70 Humeurs & opinions - novembre 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 19 novembre 2013

Créativité pour La Revue du Cube #5


Après Empathie, Utopie, Confiance, Après l'humain, le n°5 de La Revue du Cube a pour thème Créativité. J'aurai le plaisir d'en débattre ce mardi soir à 19h30 à Issy-les-Moulineaux, avec Vincent Ricordeau, fondateur de KissKissBankBank, et Dana Filippova, connector à Ouishare, projet collectif qui promeut le développement de l'économie collaborative. Lors du débat retransmis en direct nous devrons répondre à la question de Nils Aziosmanoff : « Connecté au savoir planétaire et assisté par les machines qui pensent, l’homme augmente ses capacités et se libère de nombreuses tâches. Mais entre émancipation et aliénation la frontière est parfois mince, et beaucoup s’inquiètent du fait que la science va plus vite que la conscience. Face à cette accélération, comment favoriser les dynamiques d’intelligence connective et de co-création du monde qui vient ? »
La Revue du Cube (en ligne et gratuite) offre une trentaine de réponses dont la mienne que vous trouverez en bas de ce billet (en cliquant sur Lire la suite). J'ai été particulièrement intéressé par celles de Dana Filippova mettant en valeur l'alchimie de l'intelligence collective, de Pierre de La Coste comparant notre intelligence à celle des hommes préhistoriques (il co-animera le débat avec Aziosmanoff et Eloi Choplin), de la psychothérapeute Marie-Anne Mariot soulignant les risques indispensables que prennent les créateurs, d'Alain Caillé autour du manifeste convivialiste, d'Étienne Armand Amato pointant quelques processus qui mériteraient d'être débattus un par un comme tous les textes des autres rédacteurs... De passionnantes (presque) fictions de Vincent Lévy, Jacques Lombard, Olivier Auber et d'autres complètent le panorama, mais le bouquet final revient à l'entretien avec le philosophe et essayiste altermondialiste Patrick Viveret, conseiller référendaire à la Cour des Comptes, qui remet sévèrement en cause les appellations crise ou révolution numérique, replaçant le débat dans la logique guerrière qui pourrait mener à la catastrophe si l'humanité n'apprend pas à vivre ensemble et à mieux s'aimer. Ses réponses sont d'une telle clarté que je recommande son indispensable lecture à tous les camarades qui se demandent comment éviter le pire en visant le meilleur...

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vendredi 15 novembre 2013

On nous raconte des histoires


Le sous-titre de Storytelling, le livre de Christian Salmon, était La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits. Son essai, publié en 2007, montre comment la méthode marketing appliquée à la politique consiste à raconter des histoires pour influencer le consommateur ou l'électeur. Mais le storytelling est omniprésent dans nos vies. Il nous fabrique depuis notre naissance. Notre éducation, parentale et sociétale, nous fige dans un moule dont nous ne pouvons nous affranchir qu'après un travail considérable. Le désir auquel nous sommes incapables de répondre nous rend malade, à moins et jusqu'à trouver l'échappatoire, l'histoire d'une vie, de sa propre vie.

En matière de communication nos doutes s'étaient avérés justifiés après le faux massacre de Timișoara de 1989 en Roumanie. Aujourd'hui encore, remettre en question la version officielle du 11 septembre 2001 revient à se faire traiter de complotiste comme si l'incendie du Reichstag en 1933 ou celui de Rome au 1er siècle n'avaient jamais existé. Ils permirent pourtant à Hitler de se débarrasser des communistes et à Néron des Chrétiens. Aux États Unis, le mois qui suivit l'attentat contre les Twin Towers furent votées les lois liberticides du Patriot Act sans que personne n'ose lever le petit doigt. En matière de storytelling, l'arme de distraction massive n'est pas née d'hier. Plus le mensonge et la manipulation sont énormes mieux ça passe. L'invention du Christianisme, ou de n'importe quelle autre religion d'ailleurs, n'est-elle pas une preuve irréfutable de l'ampleur du complot ? Depuis vingt siècles on veut nous faire croire qu'un barbu est mort sur la croix pour tous les hommes et qu'en plus il fut ressuscité. Bel exemple de storytelling servant à contenir la révolte et galvaniser les foules, voire à les exploiter ! Avec la déclassification des archives américaines les insinuations sur la destitution de Mohammad Mossadegh en Iran en 1953 ou l'assassinat de Patrice Lumumba au Congo en 1961 s'avèrent exactes, comme la participation des avions américains le 11 septembre 1973 au Chili contre Salvador Allende, tous fruits des agissements de la CIA. Mais nous avons les mêmes en France...

Nous n'avons pas forcément besoin d'évènements aussi brutaux pour saisir les effets du storytelling. La prétendue démocratie est un autre exemple de leurre dont nous sommes pour la plupart victimes. On voudrait nous faire croire que les dirigeants de la nation sont nos représentants élus. Or nous avons beau glisser systématiquement un bulletin dans l'urne voilà des décennies que rien n'y change. Comme si nous avions le choix ! Comme si les politiques de la droite ou de ce qui est communément appelé la gauche étaient fondamentalement différentes ! Les acteurs jouent simplement à "good cop, bad cop" (le gentil flic et le méchant dans un interrogatoire), mais les deux servent les mêmes intérêts. L'exploitation de l'homme par l'homme est le moteur de nos civilisations. En France on entend que Hollande n'a pas respecté ses engagements, mais bien au contraire, il le fait scrupuleusement, non vis à vis de ses électeurs, mais vis à vis des banques qu'il n'a pas manqué de visiter avant son élection ou des grands patrons qu'il rencontre discrètement régulièrement. L'histrion qui l'a précédé s'est juste fait virer parce que son ego bling bling empêchait de le contrôler suffisamment, mais surtout parce que l'illusion de l'alternance est la clef du succès. Les Américains en savent quelque chose : Républicains ou Démocrates ne changent rien à la condition humaine, les pauvres s'enfoncent toujours un peu plus dans la misère, les écarts avec les riches se creusant chaque jour dramatiquement. La révolte est contenue.

Résumant rapidement, un psychanalyste lacanien m'expliquait que la névrose est le fruit de la charge que mettent les parents sur leur enfant et que celui-ci ne peut assumer. Du désir inassouvi des uns naît le mal-être des autres. Et il nous faudra dans le meilleur des cas de presque toute une vie et un travail considérable sur soi-même pour savoir qui nous sommes vraiment. Car en écrivant parents je pense au poids de la société qui n'agit pas autrement. Nous sommes nous-mêmes des produits du storytelling que la généalogie et la culture nous inculquent. Depuis que nous sommes nés on nous raconte des histoires, et nous les croyons. Nous y croyons parce que nous sommes de bons enfants prêts à perpétuer le récit des vainqueurs, puisque l'Histoire est celle des vainqueurs, de ceux qui survivent et l'écrivent. Il n'existe le plus souvent aucune autre trace. Tout n'est que storytelling. Une gigantesque illusion à laquelle nous ne pouvons répondre qu'en nous posant des questions fondamentales, des questions vitales : quelle vie ai-je véritablement envie de construire ? Quel intime désir m'anime encore sous la montagne de faux semblants que camouflent le progrès, la consommation à outrance, l'égocentrisme, la haine de l'autre, de cet autre qui est en moi et qui accouche du racisme ou du sexisme ? Comment utiliser intelligemment le peu de temps qu'il nous reste à vivre ? Cette question n'a pas d'âge au vu de notre taille infiniment négligeable à l'échelle cosmique ! Quelle histoire vais-je inventer qui soit la mienne et que je puisse partager avec mes semblables sans que l'on m'impose toutes ces fariboles qui n'ont d'autre finalité que m'asservir au modèle dominant ?

Dans son livre Christian Salmon cite le succès des blogs comme exemple de cet engouement pour les histoires. La grande majorité des blogueurs n'auraient d'autre motivation que de raconter la leur. Saurez-vous décrypter la mienne au travers de mes chroniques quotidiennes ? Tout n'est que storytelling. Ne doit-on alors faire confiance à personne ? Même à soi-même ? La mémoire nous joue de sacrés tours. La question est mal posée, car en cherchant à préciser son propre point de vue sans l'imposer à qui que ce soit on s'approcherait d'un équilibre que seule l'écoute permet d'affiner. C'est dans le rapport à l'autre que nous commençons à exister. Le storytelling nous construit, certes ; en prendre conscience permet de nous l'approprier et d'en proposer des variations dont la multiplicité est la garante de notre liberté. C'est lorsque le storytelling est une technique de formatage qu'il devient pernicieux. Penser par soi-même est un acte de résistance, la gageure d'une vie.

jeudi 7 novembre 2013

Retour à l'envoyeur


Que l'on m'envoie un disque, un film ou un livre on préférerait toujours ne susciter que des réactions dithyrambiques voire inconditionnelles. Et moi donc ? Comme Diaghilev s'adressant au jeune Cocteau un soir Place de la Concorde je rêve d'être étonné. Et à mon tour de devoir étonner lorsque mes œuvres sont sur la sellette. Pourtant le contenu d'une chronique est moins capital que signifier l'existence de l'œuvre critiquée. Il n'existe rien de pire que l'indifférence. Combien de destinataires font la sourde oreille et ne prennent pas la peine de répondre aux nombreuses sollicitations qui les assaillent quotidiennement ? On les comprend et l'on enrage. Ils sont débordés, les pauvres, assaillis par les propositions que leur poste occasionne.
Dans une chronique les sous-entendus sont parfois plus importants que les superlatifs, encore faut-il savoir les lire ! La critique parle toujours d'abord de celui ou celle qui l'a écrite avant la description de l'objet. Les journalistes qui l'ignorent nous endorment.
Les artistes et autres faiseurs devraient anticiper les réactions de ceux à qui ils s'adressent en connaissance de la production des sollicités... Combien de jeunes artistes ou producteurs envoient leurs disques ou appellent sans s'être préoccupé de savoir qui sont leurs interlocuteurs et ce qu'ils produisent ! Ils perdent à la fois leur temps et leur argent, s'exposant à la déconvenue voire à la dépression. Mieux vaut ne s'adresser qu'à quatre ou cinq personnes dont on aime le travail et le leur exprimer tout en suggérant que ce que l'on fabrique vibre en sympathie avec eux. Apprenons à être aimé par ceux et celles que nous aimons et à aimer celles et ceux qui nous aiment au lieu de nous battre contre des moulins à vent ! Jean Renoir prétendait que l'on ne convainc jamais personne qui ne veut être convaincu...

lundi 4 novembre 2013

Télérama sans télévision


Je ne regarde plus la télévision depuis une dizaine d'années. J'ai rendu mon décodeur à Canal. Je regarde des films sur grand écran que je choisis en dehors des modes. Mais je suis toujours abonné à Télérama. Pourquoi ?
Peut-être est-ce le dernier lien qui me connecte à la culture populaire, entendre un picorage généraliste en rapport avec l'actualité, un peu comme les quelques pages à la fin de Libération. J'arrête ma lecture de Télérama avant les programmes, mais je ne me suis pas encore résolu à me désabonner. Comme si j'allais me marginaliser en ne lisant plus que sur écran informatique. Les pages culture du Monde Diplomatique sont catastrophiques et Mediapart s'appuie essentiellement sur ses blogueurs pour alimenter la sienne. Les magazines culturels sur lesquels je suis tombé jusqu'ici ne répondent pas à cette universalité de surface qui m'alimente depuis que j'ai appris à lire. Ils sont souvent trop spécialisés, le discours universitaire m'énerve ou le manque de perspectives, tant dans le passé que dans le futur, dévoile leur méconnaissance de l'histoire. Il faut aussi que je me résolve à abandonner Les Cahiers du Cinéma qui font fausse route et ne m'apprennent plus grand chose. Les entretiens sauvent heureusement régulièrement toutes ces revues. Quelques lectrices ou lecteurs sauront m'en conseiller que j'ignore ou que j'ai négligées, on peut toujours espérer.