70 Humeurs & opinions - décembre 2015 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 30 décembre 2015

Crépuscule de l'Histoire


J'ai longtemps revendiqué de ne pas m'intéresser à l'information au profit de l'Histoire. Cela avait justifié que je ne regarde plus la télévision, me désabonne des quotidiens et me coltine Le Monde Diplomatique de la première à la dernière page, épreuve douloureuse mais nécessaire !
Une déconvenue personnelle concernant ce fameux mensuel m'a plus démoralisé que de découvrir la personnalité paranoïaque du candidat Front de Gauche après les élections présidentielles. Un surprenant storyrtelling me concernant m'a empêché de continuer d'y publier des articles pourtant déjà commandés (en particulier une énorme enquête sur la vie des musiciens de jazz en France), jetant un doute profond sur les coulisses de la pensée (le fait que mes articles soient souvent en une de Mediapart n'y est pas non plus complètement étranger). Mon implication aux élections municipales a de même révélé que l'arène politique ressemblait plutôt au marché de l'embauche. Je me suis naïvement consolé en me souvenant que pendant le Siège de Sarajevo personne n'y parlait jamais politique, mais philosophie et poésie... Les rapports de pouvoir minent les rapports humains et éclairent la réécriture de l'Histoire comme de nos petites histoires.
Le nouveau livre de Shlomo Sand pulvérise mon approche de l'Histoire en analysant le storytelling à l'œuvre depuis que l'homme sait écrire. L'Histoire n'échappe nullement à la règle de la désinformation, bien au contraire elle grave dans le marbre les récits de ceux qui tiennent les rênes du pouvoir. Je savais qu'elle était écrite par les vainqueurs, mais je n'avais pas forcément perçu à quel point elle était l'apanage exclusif de la classe dirigeante qui ne relate que ses hauts faits. Elle oblitère totalement la vie du peuple en relatant essentiellement celle des têtes couronnées et les grandes batailles. Ceux qui écrivent dessinent le passé tandis que la mémoire s'éteint doucement. De génération en génération la fiction devient le réel, inoculant la culture sans que l'analyse puisse en relever les incohérences. Les religions sont le meilleur exemple de cette mécanique de l'oubli et de la foi. Pour Crépuscule de l'Histoire Shlomo Sand remonte le temps et déplie la longue suite des historiens qui s'interrogèrent progressivement sur la véracité de leur transmission.
La rigueur ne semble pas de mise en Histoire ! Pour la comprendre il faudrait d'abord envisager tous les angles, à savoir s'échapper de la mythistoire nationale, sorte de coup d'État sur la mémoire. Aujourd'hui mettre en doute l'histoire officielle revient à être traité de complotiste, terme inventé par les Américains au lendemain du 11 septembre 2001. Il suffirait pourtant de comparer par exemple les informations télévisées françaises, américaines, russes, syriennes, turques, saoudiennes, iraniennes, israéliennes, libanaises, libyennes, etc. pour se faire une idée du conflit au Moyen Orient. Mais cette diversité contradictoire ne suffirait pas, il faudrait accumuler les témoignages de celles et ceux qui sont sur le terrain, qu'ils y vivent quotidiennement ou le fuient, etc. Pour se faire une idée un peu plus juste il ne suffit pas de comprendre de quoi il s'agit, mais de regarder qui en parle. À quelle classe sociale appartiennent les historiens qui nous ont transmis ces informations ? Par exemple, les prêtres longtemps, la bourgeoisie plus récemment...
Face aux réflexions de Shlomo Sand, professeur à l'Université de Tel-Aviv, qui se demande si l'on peut encore enseigner l'Histoire, on se met à douter de tout ce que l'on nous a appris dans les livres scolaires. À qui profitait ce qui nous était inculqué, du sentiment national au fantasme social de la réussite ? Existe-t-il même une réalité ou l'Histoire est-elle un fantastique récit de fiction servant les intérêts des uns et des autres ? Une étude scrupuleuse des textes, un regard large et non exhaustif sur les sources, entendre plurinationales, une interrogation pluridisciplinaire du passé, associant par exemple la sociologie, la psychanalyse, l'éthologie, permettrait probablement de nous approcher non seulement des faits, mais également de leur manipulation systématique, instrument de contrôle des peuples par une poignée de marionnettistes agissant sous couvert de science, ce que l'Histoire n'est définitivement pas.

→ Shlomo Sand, Crépuscule de l'Histoire, Flammarion Documents et Essais, 23,90€

mercredi 23 décembre 2015

Refondation, thème du n°9 de la Revue du Cube


La Revue du Cube continue de sonder l'avenir sous le regard d’artistes, de chercheurs, de personnalités et d’experts les plus variés, sous la houlette de Nils Aziosmanoff. En croisant celle du précédent, la thématique de chaque numéro finit par lui ressembler, parce que les enjeux sont, heureusement et hélas, clairement définis. De perspectives (cette fois Dominique Bourg, Georges Chapouthier, Bernard Chevassus-au-Louis, Nathalie Frascaria-Lacoste, Françis Jutand, Ariel Kyrou) en points vue (ici Franck Ancel, Étienne-Armand Amato, Hervé Azoulay, Emmanuel Ferrand, Maxime Gueugneau, Étienne Krieger, Bertrand Laverdure, Dominique Sciamma, Joël Valendoff, Clément Vidal, Guillaume Villemot et moi-même) les rêves et les craintes dessinent utopies et dystopies, possibles et impossibles, dans un fragile équilibre qui tend chaque jour un peu plus vers la rupture. Des (presque) fictions (là de Philippe Chollet, Laurent Courau, Michaël Cros, Vincent Lévy, Yann Minh, Linda Rolland, Susana Sulic, Technoprog), une rencontre avec Francis Demoz et les liaisons heureuses des Liens Qui Libèrent terminent le tableau de ce neuvième numéro (téléchargeable gratuitement ici), travail d'anticipation où la curiosité l'emporte sur la catastrophe, d'autant que cette "refondation" qui interroge notre immortalité annonce notre disparition.
Sur la surface du globe ne se confrontent plus alors que pessimistes (lanceurs d'alertes) et optimistes (de moins en moins nombreux), renvoyant chacune et chacun à sa propre histoire psychanalytique pour justifier sa pensée. Car aucun de nous ne verra se réaliser sa prophétie, laissant le bilan de nos incohérences aux générations futures, quel qu'en soit leur nombre. Cet héritage passe, non par un recentrage, mais par un décentrage de l'humanité, dans les relations qu'elle entretient à l'intérieur de sa communauté comme de son rapport à la nature. Les apprentis-sorciers aux ordres de marionnettistes cupides nous laissent peu d'espoir... Il n'y a pourtant de salut que dans le partage.

Tandis que je découvre les écrits passionnants des autres rédacteurs je livre ci-dessous ma modeste contribution.

LA QUESTION SANS RÉPONSE
par Jean-Jacques Birgé

J’ai attendu le dernier moment pour écrire sur le thème de la refondation par crainte de me répéter. Empathie, utopie, confiance, après l’humain, créativité, partager, agir, révolution positive ont toutes évoqué des questions sans réponse. J’entends la musique de Charles Ives, phrase suspendue au dessus des cordes. Ou bien les idées que ces notions génèrent en moi font résonner mes marottes et je n’ai pas envie de me relire. Comment arriver à me transporter dans le futur alors que ma fin se rapproche chaque jour ? C’est pourtant le lot de chacun et chacune. Comment comprendre la refondation de l’humanité alors que je suis passé cette année au régime de la retraite ? Si cela ne change rien à mes activités, je ne peux m’empêcher de saisir la balle au bond pour imaginer autre chose.
Ne suis-je pas déjà né plusieurs fois, même si ces naissances n’avaient rien à voir avec quelque révolution technologique ? Je crois me souvenir de la première lorsque j’aperçus des parallélépipèdes rectangles qui se contractaient et se dilataient au rythme d’un cœur comme s’ils allaient m’avaler. Mais que venait y faire le chiffre 7 ? Je n’ai jamais réussi à l’interpréter. La seconde fut sociale. Le vendredi 10 mai 1968, je demandai au proviseur de mon lycée s’il y aurait des sanctions à notre grève. À sa réponse négative on me porta en triomphe et nous filâmes enfoncer les portes du lycée de filles. Je passai le mois qui suivit dans la rue, ne portai plus jamais de cravate et décidai de faire dès lors seulement ce qui me plairait et que je croirais juste. La troisième fut moins joyeuse. J’avais quarante ans pendant le siège de Sarajevo et j’en revins en ayant résolu ma peur de la mort. J’y avais connu l’horreur et le meilleur de l’homme, lorsqu’il ne reste plus rien à partager que la poésie. Chacune de ces révolutions transforma ma vision du monde et ma manière de vivre avec mes congénères. La quatrième est la rencontre de mon actuelle compagne il y a quinze ans. Ces naissances accouchèrent de prises de conscience, with a little help from my friends, dont on peut affirmer qu’elles tinrent lieu de refondation.
Ces remarques quasi métonymiques frisent un existentialisme de bazar qui interroge l’endroit d’où je pense. En tant qu’artiste ne brigue-je pas une certaine immortalité et mon absence de foi mystique n’annonce-t-elle pas ma disparition biologiquement inéluctable ? Immortalité et disparition ressemblent ainsi à deux chimères inséparables, sauf lorsqu’elles concernent l’humanité.
La puissance technologique quelle qu’elle soit ne saurait en effet s’opposer aux forces cosmiques et l‘histoire de l’humanité « restera » insignifiante à l’échelle de l’univers. Il suffit d’une comète, d’un changement climatique ou je ne sais quoi pour pulvériser notre monde fragile. Notre orgueil nous pousse à des questions absurdes et des suppositions qui ne le sont pas moins. Est-il même souhaitable que l’espèce soit préservée à terme lorsque l’on constate son incessante barbarie ? Évidemment nous ne pouvons souhaiter qu’une amélioration des conditions de vie sur Terre pour nous enfants et petits enfants. J’accumule les paradoxes, perdu entre la raison et mes désillusions.
J’ai commencé par exprimer ma crainte de la répétition. Or toute vie n’est qu’un empilement de cycles de fréquences différentes, comme les ondes qui se superposent pour fabriquer un timbre harmonique. Nul ne peut y échapper si ce n’est par l’entropie. Les notions de moins ou plus l’infini sont-elles même encore envisageables dans cette perspective catastrophique ?
La science ne peut être d’aucun secours tant qu’elle servira une classe sociale au détriment des autres. Il y aura de nouvelles révolutions, un cycle succédant au précédent, provoquées par l’arrogance des élites perdant systématiquement le sens des proportions. Et puis cela recommencera. Jusqu’à l’ultime catastrophe. L’extraordinaire vient que nous soyons à même de nous poser la question, fut-elle éternellement sans réponse.

lundi 7 décembre 2015

Cycles et fractales


Des copains m'écrivent que cette horrible année se termine heureusement bientôt. C'est sous-estimer les catastrophes que 2016 nous réserve. Le monde part en eau de boudin, le niveau de la mer monte, la France se noie en partant en croisade, mais nous pouvons aussi nous battre pour inverser la tendance facho initiée par le gouvernement et servie sur un plateau à une droite décomplexée qui nous réserve des lendemains qui déchantent... Heureusement qu'il y a des surlendemains ! L'Histoire est composée de cycles, crêtes et précipices, bosses et creux. Les règles. Notre propre vie obéit à cette oscillation. Alors puisque l'on ne peut éviter les mauvaises nouvelles, il faut travailler à réduire leur fréquence ou leur amplitude. Jouir le plus longtemps possible des bonnes vibrations, ne pas entretenir les mauvaises.
Si l'héliocentrisme règne en maître il n'y a pas que les cycles qui nous imposent leur loi. Notre investissement citoyen peut ressembler à une fractacle. Impuissants dans notre isolement, nous pouvons nous investir dans des combats de proximité. Changer l'humeur du quartier, par exemple. Il faut bien commencer par un bout. La manière dont nous nous comportons avec nos proches est un modèle qui se reproduit de cercle en cercle, comme des ronds dans l'eau. Les ricochets édifient toute la société. Dans l'autre sens, lorsqu'au plus haut niveau de l'État sont donnés les pires exemples, comment voulez-vous que la population se comporte autrement qu'avec cette brutalité égoïste qui favorise les puissants au détriment des faibles ?
Mais que fichent les pauvres, tellement plus nombreux que les riches ? Les mythes entretiennent leur assujettissement. Ils sont formatés aujourd'hui par un corps d'armée appelé l'information. Les faits divers occultent toute réflexion politique pour que les citoyens votent contre leurs intérêts de classe. Le pouvoir en a fait ses choux gras, réécrivant l'histoire du monde au profit de ses victoires en glorifiant ses crimes. En France les communistes ont voulu emboîter le pas d'une démocratie qui n'en porte que le nom, érodant leur crédibilité révolutionnaire en s'associant aux sociaux-démocrates. Ceux-ci ont trahi jusqu'à leur bonne conscience judéo-chrétienne en se faisant les valets des banques et de la finance. La droite, aussi divisée par ses vizirs voulant tous devenir calife, a perdu à son tour l'aura que De Gaulle avait su faire briller malgré la taille réelle de notre pays. L'extrême-droite séduit tous les déçus en colère sans se rendre compte qu'encore une fois ils sont la cible de rapaces paranoïaques. Ils ont le mépris d'eux-mêmes comme ils haïssent l'autre qui est en eux, donnant naissance à un racisme totalement absurde. Les races n'existent que dans leur tête.
Pourtant une nouvelle conscience politique germe chez les jeunes qui ne veulent plus avoir peur. L'après-Bataclan ne ressemble absolument pas à l'après-Charlie. Lorsque l'on commence à comprendre les enjeux de la géopolitique on n'en est plus victime. Et l'action succédera à la réflexion. En fin de face A du premier disque d'Un Drame Musical Instantané, en même temps que je prononçais une ligne d'un scénario inédit de Jean Vigo, "Tout homme détient dans ses mains son destin", Bernard Vitet scandait les mots de Stéphane Mallarmé, "Un coup de dés jamais n'abolira le hasard". Ces deux phrases, alors improvisées sans concertation, résument parfaitement notre être humain.

Photo : Bleed de Michel de Broin, en prélude d'un article sur l'exposition Prosopopées, quand les objets prennent vie au Centquatre à Paris, dans le cadre de la Biennale Némo (jusqu'au 31 janvier 2016)

Le terrorisme en Occident | C'est quoi le problème? avec Louis T

On n'a pas tant l'occasion de rire ce lundi matin, donc je déroge à ma règle en partageant cette vidéo québécoise sans ajouter de commentaire. Et puis les chiffres et les faits parlent d'eux-mêmes !


J'ai beau avoir déjà publié mon billet quotidien, je ne peux m'empêcher d'en rajouter... J'ai eu un peu de mal à le trouver, car le clip tourne essentiellement sur FaceBook...