70 Humeurs & opinions - juin 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 20 juin 2013

L'arnaque du dumping


Conséquence des économies budgétaires réalisées sur le dos de ce que l'on essaie de nous faire passer pour "la crise", les rétributions se jouent à la baisse. Dans le secteur culturel où les salaires se négocient au coup par coup, la chute génère une hécatombe qui n'est pas près de s'arrêter. Dans le cas des appels d'offres publics, obligatoires à partir d'un certain prix, la qualité a, la plupart du temps, été rétrogradée derrière le coût. Tel projet a beau remporter tous les suffrages tant artistiques que techniques, le gagnant correspondra à la proposition la moins chère. L'arnaque est pourtant connue de tous : les équipes les plus compétentes savent parfaitement ce que coûte l'entreprise et que les gagnants qui ont drastiquement réduit leur budget seront incapables d'aller au bout sans rallonge budgétaire. Ainsi on choisit aujourd'hui presque systématiquement de moins bons réalisateurs qui au final coûteront plus chers que les meilleures propositions. Cela s'appelle marcher sur la tête ! Il faut comprendre les jeunes souvent à l'origine du dumping des prix. On les forme de mieux en mieux, mais les débouchés n'ont pas suivi, bien au contraire, c'est la peau de chagrin. Ils ont d'abord besoin de se faire connaître afin de pénétrer des marchés tenus par leurs aînés. L'idée est difficilement critiquable, si elle ne torpillait pas les acquis des luttes passées qui ont permis l'essor de ces professions. L'erreur est d'autant plus dramatique que lorsqu'on a commencé à mal se faire payer, imaginer redresser ensuite les prix est un leurre. En bout de course les équipes les plus compétentes risquent d'y laisser des plumes, les clients de voir leurs budgets paradoxalement enfler pour une moindre qualité et les casseurs de prix d'être relégués au rang de travailleurs à la petite semaine. Vu de tous les bords, et quel que soit l'intérêt de chacun, ce n'est pas ainsi que l'on acquiert la considération des gens avec qui l'on travaille. Personne n'y gagnera rien.

Illustration de Boucq

jeudi 13 juin 2013

La crise a bon dos


Aujourd'hui toute négociation salariale ou budgétaire se voit imputée une équation à une inconnue qu'on appelle la crise. Chaque patron ou client renvoie ses employés ou ses fournisseurs à un système pyramidal en amont qu'il se trouve contraint d'appliquer en aval. Il prétendra ne pas pouvoir payer le travail à sa juste valeur sous prétexte que ses subventions ont baissé ou qu'il est lui-même en butte à des restrictions. Le travailleur n'a évidemment aucun contrôle sur la manière dont est ventilé le budget, ce qui n'a rien de nouveau. Le capitalisme est toujours basé sur la plus-value. Le patron paye le travail à un prix, mais le facture majoré d'une somme qu'il s'attribue. Cet argent est destiné aux frais de fonctionnement de son entreprise, mais la plupart du temps il sert à payer des salaires mirobolants à la direction ou à ses actionnaires. La transparence étant devenu un exercice de style, il pourra présenter aux critiques des tableaux justifiant la peau de chagrin. Si chacun connaît bien ce que je viens d'expliquer de façon très schématique, il n'empêche que la crise a bon dos de réduire les budgets alloués par exemple à la culture, licencier les ouvriers à tour de bras, saccager tout ce qui n'est pas d'un rendement immédiat et juteux. Dans les secteurs où l'emploi n'est pas constant comme dans le spectacle, on ne ferme pas les usines, mais on baisse les salaires des travailleurs en CDD (contrat à durée déterminée) de manière totalement délirante. Il n'est pas rare que les réductions entre l'an passé et cette année atteignent jusqu'à 60%. Dans les entreprises où ces coupes sont dramatiquement pratiquées on constatera souvent que les salaires des dirigeants pourront même augmenter. Sans organisation syndicale conséquente ou solidarité de bon sens, les jeunes arrivés récemment sur le marché du travail n'ont pas d'autre choix que de casser les prix. La qualité s'en ressentira forcément, mais nous vivons une époque dont c'est le cadet des soucis des nantis à la tête de l'économie, locale ou internationale.
Comment réagir face à ce marasme ? Certains choisiront de bâcler ou de saboter, mais c'est se tirer une balle dans le pied. Si l'on ne se contente pas de gagner sa vie, l'amour du travail bien fait est tout ce qu'il reste au travailleur. Face aux compressions de personnel et aux exigences de rendement, on assiste aux comportements les plus absurdes : agressivité et incompétence sont trop souvent devenues l'apanage de notre administration. Les suicides sont de plus en plus courants. En matière de relations humaines, c'est la dégringolade. Constatez comment sont reçus les chômeurs à Pôle-Emploi. Ses préposés, pourtant eux-mêmes salariés, leur font souvent sentir avec mépris qu'ils sont des assistés, quand les vrais assistés sont les actionnaires des sociétés dont les bénéfices ne sont le fruit d'aucun travail. La grève est un crève-cœur qu'il serait judicieux de faire évoluer vers une grève du zèle. Par exemple, au lieu d'arrêter les transports en commun on pourrait les rendre gratuits. C'est illégal. Mais qui a décidé que c'était illégal ? Le droit de grève le fut longtemps. Si la pente de la courbe exponentielle qui rabote tous les anciens acquis se fait de plus abrupte il ne faudra pas s'étonner que la colère finisse par éclater. Ce rapide survol de l'exploitation de l'homme par l'homme peut s'étendre à toutes les espèces de la planète et à ses ressources les plus élémentaires. Devant autant de cynisme, de gâchis et d'injustice, la révolution est de plus en plus inévitable.

Collage de 1968 retrouvé à la cave

mercredi 5 juin 2013

Arrêté interdisant le port de la soutane


Philippe m'envoie une photo prise à la Mairie du Kremlin-Bicêtre. De toute mon enfance je n'ai vu aucun Loubavitch rue des Rosiers, ni de femmes voilées ou de barbus à la Goutte d'or. Je me souviens par contre des bonnes sœurs en cornettes, des prêtres en soutane et des copains arborant en classe des petites croix autour de leur cou. Ils allaient tous au catéchisme et faisaient leur première communion. À la maison nous étions fiers de notre laïcité et n'avions que faire des grenouilles de bénitier et autres froums. Les camarades qui avaient été élevés dans des institutions religieuses s'amusaient à pousser des cris de corbeau lorsqu'ils croisaient un curé. Mon anticléricalisme se bornera à une critique politique de la religion opium du peuple et à une saine hilarité à la projection de La voie lactée de Luis Buñuel, film de 1968 qui met en scène les hérésies chrétiennes à l'origine de tant de massacres. Aussi éclatai-je de rire à la lecture de l'affichette datée du 10 septembre 1900 :
Considérant qu'il n'est pas juste de laisser le clergé bénéficier d'un régime de faveur lui permettant de se soustraire aux obligations que supportent tous les autres citoyens ; Considérant que le clergé est un groupe de fonctionnaires, qu'il importe particulièrement, en raison de leur nombre, de leur indiscipline naturelle et de la nature même de leur fonction complètement inutile au bien de l'État, de les rappeler en toutes choses au respect absolu de toutes les lois ; Considérant que puisqu'ils profitent matériellement des dispositions de la loi du 18 Germinal An X, il est spécialement utile qu'ils se soumettent à tous les articles de cette loi essentielle ; Considérant, en outre, que si le costume spécial dont s'affublent les religieux peut favoriser leur autorité sur une certaine partie de la société, il les rend ridicules aux yeux de tous les hommes raisonnables, et que l'État ne doit pas tolérer qu'une catégorie de fonctionnaires servent à amuser les passants (...) Est interdit sur le territoire de la Commune du Kremlin-Bicêtre, le port du costume ecclésiastique à toute personne n'exerçant pas des fonctions reconnues par l'État, etc.
L'arrêté est dommageable, car j'imagine comme il serait plaisant de voir sillonner dans les rues et les transports en commun des escouades de clowns chargés de répandre la bonne humeur parmi la population triste et dépressive. Philippe exagère un peu en se glorifiant que sa ville n'abrite aucune église, car seule sa scission d'avec Gentilly la priva d'un monument du culte. Il n'empêche qu'il y a des villes ou des époques où l'air est plus sain(t) qu'ailleurs !