des faits : je n'aurais jamais répondu, etc. À tous les niveaux de cette chaîne brisée les interlocuteurs sont anonymes, ne permettant aucun suivi personnalisé. Il faut chaque fois tout reprendre au début. L'employé me raconte que leur logiciel a changé en 2009 et que seuls les anciens ont accès à ce qui est antérieur dans mon dossier ! Il m'explique aussi que le courrier posté à mon agence locale est détournée par le centre régional censé le redistribuer, mais ne le fait pas. Pourquoi ? Je vous laisse deviner. Plutôt que de faire perdre du temps à tout le monde en se fendant chaque fois d'une visite pour décoincer la situation, soit une croix à cocher pour valider l'indemnisation, il me susurre que la solution la plus simple consisterait à déposer simplement mes réponses dans la boîte aux lettres de l'agence locale pour éviter le filtrage absurde qui nous est à tous imposé. On marche sur la tête.

Photo prise à l'exposition Winshluss, un monde merveilleux au Musée des Arts Décoratifs jusqu'au 10 novembre.

vendredi 10 mai 2013

Allégorie de la politique culturelle française


Dans la sphère culturelle les réductions de budget vident les structures de leur sens. Au delà des frais fixes et incompressibles, immobilier et entretien, salaires des permanents, etc. il ne reste rien ou pas grand chose pour la programmation. Les lieux d'accueil deviennent des coquilles vides. Les artistes se retrouvent donc dans une situation de plus en plus précaire, les intermittents sont pour la plupart incapables de comptabiliser les heures nécessaires pour faire valoir leurs indemnités de chômage, sans parler des autres, condamnés à manger de la vache enragée. Tout le monde s'inquiète, mais la révolte est encore bien sourde face à l'austérité prônée par le gouvernement. Tout cela n'est évidemment qu'une question de choix, et tous les secteurs de l'économie sont touchés par cette politique criminelle et suicidaire. On jette à la rue les pauvres pour faire le lit des riches. Le nombre des nantis est pourtant inversement proportionnel à celui des exclus.
En regardant la cour du Palais Royal depuis la terrasse du Ministère de la Culture j'ai cru y voir une allégorie de ce gâchis. Au premier plan les colonnes de Buren sont entières, mais derrière ce petit rempart toutes les autres sont sciées à la base, asphyxiés par les bâtiments historiques qui les encadrent dans une bienséance de façade. Le personnage qui erre au milieu de cette forêt décimée me rappelle le héros de bande dessinée Léon-La-Terreur ou le photographe Gilbert Garcin dont on pourra admirer une exposition cet été lors des Rencontres d'Arles. Dans des registres différents les deux bonhommes cravatés noir et blanc dynamitent les conventions et nous interrogent sur l'absurdité de notre monde.

lundi 6 mai 2013

Querelle de clochers au Diplo


Tant que de différents acteurs de la résistance au Capital continueront à se tirer dans les pattes les chances de convaincre les sceptiques resteront maigres. En dernière page du Monde Diplomatique de mai, Pierre Rimbert et Razmig Keucheyan terminent leur article intitulé "Le carnaval de l'investigation" en soulignant que "la mobilisation politique ouvre plus de perspectives que les révélations médiatiques." Ils ont certainement raison, mais alors pourquoi se fendre de révélations éculées sur le passage d'Edwy Plenel à la direction éditoriale du Monde si ce n'est pour un règlement de comptes dont personne ne sort glorieux ? Le 28 avril dernier, Antony Manuel titrait déjà dans son blog médiapartiste "Monde diplomatique : mesquinerie d'un grand journal". Denis Robert qui avait fait lui-même les frais de ce genre de procès de la part de Plenel en 1996, posait pourtant la bonne question, cité par Rimbert et Keucheyan : "Rien ne change, sauf des noms et des visages. Les cartes se redistribuent. Les journalistes dans mon genre ne seraient-ils pas de simples agents d'autorégulation ?"
À cette valse cynique des hommes au service du pouvoir financier on peut opposer pour les analystes le droit de se tromper et de changer avec le temps. Encore faut-il avoir le courage de le reconnaître. Denis Robert en veut évidemment toujours à Plenel et on peut le comprendre puisqu'il en fut personnellement victime, mais les deux auteurs du Diplo étalent des bévues de Plenel qui datent toutes de plus de dix ans, bien avant la création de Mediapart. Bien qu'assez jeunes, ont-ils eux-mêmes toujours eu les mêmes opinions et leur passé est-il exempt de critiques ? Le paradoxe de leur article tend à prouver le contraire comme à tous ceux qui ont douté du bienfondé de Mediapart dans l'affaire Cahuzac. Jean-Luc Mélenchon a voté oui à Maastricht et il a appartenu trente ans au PS sans que cela jette le doute sur son engagement actuel. De plus, Plenel n'est pas Mediapart comme Mélenchon n'est pas le Front de Gauche et l'on peut espérer que Rimbert et Keucheyan ne sont pas le Diplo.
Cet article, contrairement à ce qu'il annonce en haut de page laissant supposer à tout le moins des révélations sur l'industrie pharmaceutique, n'est donc qu'un vulgaire règlement de comptes qui remonte à des faits anciens. On préférera de loin le travail d'investigation, même si toute enquête s'appuie d'abord sur de bonnes sources, tout en sachant qu'en politique la vérité n'a jamais convaincu personne. Alors plutôt que se complaire en faisant exactement ce que l'on critique, les deux collaborateurs du Monde Diplomatique feraient mieux de consacrer leur précieuses pages, et particulièrement la dernière, techniquement la plus facile à lire, à des propositions constructives en offrant la place à des gens comme Étienne Chouard, Paul Jorion, Myret Zaki, Pierre Rahbi, Michel Collon et tant d'autres personnalités controversées sur de fausses accusations répétées malgré d'incessants démentis. Au lieu de radoter des réponses de cour de maternelle nous devons nous interroger et chercher des solutions à la situation que certains ont tout intérêt à compliquer ou du moins à le faire croire.